© Jordan Bardella et Marine Le Pen à l'Elysée, Julien Muguet pour "Le Monde".
Comme il semble lointain, ce discours prononcé par Emmanuel Macron au soir de son investiture … Peut-être le Président a-t-il fini par en perdre de vue ses propres promesses ? Mais les Français, eux, n’ont pas oublié l’espoir qu’il incarnait : celui d'une « révolution » politique qui devait faire en sorte que les Français « n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes ».
C’était il y a sept ans … Aujourd’hui pourtant, le pays compte 126 députés d’extrême droite, Jordan Bardella est le seul politique à figurer dans le top 50 des personnalités préférées des français et Marine Le Pen semble plus proche que jamais de son installation à l’Élysée.
Alors, à qui la faute ? Est-ce simplement la volonté du peuple, comme semble l'affirmer le Président ?
En 2022, à la question « Si Marine Le Pen est élue, ce sera de la faute de qui ? », Emmanuel Macron avait rétorqué : « des Françaises et des Français (...) vous me faites rire, c'est la démocratie ». Non ce n’est pas simplement cela ! La nomination de Michel Barnier à Matignon en est la preuve … Bien que les Français aient majoritairement voté pour l'alliance des gauches, le nouveau Premier ministre est finalement le résultat d'un accord entre le RN et le Président, reléguant la démocratie au second plan.
Ce « bras d’honneur aux français qui aspirent au changement » (Fabien Roussel) nous oblige à la rétrospection. D’abord en considérant l’ennemi, puis en discutant avec lui, et enfin en faisant marche commune, Emmanuel Macron est parvenu à parachever la « normalisation » tant désirée du parti.
Le RN, un ennemi à considérer
À l’image de Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron va rapidement se rendre compte que se mettre à dos le soutiens des électeurs RN serait une erreur politique. Hier, Nicolas Sarkozy adaptait son discours et qualifiait volontiers les jeunes des quartiers sensibles de « racailles » qu’il fallait «nettoyer au Kärcher ». Emmanuel Macron, de manière plus insidieuse, fera le choix de les considérer. Notamment en empruntant leurs canaux de diffusion, tels que l’interview exclusive accordée au journal Valeurs Actuelles. Évidemment nous ne pouvons à priori que nous féliciter d’avoir à la tête de l’État un personnage qui parle à tous. Toutefois les nombreux précédents juridiques du journal ainsi que le contenu de l’article (très porté sur la sécurité et l’immigration) laissent penser que cette approche ne peut être désintéressée.
Considérer son adversaire implique également de ne pas le brusquer. Dès 2019, Emmanuel Macron refuse d'évoquer le passé du parti. En soldat valeureux il préfère le combattre sur le fond ainsi que sur ses résultats. Cependant, cette obstination à ne pas ouvrir cette boîte de Pandore a parfois conduit à des situations ubuesques. Ainsi, un parti politique dirigé pendant près de 40 ans par une personnalité condamnée pour négationnisme n’a pas hésité à défiler lors d’une marche contre l’antisémitisme. Quelques mois plus tard, l’absurde se répète … Cette fois certains représentants RN assisteront à la panthéonisation de Missak Manouchian eu égard à la filiation pétainiste du parti. Les interlocuteurs ne sont plus les mêmes, alors écoutons ce qu’ils ont à nous dire … En nous habituant à leur présence et en faisant oublier leur passé, le pouvoir en place a contribué à ce que le parti ne soit plus perçu comme un repoussoir.
Le RN, un adversaire qui peux nous apporter
Après avoir considéré son adversaire politique, le gouvernement Macron a décidé d’aller plus loin en empruntant certaines de ses idées. L’exemple le plus flagrant de ce rapprochement idéologique a peut-être été offert lors d’un débat sur France 2 dans lequel le ministre de l’intérieur accusait Mme Le Pen d’être « un peu molle et branlante » dans ses prises de position sur la laïcité et l'islamisme. Mais au-delà des discours, cette connivence se vérifie dans les votes à l’assemblée. En faisant entrer la « préférence nationale » dans le droit français ou en supprimant le droit du sol à Mayotte, la Macronie ne se cache plus et copie son programme. Pourtant présenté comme un parti d’«opposition », le Rassemblement Nationale va refuser (entre juin 2022 et juillet 2024) 22 % des propositions de lois émises par le gouvernement (contre 69 % pour LFI). En se comportant de la sorte, la Macronie donne du crédit à un parti politique jusqu’ici raillé pour son côté hors sol.
Davantage que d’influencer les décideurs, la présence du Rassemblement National dans l’échiquier politique permet au pouvoir de se maintenir. En effet, le Président sait qu’un second tour contre un représentant d’extrême droite entraîne le soutien du « front républicain ». Si cette stratégie à court terme fonctionne lors des présidentielles, elle sera considérablement affaiblie lors d’élections aux modes de scrutin différents. Mais peu importe … La tenue du duel Bardella-Attal puis la proposition émise par E. Macron afin de débattre avec M. Le Pen (en pleine campagne européenne) est symptomatique de cette stratégie visant à éclipser les autres formations politiques.
Comme deux meilleurs ennemis, majorité présidentielle comme RN semblent profiter de la «normalisation » du parti. Cependant, cette confiscation du débat public n’est pas exempte de risques. Nourri par un climat d’inquiétudes multiples et condamné à se radicaliser pour paraître crédible, le peuple paye le prix fort de ce pari politique.
Macronie et Rassemblement National : la marche commune
Après la dissolution, et durant les semaines suivantes, le chef de l’État a continué à appliquer la même stratégie. Au menu … Encore une confiscation du débat public, encore un choix présenté comme manichéen, se sera « moi ou le chaos ». Cependant à force de fleurter avec ce « chaos », E. Macron l’a rendu sympathique, presque désirable. Pire, bon nombre d’anciens sympathisants de droite, autrefois acquis à E. Macron, délaisse la copie au profit de l’originale. Victime de son propre piège, la Macronie essuie la plus lourde défaite de son histoire. Ce qui devait être une stratégie gagnant-gagnant se révèle désormais perverse : la Macronie est désavouée et le peuple fragmenté …
Ironie de l’histoire, le groupe politique responsable de la débâcle politique d’hier sera la solution de demain. En effet, avec la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre, le camp présidentiel se résigne à donner au Rassemblement National un pouvoir prééminent. Concrètement, chaque projet de loi devra être approuvé par le RN, faute de quoi aucune majorité ne sera trouvée. Cette dépendance choisie par le gouvernement, davantage qu’un déni de démocratie (le RN ayant terminé en seconde position), marque l’acte final d’une entente contre nature au nom du maintien du pouvoir.
Ouverture
Bien sûr, Emmanuel Macron ne porte pas seul la responsabilité de la progression du RN. Il convient de le reconnaître : l’abandon des campagnes par la gauche, la radicalité promue par Éric Zemmour, ou encore l’habileté politique des figures du RN ont ensemble contribué à l’essor du parti. Toutefois, en se servant d’elles pour se maintenir, notre chef de l’État leur a offert du crédit et une tribune dont elles ont su tirer profit. Désormais prisonnier de son pari politique, le chef de l’État désamorce un à un les obstacles qui bloquaient jusqu’ici l’accès du RN au pouvoir. Comme si sa réussite prochaine n’était pas suffisamment certaine, le voilà promu arbitrairement au premier plan du jeu politique.
Si Emmanuel Macron pourra se défendre devant le tribunal de l’histoire en soulignant son double succès électoral face à Marine Le Pen, il est fort probable qu’il soit déclaré coupable pour manquement à l’obligation contractée en 2017 : faire en sorte que les français « n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes ».
Volodia Goutmann
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