The Vessel, l'attraction majeure d'Hudson Yards (Getyourguide.com)
Quelques mois après les attentats perpétrés le 11 septembre 2001 sur les tours du World Trade Center, New York City engage sous l’impulsion de son maire Rudy Giuliani, une campagne de reconstrucion du lieu et plus généralement du Downtown Manhattan. Le but : relever la tête et montrer la capacité de la ville à tenir debout face à tout type de menaces.
Vingt ans après, cette volonté de ne pas se laisser abattre et de se développer de nouvelles infrastructures est toujours présente dans la mégapole. On a vu fleurir gratte-ciel, s’installer de nouvelles multinationales, de nouveaux hubs (notamment l’Oculus sur le lieu de l’ancienne gare PATH).
Parmi ces projets de construction figure Hudson Yards, le projet d’un complexe d’immeubles initié en 2012 et financé par Related Companies et Oxford Properties (25 milliards de dollars). Situé au bord de l’Hudson River, dans le Midtown de New York, le projet s’est construit sur la West Side Yard, une ancienne zone de stockage de trains.
Un complexe luxueux à destination des riches new-yorkais
Afin de tenter de comprendre l’utilité d’investir dans un tel projet, il faut se pencher sur la présentation faite du complexe par les responsables de ce programme. En se rendant sur le site Internet d’Hudson Yards, on nous décrit l’endroit comme « le tout nouveau quartier de New York où l’on peut retrouver plus de cent boutiques et expériences culinaires diverses, des bureaux pour les leaders de l’industrie, des infrastructures culturelles, des résidences modernes, quatorze hectares de places publiques, des jardins et le premier Equinox Hôtel. »
Même si la seconde phase de construction vient de débuter, censée ajouter au complexe une école publique, la description du projet par ses créateurs laisse fortement penser qu’Hudson Yards n’est qu’un quartier luxueux destiné aux loisirs des riches et à leur consommation.
Hudson Yards parvient à saisir les enjeux environnementaux actuels
Dans le contexte actuel, marqué par les préoccupations sociales et environnementales autour de la montée en flèche du réchauffement climatique, un tel projet se doit d’avoir des ambitions écologiques. Construit sous la certification américaine LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), le complexe immobilier a pour volonté de réduire la consommation d’énergie de plus de 30 % par rapport à une construction classique.
Pour cela, de nombreuses innovations sont mises en place dès la pose de la première pierre pour permettre un fonctionnement éco-responsable du quartier. Ainsi, un système de récupération d’eaux de pluie voit le jour. Collectant près de 10 millions de gallons d'eau de pluie chaque année pour les filtrer dans les systèmes de refroidissement et d'irrigation du bâtiment, le système permet d'arroser les jardins et plantations des places publiques. On voit aussi apparaître un système de ventilateurs réutilisant la chaleur générée dans les sous-sols du complexe en la convertissant en chauffage ou en climatisation en fonction de la saison.
Enfin, les auteurs du projet s’efforcent de rappeler que tous leurs partenaires effectuent des actions en faveur de la préservation de l’environnement et des ressources naturelles. Dans un communiqué, ils rappellent par exemple que des entreprises comme Tapestry (propriétaire de la boutique Coach présente dans le centre commercial d’Hudson Yards) composent leurs emballages de 75 % de matières recyclées. Ils prennent ensuite l’exemple de l’Equinox Hotel, qui optimise la qualité de l'air intérieur avec des produits de nettoyage écologiques réduisant l'utilisation de produits chimiques agressifs ou toxiques...
Critiques et freins autour du projet...
Autour du projet Hudson Yards se cristallisent des questionnements sociaux. Seulement à quelques encablures de Times Square, symbole touristique de la ville mais aussi de la démesure qu’elle peut offrir, on peut s’interroger sur le nécessité de construire de nouveaux buildings ultra-modernes et coûteux. En effet, New York City est une ville marquée par les inégalités sociales. En 2013, le bureau du recensement américain sort une étude sur les inégalités entre les plus pauvres et les plus aisés à Manhattan et le résultat est criant. Les 5% des plus riches gagnent 88 fois plus que les 20% les plus pauvres. Libération écrit même à l’époque que « si Manhattan était un pays, cela serait l’un des plus inégalitaires de la planète ».
New York City cultive cette image du passage d’un extrême à un autre. D’un côté : Downtown Manhattan et ses édifices luxueux, épicentre de la bourse la plus puissante du monde. De l’autre : Harlem, le Queens ou le Bronx, des quartiers pauvres où s’accumulent difficultés économiques et sociales [ ndlr : l’incendie qui a enlevé la vie à 10 personnes dans le Bronx début janvier ].
Une succession d’évènements inopinés a elle aussi limité le rayonnement promis par les créateurs du projet. Parmi eux, les enchaînements de suicides et d’accidents causés par le manque de sécurité de l’oeuvre d’art « The Vessel », censé être le point névralgique du quartier. Une tour de 46 mètres construite en forme de ruche où les visiteurs peuvent bénéficier d’une belle vue sur l’ensemble du quartier et sur l’Hudson River.
Pourtant avertis et sommés de réagir après le premier suicide en février 2020, le groupe immobilier n’a pas modifié la structure architecturale du bâtiment. Seulement de faibles mesures ont été prises (multiplication des agents de sécurité, interdiction de courir..) et n’ont pas empêché que le pire se reproduise (quatre fois depuis l’ouverture du site en Mars 2019).
Bilan : la fermeture du bâtiment en août 2021, désormais uniquement observable depuis le sol. Mais surtout un immense bad buzz pour Hudson Yards, qui aura du mal à se détacher de cette morbide image. Dans une interview pour CBS en 2019, le responsable de la communication du quartier se lançait dans une comparaison farfelue en affirmant que « The Vessel sera à New York ce que la Tour Eiffel est à Paris ». Trois ans plus tard, force est de constater que The Vessel n’est finalement perçu que comme un triste sanctuaire.
Malgré une volonté de rassembler derrière une image et des valeurs écologiques et sociales, « Hudson Yards » semble être un complexe élitiste où ne vont se côtoyer que riches hommes d’a aires ou touristes fortunés venus pour consommer. On peut tout de même souligner les efforts pris par le groupe immobilier dans la construction, qui suit la voie actuelle de la lutte contre le réchauffement climatique. Néanmoins, tandis que certains prônent un retour à la simplicité, à la négligence des artifices, des solutions vues comme les seules pour mettre fin à la crise climatique. D’autres, comme les concepteurs et investisseurs d’Hudson Yards, continuent à imaginer des structures sans limites, le tout en proposant des idées écologiques pour paraître « responsables » aux yeux du grand public, une pratique aux allures de « greenwashing » en somme...
Thomas Dagnas
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