Alors que la grève générale indéterminée a démarré le 18 octobre dans la région de Santa Cruz et s’est étendue à d’autres régions en Bolivie, le gouvernement a déjà violé certains principes des droits de l’Homme pour réprimer les manifestants. Ces derniers cherchent à faire pression sur le gouvernement afin d’organiser un recensement le plus tôt possible. Pourtant la couverture médiatique de l’événement semble presque absente tant de la part des journaux que de la part des organisations de protection des droits de l’Homme.
Un recensement déterminant tant en économie qu’en politique.
En Bolivie le recensement a une importance essentielle. En premier lieu, le résultat du recensement à un impact sur le poids politique des régions au niveau national. En effet, alors que le nombre de sièges alloués au Sénat pour chaque région est fixe, ce n’est pas le cas pour une partie du nombre de sièges alloués à l’Assemblée qui est déterminé par la répartition de la population dans le pays. La répartition de la population étant déterminée par le recensement, celui-ci à une influence importante sur la politique au niveau nationale.
Le dernier recensement ayant eu lieu en 2012, la répartition des populations par région a évolué depuis, principalement dans la région attractive de Santa Cruz qui produit à elle seule presque 30% du PIB national et a le taux de croissance le plus élevé dans le pays. D’après les données de l’institut national des statistiques de Bolivie (INE) la population a augmenté de 21% entre 2012 et 2021. Le recensement ayant lieu tous les 10 ans, il devait être organisé cette année mais le gouvernement en a décidé autrement en le reportant à la fin de l’année 2024.
De plus, le recensement permet de fixer les sommes que le gouvernement alloue à chaque région tous les ans. Les mêmes chiffres sont donc utilisés depuis 2012, et plusieurs régions qui pourraient bénéficier des résultats d’un nouveau recensement, Santa Cruz en premier lieu, ne sont pas d’accord avec ce report qui repousse pour encore 3 ans une meilleure répartition des ressources économiques dans le pays.
Le second problème est que les élections présidentielles, sénatoriales et législatives ont lieu au même moment dans le pays, et les prochaines élections ont lieu en 2025. Cependant les résultats de recensement ne sont disponibles en moyenne qu’un an et demi après le recensement. Cela signifie que si ce dernier a lieu de nouveau en fin d’année 2024, les résultats ne seront pas utilisables pour les élections de 2025, qui se baseront sur les résultats de celui de 2012 pour déterminer le nombre de députés par région. La région de Santa Cruz, mécontente car elle comptait sur de nouveaux chiffres pour avoir une voix plus importante à l’Assemblée et de meilleurs subsides de la part du gouvernement a alors décidé de déclarer la grève générale à durée indéterminée le 18 octobre, paralysant une grande partie de la région et principalement sa ville moteur : Santa Cruz de la Sierra. Cela a causé des pertes importantes pour l’économie bolivienne, le pays a perdu, rien que lors des 14 jours de grève, 503,7 millions de dollars.
Une grève qui met le feu aux poudres
La grève est menée de manière pacifique par les habitants de Santa Cruz depuis le début. Ceux-ci créent des points de blocage sur les axes d’accès principaux à l’aide de barricades de fortune, organisent des veillées devant les institutions publiques, ou encore, mettent en place des cours de zumba sur les routes.
Cependant, au vu des pertes conséquentes causées par la grève, la tension se durcit de plus en plus entre le gouvernement et les représentants de la région qui soutiennent le mouvement. Des associations et des syndicats proches du gouvernement ainsi que des militants du parti au pouvoir font d’ailleurs pression sur le gouvernement pour que ce dernier déclare l’Estado de exceptión. Cette expression, que l’on pourrait traduire par État exceptionnel, est en fait un État de siège qui peut être déclaré en cas de menace externe ou interne, ou en cas de désastre naturel. C’est une situation exceptionnelle où l’État peut violer certains principes et droits garantis par la constitution. Cet état de siège donne certains pouvoirs au président pour prendre des décisions qu’il ne pourrait pas prendre seul en temps normal. Bien que le président n’ait pas énoncé la volonté d’en arriver là, ceux qui soutiennent l’adoption de cette mesure n’ont pas attendu d’avoir le feu vert pour intervenir. En effet les soutiens du gouvernement ont mené des actions de répression des manifestants au même titre que la police, sans être sanctionné par les autorités qui les laissent faire.
Les affrontements ont commencé dès le premier jour de la grève générale et ont déjà fait plusieurs morts. Des gaz lacrymogènes sont tirés à bout portant sur les civils pacifistes et les journalistes sont fortement réprimés, certains ont même été hospitalisés pour des blessures critiques. Ces violations manifestes des droits de l’Homme sont accompagnées d’autres initiatives notamment des syndicats constitués de fonctionnaires du gouvernement. Ces derniers ont organisé un blocus dès le 24 octobre afin de couper totalement la ville de l’extérieur. Presque rien n’entrait ni ne sortait de la ville. Les manifestants sont parvenus lors d’affrontements à le lever à certains endroits et les exportations essentielles ont repris au bout de quelques jours car Santa Cruz produit l’essentiel de l’alimentation du pays. Cependant le blocus empêche toujours tout autre convoie que ceux commerciaux à sortir de la ville ou à y entrer.
Depuis le 7 novembre, la grève s’est étendue à d’autres grandes villes comme Tarija, Oruro, La Paz ou encore Cochabamba en soutien à Santa Cruz. Les départements de ces villes pourraient également profiter des retombées du recensement mais leur soutien vise aussi à accélérer le mouvement et mettre fin à la situation qui pénalise tout le pays. Le paro civico indefinido - appellation bolivienne de cette grève - prend chaque jour plus d’ampleur : des députés de Santa Cruz, La Paz et Cochabamba ont commencé une grève de la faim le 9 novembre.
Une couverture médiatique compliquée à l’intérieur et inexistante à l’extérieur
Alors que le refus de faire le recensement cette année, comme cela était prévu à l’origine, fait l’objet de contestations au sein du parti du Président. Celui-ci reste sur ses positions et a envoyé des renforts policiers venus d’autres départements afin de « contrôler » au plus vite la situation. Malgré le fait que d’autres partis du pays aient rejoint la contestation, la ville de Santa Cruz de la Sierra et sa périphérie sont les seules touchées par le blocus et les violations des droits de l’Homme qui y ont lieu. Aux vues des répressions contre la presse, la couverture de l’évènement est compliquée et dangereuse, mais pourtant pas inexistante ni impossible. Tous les médias du pays s’intéressent aux événements tant l’impact sur l’économie et la production est grand. Cependant la situation ne semble pas raisonner en dehors de la Bolivie. Les pays voisins ne médiatisent pas l’événement tout comme les organisations internationales de défense des droits de l’Homme, comme Amnesty International ou Human Rights Watch. Le seul acte notable est un communiqué de l’ONU en Bolivie demandant la paix après le premier décès.
Pour Maya Vera, étudiante à Paris et originaire de Santa Cruz, ce silence est une honte. « C’est extrêmement triste que personne ne parle des violations des droits de l’Homme – en particulier envers les journalistes – qui ont lieu à Santa Cruz. Il n’y a pas d’échos dans les mainstream media alors que si cette situation se déroulait dans un pays développé en Europe ou aux États-Unis, tout le monde serait déjà au courant et crierait au scandale. Parce que c’est un scandale ! Même si la Bolivie est un “pays insignifiant en Amérique Latine” les droits de l’Homme sont les mêmes pour tous, quel que soit le pays et leur non-respect devrait être médiatisé de la même manière partout. »
Flora Vandewalle
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