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Congrès de la CGT : changement de capitanat en pleine mobilisation sociale

Élue vendredi dernier à la tête de la Confédération Générale du Travail (CGT), Sophie Binet (42 ans) est désormais le nouveau visage d'un syndicat divisé, mais qui reste déterminé, en pleine mobilisation contre la réforme des retraites.


Passation de pouvoir démocrate entre Martinez et Binet (Captures d'écran d'interventions télévisées)

Le déroulement de ce 53ème congrès de la CGT organisé à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) témoigne de la fracture profonde constatée au sein du syndicat formé en 1895. Cinq jours de discussions intenses, ponctués par des débats autour du bilan du bureau confédéral, finalement sanctionnés par un rapport d’activité rejeté à 50,3% par les confédérations départementales. Une première dans l’histoire. Pour comprendre cette situation, il faut revenir sur la conjoncture actuelle du syndicat.


Les résultats contestés de l’ère Philippe Martinez

Arrivé à la tête du syndicat en février 2015 suite à la démission houleuse de Thierry Lepaon, Philippe Martinez avait pour objectif d’inverser la courbe des adhérents, sur le déclin depuis plusieurs décennies. Le dernier grand mouvement social datait de 2010 (passage de la retraite de 60 à 62 ans) et s’était soldé par un échec de l’intersyndicale. Un peu plus d'un an après son arrivée en fonction, le secrétaire général à la moustache emblématique mènera le mouvement contestataire contre la réforme du travail, communément appelée « Loi El Khomri ». Cet épisode se soldera par un double échec pour Philippe Martinez. Premièrement, les syndicats seront divisés entre une renégociation du projet de loi ou un retrait pur et simple. L’absence d’une intersyndicale unie se soldera par l’adoption de la loi. Deuxièmement, c’est le constat en toute impuissance de l’émergence d’un (premier) mouvement parallèle citoyen, Nuit Debout. Cette apparition de collectifs parallèles, sans leader ni porte-parole, mais aux revendications toutes aussi fortes, souligne le caractère désuet et peut-être même anachronique du fonctionnement de la CGT.


Un autre mouvement sera lui aussi mal appréhendé par la CGT : celui des Gilets Jaunes. François Ruffin, à l’initiative du précédent mouvement Nuit Debout, a souhaité dès le départ s’intéresser aux contestataires en allant à leur rencontre. Mais l’équipe de Philippe Martinez semble être au départ plus distante, par peur de ne pas correctement cerner un récent mouvement aux contours idéologiques assez flous et aux origines partisanes diverses. En outre, une peur de s’associer à un mouvement qui puisse éventuellement dériver vers les extrêmes, et particulièrement vers l’extrême droite. A partir du début 2019, le syndicat semble enfin se rapprocher du mouvement mais il sera trop tard. Aux yeux des Gilets Jaunes, les moyens de mener les luttes pour la CGT semblent trop faibles et trop institutionnalisés. Du côté de la CGT, le mouvement semble accepté uniquement dès lors qu’il rejoint des propositions ancestrales du syndicats (hausse des salaires, taxation des plus aisés). Cependant, l’organisation ne semble pas saisir des nouvelles revendications qui lui sont étrangères, telles que le Référendum d’Initiative Citoyenne ou encore la possibilité de révoquer les élus. La ligne idéologique du secrétaire général semble inflexible.


Cette incompréhension des mouvements spontanés comme celui des Gilets Jaunes, sans figure de proue, paraît difficilement compréhensible. L’historique des syndicats de lutte et aux fondements d’extrême gauche font qu’ils peuvent trouver plus de proximités avec des organisations horizontales, sans chef (à l’instar des mouvements anarchistes ou des militants du black-bloc) qu’avec des organisations verticales et structurées, vu comme proches du centrisme politique.


Viendra ensuite le projet de la retraite par points de 2019-2020 avorté à cause de la crise sanitaire, où l’on notera une nouvelle fois des syndicats à la voix discordante. Mais l’intersyndicale va renaître de ses cendres trois ans plus tard, avec une mobilisation contre la nouvelle réforme des retraites d’une ampleur inédite depuis les années 1990. Cette réunion inespérée permet à Philippe Martinez de quitter l’organisation syndicale sur une note positive, malgré la promulgation de la loi par l’usage de l’article 49-3 par le gouvernement et un congrès houleux.


Des stratégies idéologiques divergentes

Dépassé depuis 2017 par la CFDT lors des élections professionnelles, le nombre d’adhérents de la CGT est sur la pente descendante depuis les années 1980. Certes, la tendance est la même pour tout l’univers syndical français, mais le déclin du syndicalisme aux idéaux révolutionnaires (CGT, FO, Solidaires) semble plus important que le syndicalisme réformiste (CFDT, CFTC, CFE-CGC). Ce constat a depuis longtemps créé deux lignes idéologiques fortes au sein des adhérents cégétistes : se rapprocher des concurrents réformistes, ou bien accentuer encore plus l’idéologie fortement contestataire du syndicat.


Autocollant réalisé par la CGT et collé dans les rues parisiennes.

Ces dernières années, c’est la première tendance qui semble être désormais majoritaire à la CGT. En effet, Philippe Martinez a défendu son bilan en défendant ce qu’il appelle « une CGT ouverte au féminisme ou à l’écologie ». Cette posture, partagée de manière consensuelle et concertée dans des syndicats réformistes comme la CFDT, crée plus de tension au sein des syndicats à l’historique révolutionnaire. En effet, l’idéologie post matérialiste, pour reprendre le terme de Ronald Inglehart, met de côté l’idéologie marxiste et matérialiste de la lutte des classes profondément ancrée dans l’ADN de l’organisation. Pour une partie des militants, les problèmes doivent avant tout concerner le monde du travail et de l’entreprise, et ne s’ouvrir qu’en de rares occasions sur les questions sociétales. Cette ligne idéologique post matérialiste incarnée par Marie Buisson, proche de Philippe Martinez et secrétaire générale de la FERC, a été refusée par le congrès, provoquant ainsi la défaite de la candidate.


L’autre tendance est celle d’un retour aux fondements révolutionnaires de la CGT. Car là où les tensions sont les plus vives, c’est autour des questions sur l’écologie. Un rapprochement avec Greenpeace prôné par les modérés signifie par exemple une lutte contre le nucléaire et donc une disparition programmée de l’industrie et des emplois, allant contre les intérêts d’un grand nombre de cégétistes. Certains y voient même un syndicat qui se plie aux autres idéologies, interprétant cela comme une forme de désaveu pour un syndicat âgé de presque 130 ans. C’est le cas d’Olivier Mateu, secrétaire général de la CGT des Bouches-du-Rhône, qui prône des méthodes de luttes bien plus radicales, en témoigne notamment une adhésion à la Fédération Syndicale Mondiale qui a fait beaucoup de bruit. La FSM est historiquement liée aux États communistes et la plupart des syndicats membres de la fédération sont issus des pays de l’ex bloc soviétique ou bien sont sous-développés. Contrairement à son adversaire Marie Buisson, Olivier Mateu n’a même pas été élu au sein de la direction.


L’élection de Sophie Binet, le choix du compromis

C’est alors que surgit un choix inattendu pour le poste de secrétaire générale : celui de Sophie Binet. Il ne s’agit pas réellement d’une surprise : des favorites ont déjà vu leur victoire arrachée à la dernière minute, comme Nadine Prigent, successeuse désignée par Bernard Thibault après son mandat à la tête de la CGT entre 1999 et 2013.

A 41 ans, l’élection de la secrétaire générale de l’UGICT constitue deux révolutions : pour la première fois de son histoire, une femme est à la tête de la CGT, un énorme progrès, même si l’organisation paraît en retard par rapport à la CFDT et le mandat de Nicole Notat entre 1992 et 2002. De plus, il s’agit d’une cadre, catégorie jusqu’alors jamais représentée au secrétariat général, habituellement occupé par des ouvriers.


La ligne syndicale de Sophie Binet semble ressembler au meilleur consensus possible entre les deux lignes idéologiques esquissées : opposée aux méthodes adoptées de l’équipe sortante de Philippe Martinez concernant les stratégies de lutte contre la réforme des retraites, elle semble en phase avec les soutiens d’Olivier Mateu. Mais elle est également une militante féministe hors pair : engagée à l’UNEF et ancienne Conseillère Principale d’Éducation dans des lycées de Seine-Saint-Denis et à Marseille, elle semble pleinement en phase avec les problématiques soulevées par la jeunesse, telles que l’écologie, les inégalités de genre et de race, l’égalité des chances ou encore la précarité étudiante.


Son objectif va donc être d’attirer des militants pour les causes sociales et environnementales qui pouvaient hésiter jusqu’alors à rejoindre le syndicat, considéré jusqu’à présent comme une organisation exclusivement composée de « travailleurs ». Il ne faut cependant pas perdre ces adhérents historiques qui constituent encore une composante majoritaire au sein des militants. Les déclarations de Sophie Binet lors de sa toute première interview en tant que numéro un de la CGT, confirment le fait qu’elle reste profondément attachée aux problématiques originelles de l’organisation : «Nous irons, toute l'intersyndicale, unie, pour exiger le retrait de cette réforme de façon ferme, déterminée». « L’avenir de l’homme est la femme » disait Louis Aragon. Dans tous les cas, elle représente assurément l’avenir de la CGT.


Josselin Lucké-Baron


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