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Avorter en France : récit d’un droit discuté

La proposition de loi visant à allonger le délai de la durée légale de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) de 12 à 14 semaines a été examinée au Sénat mercredi 19 janvier 2022 puis refusée dans la foulée. Cette proposition aurait pourtant pu rendre le droit à l’IVG plus accessible et aider les personnes les plus fragiles. Il semble aujourd’hui important de revenir sur le parcours du droit à l’avortement qui reste encore aujourd’hui difficile à faire valoir malgré sa légalité en France.


Des politiques en fonction des nécessités de l’époque


Au XIXe siècle, les élites sont malthusiennes. En d’autres termes, pour être riche, une nation doit contrôler les natalités de sa population pour ne pas trop mettre de pression sur les ressources, principalement alimentaires. La pression est alors transférée sur les femmes, et surtout sur celles des classes populaires. Etant donné que les salaires sont bas et que le travail des enfants est légal, les ouvrières donnent naissance à beaucoup d’enfants pour avoir plus de revenus. Les catégories sociales supérieures considéraient que les personnes pauvres l’étaient parce qu’ils avaient trop d’enfants : ils étaient responsables de leur misère. Bien que le Code pénal de 1810 envisage l’avortement comme un crime puni de la peine capitale, l’Etat constitué de personnalités malthusiennes ne s’intéresse pas trop à la question.


Mais à la fin du XIXe siècle, l’école devient obligatoire avec la loi Ferry de 1881 – 1882 et le travail des enfants est interdit. Il n’y a alors plus d’intérêt à faire beaucoup d’enfants pour les classes ouvrières, la femme ne veut plus être « exclusivement une procréatrice » selon Madeleine Pelletier, une doctoresse féministe qui a pratiqué illégalement des IVG et partisante du mouvement néomalthusien. Ce mouvement prône la contraception et l’avortement pour que les femmes puissent maitriser leurs corps. Mais les classes supérieures réclament l’interdiction de la contraception, de l’avortement parce qu’il faut des bras pour travailler dans l’armée et dans les usines.


La Première Guerre Mondiale a permis de donner des arguments en faveur de l’interdiction de l’avortement. L’armée a besoin d’hommes et il fallait repeupler la France après un gouffre sanglant dans la croissance démographique du pays. Une loi de 1920 interdit la contraception et la propagande néomalthusienne et une autre de 1924 prévoit que les personnes impliquées dans un avortement soient poursuivies par les tribunaux. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, l’avortement est même reconnu comme un crime contre la nation et la sûreté de l’Etat et est puni de la peine de mort. On retrouve l’idéologie de la devise « Travail, Famille, Patrie ». Les lois anti-avortement et anti-contraception n’ont jamais empêché les avortements clandestins, ils se déroulaient dans des conditions dangereuses mettant en péril la vie des personnes opérées.

Une manifestation pour le droit à l'avortement et à la contraception à Grenoble, en 1973. — PUECH MICHEL/SIPA

La IVe République n’applique plus la peine de mort mais ne légalise pas non plus l’avortement alors que des voisins européens le font. Contre toute attente, cette interdiction n’est alors valable que pour les femmes en métropole. Les travaux de Françoise Vergès ont montré que les médecins pratiquaient des avortements et des stérilisations forcées sur des femmes réunionnaises dans les années 1960 (Le Ventre des Femmes, Françoise Vergès). L’Etat français contrôle les mœurs en même temps que le corps des femmes.


Les résultats d’un long combat

La lutte politique des femmes pour reprendre possession de leur corps commence à s’imposer dans les débats et dans l’opinion publique. Les femmes veulent pouvoir « avoir accès à une contraception sûre et, en cas d’échec, à un avortement sécurisé » (Rage against the machisme, Mathilde Larrère). L’équivalent du Planning Familial est créé en 1957 et propose dans ses centres les noms des médecins qui délivrent la pilule et militent pour la généralisation et la légalisation de la contraception. En 1967, la loi Neuwirth autorisant la contraception est votée mais n’entre en vigueur qu’en 1973 ! Il parait invraisemblable de se dire que la génération de nos parents est née alors que la contraception n’était pas autorisée.


La Une du Nouvel Observateur parue le 5 avril 1971

En ce qui concerne l’avortement, il faut bien sûr parler du Manifeste des 343. Ce manifeste publié en avril 1971 dans Le Nouvel Observateur recense le nom de 343 femmes, dont des célébrités comme Catherine Deneuve et Agnès Varda, qui assument s’être fait avorter et qui risquent la peine de prison. La justice n’en fera rien et ne les condamnera pas. L’année d’après, un autre évènement marque le combat vers la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Il s’agit du procès de Bobigny durant lequel l’avocate Gisèle Halimi a défendu une adolescente qui était poursuivie pour avoir avorté à la suite d’un viol. Lors de sa plaidoirie, Gisèle Halimi a fait le procès de la loi de 1920 et a réussi à faire acquitter sa cliente.


Les femmes continuent de se faire avorter. Elles organisent des voyages aux Pays-Bas, en Angleterre, s’avortent entre-elles pour se réapproprier leur corps et pour contourner l’interdiction toujours en vigueur.


Le 26 novembre 1974, la ministre de la Santé Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée Nationale et délivre un discours devant une audience composée presque uniquement d’hommes pour présenter le projet de loi destiné à libéraliser et donc à encadrer l’IVG. Elle précise qu’ « aucune femme n’y a recourt de gaité de cœur » et que « nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les trois cent mille avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours ». Elle se fait alors insulter et traiter de tous les noms, certains députés comparent l’avortement à un « génocide », à des « embryons jetés au four crématoire » devant Simone Veil, rescapée des camps de la mort. Finalement, la loi finit par être votée avec 284 votes pour contre 189. Cette loi est le symbole d’une grande avancée en France. En revanche, elle n’était qu’une loi expérimentale pour faire mieux passer la pilule. Elle n’a été rendue permanente que cinq ans plus tard.


D’autres lois ont permis de rendre l’IVG plus accessible : le remboursement par la Sécurité sociale en 1982 (loi Roudy), l’instauration du délit d’entrave à l’IVG en 1992 (loi Neiertz). Des militantes demandent de rendre l’IVG encore plus accessible, notamment par l’allongement du délai légal. Beaucoup de personnes se retrouvent à vouloir avorter mais sont au-delà de 12 semaines de grossesse. Pour celles qui peuvent financer un voyage aux Pays-Bas où le délai maximum est de 24 semaines, tout est plus simple. Mais quand ce n’est pas possible, ces personnes sont prêtes à se mettre en danger pour ne pas avoir d’enfants. Les conséquences psychologiques d’une grossesse non-désirée sont désastreuses pour la personne ayant donné naissance mais aussi pour l’enfant. Encadrer l’avortement en répondant aux demandes des personnes concernées, c’est faire évoluer une société dans le besoin.


Margot Zuliani


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