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« Chaos d’anthologie : Woodstock 99 », le récit d’un remake cataclysmique

Il y a de ces événements qui marquent l’histoire à tout jamais. Inscrite dans un contexte politico-social propice, la première édition du festival Woodstock en août 1969 fait partie de ces instants désormais classiques. Woodstock 69 fut un véritable succès. Le temps de quelques jours : un poster parfaitement représentatif de la contre-culture hippie des années 60 anti-violence et pro-paix. Le plus grand festival de musique de tous les temps rassembla 500 000 personnes dans le petit hameau de Bethel dans l'État de New York, prêtes à écouter attentivement les plus grandes rockstars du monde : Jimi Hendrix, The Who, Carlos Santana...


Alors, lorsque Michael Lang, le producteur de musique à l’origine de l'événement, décide d’organiser une édition spéciale en 1999 pour fêter les 30 ans de la première édition, difficile de le freiner. Plus de 20 ans après cette tentative de « remake », Netflix décide de s’y pencher en sortant le documentaire « Chaos d’anthologie : Woodstock 99 ». Réalisé par Jamie Crawford et divisé en trois parties, la série relate parfaitement la manière avec laquelle un festival aux allures d’hommage universel s’est très vite transformé en un défouloir à ciel ouvert pour des jeunes en quête de sensations fortes.


Image extraite de l’épisode 3 de la saison 1 de la série documentaire « Chaos d’anthologie : Woodstock 99 », de Jamie Crawford. (NETFLIX)

La genèse du projet : profit, profit ou encore profit


Michael Lang le déclare lui-même au début de la série : « Pendant des années, je n’ai pas voulu le refaire car je pensais impossible qu’on retrouve le même impact de paix, d’amour et de flower power ». Il décide finalement dans les années 90 de relancer le festival pour « s’opposer à la violence armée qui se déchaînait en Amérique », à l’image de la tuerie de Columbine. Un an avant le début du festival, il commence donc à s’entourer d’associés pour amasser les fonds nécessaires. Il rencontre alors John Scher, promoteur de nombreux concerts chez Metropolitan Entertainment. Les deux hommes s’allient et autour d’eux, leurs équipes respectives sont sceptiques, ne croyant pas à un éventuel succès après le flop de la deuxième édition de 1994. Mais l’homme d’affaires ne le voit pas de cet œil et rejette la décision du conseil qui lui préconise de ne pas se lancer dans un tel projet. Il déclare à ses collaborateurs d’un ton ferme : « Je suis le PDG. On le fera ».


Dans le documentaire, on comprend rapidement la démarche de John Scher, focalisé sur le bilan comptable : « La musique en 1994 était absolument formidable, mais cela n’a rien rapporté financièrement ». Pour l’édition 1999, il l’énonce clairement : « il fallait absolument faire du profit ». Alors, on dit bye-bye à l’expérience hippie où le message prime et bonjour à une expérience capitaliste où chaque service ou bien est pensé pour être facturé aux spectateurs. Les grands moyens sont alors de sortie, les premiers plans révélés : le festival se déroulera sur une ancienne base militaire désaffectée de 140 hectares dans la ville de Rome, dans l’état de New York.


Les plus grands noms du rock international sont de la partie : Korn, Limp Bizkit, Rage Against The Machine, les Red Hot Chili Peppers… et les jeunes américains s’empressent de prendre leur place. 250 000 personnes sont attendues sur le site pendant quatre jours, en plein mois de juillet. Pour les encadrer, seulement 10 000 personnes embauchées pour assurer la sécurité, en manque de formation (trois heures seulement) et reconnaissables grâce à un simple tee-shirt jaune floqué « Peace Patrol ».


Une chronologie digne d’un roman parfaitement écrit


Malgré un premier jour qui se passe relativement bien, la réalisation du documentaire s’efforce de montrer le plus fidèlement possible les différentes étapes dans la perte de contrôle du festival par les organisateurs. Dès le premier concert sur la scène principale, James Brown met du temps à venir sur scène car il n’a pas signé de contrat pour être payé pour sa performance. Un élément annonciateur des problèmes à venir.


Néanmoins, c’est bien dès le second jour que la machine se dérègle totalement et que la recette du documentaire se met à fonctionner. A la réalisation, Jamie Crawford s’appuie sur un triptyque efficace : un élément déclencheur (avec les heures et minutes précises), de l’immersion (grâce aux archives vidéos filmées dans l’équipe d’organisation) et la réaction des festivaliers (grâce à leurs témoignages). Ces trois éléments permettent au spectateur de sentir cette montée en puissance du chaos sans qu’il ne soit inaccessible. On comprend totalement comment les choses ont déraillé et que chaque petit élément a pesé son poids dans la balance.

Par exemple, le documentaire dépeint bien la personnalité des deux organisateurs John Scher et Michael Lang, qui semblent être porteurs d’« œillères ». En effet, ils nient les défaillances de la sécurité et accusent même le chanteur du groupe Limp Bizkit d’être l’unique responsable du chaos (car il aurait harangué la foule) lorsque les premiers débordements apparaissent.


La chaleur a aussi eu un rôle majeur dans la fondation de ce chaos. En réalité, c’est surtout le manque de préparation des promoteurs face à cette chaleur. La base militaire est le premier mauvais choix car elle ne propose aucun point d’ombre, mais aussi car le soleil se reflète sur le goudron, ce qui augmente considérablement les températures. Puis, toujours dans la démarche de faire le plus de profit possible, les boissons sont proposées à des prix exorbitants : 4 dollars contre 0.65 cents dans le commerce. Les festivaliers n’ayant pas les moyens doivent subir ces pics de chaleur sans eau et ils sont nombreux à subir des insolations. La fatigue monte alors en flèche dans le public et par conséquent, les nerfs commencent à se chauffer, voire à exploser.


« C’était tout sauf Woodstock »


Les premiers comportements douteux apparaissent lors du concert de Sheryl Crow. Des spectateurs la sifflent et lui demandent de « montrer ses seins ». L’esprit originel de Woodstock censé être un mélange de vivre-ensemble et de respect semble avoir disparu. Le journaliste d’ABC News David Blaustein intervient dans le documentaire et explique assez précisément que le contexte culturel et social en 1999 est bien différent de celui de 1969 : « On assiste au scandale Bill Clinton ; au succès d’American Pie qui déborde de sexualité d’un point de vue masculin ; à la sortie de Fight Club qui aborde le concept de masculinité, de violence et de consumérisme ». « C’est un bon aperçu de la psychologie des gamins qui ont assisté à Woodstock 99 ».

Les groupes, via leur performance, ne feront qu’augmenter cette tension électrique présente dans l’air, prête à disjoncter. La rage et l’agressivité de Korn agiront comme un détonateur sur des foules d’adolescents déchaînés, sautant dans tous les sens, se déshabillant, grimpant sur les barrières, les structures en métal...


La série conserve une place importante aux problèmes de violences sexistes et sexuelles ayant eu lieu dès le troisième jour. Des centaines de jeunes femmes ont raconté avoir subi des attouchements lors des concerts, la foule étant tellement compressée qu’il était facile pour un agresseur de passer à l’action sans être inquiété. Le documentaire s’appuie aussi sur le récit d’un viol sur mineure pendant la performance de Fatboy Slim. Lors du set du DJ, des jeunes prennent le contrôle d’un van et le conduisent dans la foule, créant le chaos et obligeant les organisateurs à suspendre le show. Les premiers services de sécurité arrivent à proximité du van et aperçoivent une jeune fille évanouie. Son pantalon est descendu aux chevilles, tandis qu’à côté, un jeune homme est en train de remettre son short.


Un point culminant du chaos… malheureusement évitable


À la chaleur écrasante va s’ajouter l’eau souillée, l’énervement des spectateurs face à l’augmentation des prix de la nourriture et aux conditions d’hygiène déplorables, mais aussi une baisse de la sécurité. En effet, de nombreux bénévoles quittent leur poste et revendent leur fameux « t-shirt jaune » pour plusieurs centaines de dollars promettant à d’autres que cet habit permet un accès en backstages...


La braise prend alors et l’étincelle se transforme en véritable flamme lors du dernier jour. Le soir, à la fin du concert des Red Hot Chili Peppers, une dernière mauvaise idée soutenue par John Scher et déconseillée par son équipe et par les pompiers, constitue l’élément déclencheur du point culminant de ce chaos. Pour marquer le coup face à la violence armée, l’organisateur (avec la collaboration de l’association PAX) décide de fournir à chaque spectateur une bougie pour qu’il l’allume et que l’effet visuel mais aussi le message soient réussis. Malheureusement, après ce magnifique coup de communication, certains spectateurs gardent leur bougie et commencent à allumer des feux à travers la foule. Très vite, les organisateurs perdent le contrôle et des dizaines d’incendies prennent forme. Les spectateurs, déchaînés, arrachent les barrières et jettent des morceaux de bois à travers le feu. Ce qui devait être un festival de musique fédérateur se transforme finalement en un champ de bataille à ciel ouvert où toutes les destructions sont permises et où l’anarchie règne. Des camions de gaz explosent, les tours en métal sont désossées, les stands de nourriture attaqués…



Le public, allumant les bougies lors de la performance des Red Hot Chili Peppers. (Frank Micelotta / Getty Images)

Le bilan tragique (3 morts et des centaines de blessés) de cette édition de Woodstock 99 ternira l’image de cet événement classique de la pop-culture et le fera entrer dans la postérité des événements culturels et musicaux ratés. En cause : une organisation laissée entre les mains de deux hommes obnubilés par le profit, quitte à réduire sans cesse les coûts liés à la sécurité quelques mois avant le festival. Ce n’est pas la première fois qu’une production Netflix se concentre sur la création d’un documentaire montrant les étapes de l’échec d’un festival. Elle l’avait déjà fait en 2019 avec le documentaire « Fyre : The Greatest Party That Never Happened ». Avec « Chaos d’anthologie : Woodstock 99 », la plateforme américaine réussit le tour de force de captiver son auditoire pendant plus de 2 heures 20. En faisant monter la pression et le suspens petit à petit de manière remarquable, la plateforme américaine embarque le spectateur dans un retour vers le passé immersif.


Thomas Dagnas

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