Pensez-vous que l’on verra un jour la fin de la mafia ? Question pléthorique pour certains, contre intuitive pour d’autres, le juge Giovanni Falcone, figure clef de la lutte contre la Mafia Sicilienne et assassiné par cette dernière en 1992, y apportera cependant une réponse cinglante : « Je crois que nous ne la verrons ni vous ni moi. »
© Christophe LEPETIT
Près de 30 ans plus tard, la scène internationale du trafic de drogue a considérablement évolué, malgré un principe qui n’a pourtant quant à lui que très peu changé. Sous proposition du groupe politique Les Républicains, le Sénat ouvre le 27 novembre 2023 une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France. Les parlementaires se basent sur un constat alarmant dans un contexte d’une hausse du narcotrafic, de la violence et notamment de sa banalisation. En France, en 2022, c’est près de 27,7 tonnes de cocaïne saisies (une hausse cinq fois supérieure comparé à 2012). Mais également une augmentation des assassinats ayant pour fond le trafic de drogue. Ce que la presse s’est pris d’intérêt à nommer de « narcomicide ». À Marseille, c’est 44 personnes décédées dans ces conditions dans la première moitié de 2023, ce qui correspond à autant de personnes pour l’année 2021 pour toute la France. On pense notamment aux violences au sein de la cité de la Paternelle entre la DZ Mafia et le Clan Yoda depuis 2021 dont les gérants sont respectivement expatriés à Dubaï et au Maroc. Mais le trafic de drogue se répand de plus en plus dans la France rurale et l’augmentation des saisies dans des villages de -1000 habitants ne cesse d’augmenter.
Après plus de 6 mois de travail et l’audition de plus de 150 personnes dont Monsieur Dupont-Moretti, ancien garde des Sceaux, Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale ou bien Bruno Le Maire, ancien ministre des finances ; la commission d’enquête rend son rapport le 14 mai 2024. Dans ses conclusions, trois principales recommandations :
1° De faire preuve d’une lucidité et de percevoir pleinement la menace du narcotrafic en France.
2° D’avantage frapper le haut spectre du trafic et ne plus se limiter à des opérations de contrôle.
3°Structurer davantage les actions de services et de luttes afin de créer un véritable « DEA à la française. »
De ce rapport de nombreux constats et solutions sont faits, notamment en matière judiciaire. Il est demandé de renforcer la coopération juridique entre la France, la Colombie et le Venezuela, mais également entre Dubaï et la Chine, qui sont devenus ces dernières années de véritables paradis du blanchiment d’argent par une opacité extrême et une moindre coopération.
Il est ainsi demandé de « suivre l’argent pour comprendre le système » , l'argent étant le nerf de la guerre du narcotrafic. Auditionné le 26 mars 2024, Bruno le Maire estime à 3,5 milliards d'euros au minimum le chiffre du blanchiment d’argent en France. Blanchiment qui, paradoxalement, se complexifie de moins en moins face au renforcement de la coopération bancaire et financière internationale, se basant aujourd’hui davantage sur des commerces de proximité (Kebab, salon de coiffure, chicha) ainsi que des systèmes traditionnels (Hawala). Dans certains cas, l’argent ne prend même plus la peine d’être blanchi et est réinjecté directement en cash.
De plus, il est demandé d’améliorer l’aide européenne ainsi que le renseignement criminel et le statut de « repenti » afin de permettre un meilleur développement du renseignement. Une meilleure surveillance de la corruption qui est, selon Jérôme Durain, président de la commission d’enquête, non pas généralisée mais de plus en plus présente et diversifiée. La création d’un parquet national anti stupéfiants. Ou encore de gagner la bataille « culturelle » afin d’empêcher les mineurs de s’enrôler vers le crime organisé, on pense notamment au chauffeur VTC assassiné lundi 7 octobre dernier par son client de 14 ans suite à son refus de le conduire sur un lieu de règlement de compte à Marseille.
Cependant, entre constat et observation, la pratique manque réellement. Ce rapport n’ayant qu’une simple portée indicative, le gouvernement reste libre d’appliquer les conseils, ou non. De plus, en cette période d’austérité budgétaire, l’argent demeure le nerf de la guerre et le coût financier de ces opérations reste conséquent. Entre observation mais inaction, il est du rôle de l'État de désormais blanchir son intégrité.
Thomas Veidic
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