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Abdication de l’Empereur japonais : séisme politique au pays des traditions

Fortement attaché aux traditions, le Japon est devenu le dernier pays au monde dirigé par un empereur. Si le rôle de ce dernier dans la vie politique nippone a fortement décliné depuis la Constitution de 1947 qui le limite à un « symbole de l'État et de l’unité du peuple japonais », il n’en reste pas moins un élément central du paysage dirigeant de l’archipel, incarnant une autorité forte guidée par ses origines divines.


C’est avec étonnement que le peuple japonais appris, le 8 août 2016, que sa majesté l’Empereur Tsugu-no-miya Akihito (de son nom de naissance) annonce son intention de quitter le trône impérial et de laisser la main à son fils, Naruhito.


Cet évènement historique et politique est une occasion unique de faire un retour sur le fonctionnement politique particulier de ce pays : souvent associé à l’ultra-modernité mais toujours guidé par les plus anciennes traditions du monde, formant la clé de voûte d’une société nippone en crise.


L’empereur, un rôle divin historique


L’essence même de l’Empereur japonais trouve sa source dans la mythologie nipponne : la tradition veut que chaque empereur soit un descendant direct de Jinmu, fondateur du pays du soleil levant et parent d’Amaterasu, déesse du Soleil. C’est donc auprès de cette divinité que l’Empereur japonais trouve son origine divine.

Amaterasu (天照), déesse du Soleil et ancêtre supposé de la famille impériale nippone.

Ce rôle religieux est avant tout un rôle constitutionnel : la constitution de 1868, qui fait suite au mouvement de réforme sous l’ère Meiji, élève la religion shintoïste comme religion d’Etat et fait de l’Empereur un guide sacré.


Le rôle du dirigeant du pays du soleil levant a donc toujours été double : représenter l’Etat japonais, au sens institutionnel mais aussi la nation nippone dans son entièreté culturelle, notamment sur le plan religieux. Depuis des millénaires, la tête dirigeante de l’archipel se dissimulait aux yeux des mortels, menant à la fois la vie politique de son pays tout en jouant son rôle sacré de grand prêtre. Ce culte de la personne de l’Empereur a traversé les siècles pour ne prendre fin qu’en 1946 : date à laquelle les américains obligèrent l’Empereur Hirohito à apparaitre pour la première fois devant les japonais et à renoncer à son statut divin, conséquence directe de la capitulation nipponne lors du conflit entre l’Axe et les Alliés.


Fortement affaibli, le rôle de l’Empereur se limite aujourd’hui à un simple pouvoir de représentation et d’accréditation selon les modalités de l’article 6 de la constitution japonaise.


Étonnement, la chute de cette figure sacrée qu’est l’Empereur après la seconde guerre mondiale n’entama pas le fort attachement aux japonais à leur guide, au contraire : elle n’a jamais autant soutenu son dirigeant qui semble maintenant plus proche que jamais de son peuple, après des siècles de déshumanisation.


Akihito, sa famille et son règne


La tradition et la pratique ont longtemps éloigné l’Empereur de ses sujets. L’élocution publique de l’Empereur Hirohito fût un bouleversement historique dans le monde très codifié du pouvoir japonais.


Fort soucieux de redonner un nouveau souffle à l’image impériale et bien conscient que le peuple le sait mortel, l’Empereur Akihito s’est démarqué par bien des aspects : à commencer par son éducation.


En effet, le jeune Akihito connut un parcours différent de ses prédécesseurs : éduqué à l’occidentale, il lia une relation très forte avec son intendante britannique avec qui il continuera un échange épistolaire jusqu’à son décès : elle fût même la seule invitée étrangère lors de son mariage impérial avec Michiko Shōda. Influencé par les idées libérales, il est très tôt exposé à autrui et à l’ouverture sur le monde, a contrario de ses ancêtres qui furent cloisonnés et coupés de tout contact pendant toute leur éducation. Fait rare, Akihito est autorisé à fréquenter d’autres personnes que ses parents et la famille impériale lors de sa jeunesse : bien que ce soit des personnes venant de la haute aristocratie triées sur le volet, cela reste une première pour l’Empire nippon.

Le prince Akihito et sa futur épouse, Michiko Shōda

La particularité d’Akihito se retrouve même dans son mariage : l’impératrice Soda est la première roturière à épouser un membre de la plus ancienne famille régnante au monde ! Une union qui n’est pas vu d’un bon oeil par tout le monde : la mère de l’actuel Empereur aurait même harcelé sa futur belle-fille afin d’empêcher cet mariage.


Tout au long de son règne, l’Empereur Akihito travaille à maintenir une image de « pacificateur », se tenant au plus près des lignes de l’article 4 de la constitution où le Japon renonce totalement à la guerre. Si son positionnement sur l’actualité internationale a pu fluctuer, il reste très attaché à l’alliance américano-nipponne qu’il préserve avec une grande attention tout en cherchant à la faire évoluer d’une manière progressiste.


L’abdication, où quand les problèmes des mortels rattrape une divinité


L’éventualité d’une abdication ouvre un débat politique sans précédent, conduisant inévitablement à la révision du système impérial japonais.


En effet, la droite conservatrice japonaise, menée par le premier ministre actuel Shinzō Abe, refuse de reconnaître à son empereur la possibilité d’abdiquer : se serait remettre en cause le principe de sa sacralité et de sa position éternelle. Pour les fervents défenseurs de la tradition japonaise, il est un être à part et non pas un citoyen japonais comme les autres.


Mais ce débat place Abe dans une posture extrêmement délicate. Les réformes sont difficiles dans un pays où l’ultra-conservatisme s’est infiltré dans les plus hautes sphères du pouvoir : quinze des dix-huit membres du cabinet de Shinzō Abe, dont le Premier ministre lui-même sont membres du groupe de discussion sur le Nippon Kaigi, lobby japonais ouvertement révisionniste et ultra-conservateur qui milite pour la restauration du statut de chef d'État de droit divin de l’Empereur.


Cependant, la population japonaise n’est pas du même avis : 90% des japonais comprennent le choix de l’Empereur de vouloir passer la main et le soutiennent dans sa démarche. Ainsi, Abe se retrouve pris en porte-à-faux, entre la branche ultra-conservatrice de son parti et la majorité écrasante de la population qui se range derrière son dirigeant.


Ne pouvant jouer la sourde oreille, Abe a fait comprendre qu’il avait reçu le message de sa majesté tout en cherchant une solution qui ne froisserait pas son propre camp : la tâche s’annonce ardue.

Shinzō Abe a de quoi faire la moue face à cette situation délicate.

De plus, la question de l’abdication entraine de facto celle de la succession. Si l’Empereur Akihito cède la main, c’est son fils Naruhito qui serait élevé à la plus haute fonction du pays. Ce dernier a une position très ouverte sur le monde extérieur, à contre-courant avec le protectionnisme traditionnel nippon : il déclare régulièrement que « la dynastie japonais doit être en phase avec le XXIème siècle ». Son rôle sera de s’inscrire naturellement dans le sillage qu’a laissé son père afin de continuer ce travail de transition d’une Japon d’après-guerre affaibli militairement à un Japon plus moderne qui doit se renouveler et ne pas subir le poids démographique de sa société vieillissante auquel s’ajoute une perte de vitesse du développement économique.


Enfin, la certaine abdication de l’empereur fait revenir sur le devant de la scène un débat millénaire : la possibilité pour les filles d’être nommée à la tête du pays. En effet, si Naruhito devait devenir empereur, il n’a pour l’instant qu’une fille unique : la princesse Aiko ! Or, depuis l’ère Meiji, la constitution interdit une femme d’accéder au trône, respectant la règle de la primogéniture masculine. Si 8 impératrices ont déjà régné sur le pays du Soleil levant, il faudrait réviser la constitution afin de permettre à la jeune Aiko de diriger le pays : une première depuis plus de 250 ans. C’est une possibilité qui semble de plus en plus d’actualité, tant la population nipponne est ouverte sur le sujet : ils sont en effet 68% à approuver le couronnement d'une femme (72% chez les hommes, 65% chez les femmes).

Un repos bien mérité auprès de ses amis les poissons

Ainsi, même si le rôle de l’Empereur n’est plus que représentatif, ce dernier a lancé indirectement un débat politique inédit, remettant en cause les institutions traditionnelles japonaises. Une manière de marquer l’histoire de l’archipel une dernière fois avant de définitivement passer la main et de s’adonner à sa passion : sa majesté est un féru de gobies, petits poissons d’eaux peu profondes sur lesquels il a écrit de nombreux articles publiés dans les plus grandes revues scientifiques du monde.


Adrien Castermans

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