A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le monde prend conscience des horreurs subies, de la Shoah, puis, dans un second temps, de la spoliation de près de 100 000 œuvres d’art qui ont quitté la France. La spoliation est alors l’action de dépossession massive et planifiée d'œuvres d'art.
@ Conseil des maisons de ventes L'autorité de régulation des ventes aux enchères publiques
En 1945, et grâce aux “Carnets” de Rose Valland, 60 000 œuvres reviennent sur le territoire français. Certaines œuvres sont restituées, d’autres conservées dans des musées sous le statut de “Musée Nationaux Récupération” (MNR), dans l'attente d'être restituées. Mais un grand nombre d'entre elles finissent par tomber dans l’oubli après les années 60… Il faudra attendre les années 1990, pour que les questions relatives à la provenance de ces œuvres ravivent les esprits.
Rose Valland en uniforme, 1945. Coll. Camille Garapont.
Aujourd'hui, les changements de mentalités qui sont de tout évidence en train de s’opérer au sein des institutions muséales, mais également et surtout politiquement autour des enjeux patrimoniaux et des politiques de restitution, remettent la recherche de provenance sur le devant de la scène.
Une nouvelle formation à l’université Paris Nanterre
La récente formation de “Recherche de provenance” pourrait davantage se développer dans l’avenir…
Alors que certains pays tels que les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Angleterre ou encore l'Australie offrent déjà des formations et reconnaissent la profession de “chercheur de provenance”, elles restent toutefois relativement récentes sur le territoire européen.
Depuis février 2022, l’Université de Nanterre est la première université à proposer une formation spécialisée diplômante. La première promotion d’étudiants qualifiés dans la recherche de provenance, appelée la “promotion Rose Valland”, vient de naître.
Cette formation s’établit sur six mois, et équivaut à un Master 2. Le diplôme universitaire, intitulé « Recherche de provenances d’œuvres d’art : Circulations, spoliations, trafics illicites, restitutions », a pour vocation d’offrir à ses étudiants une sorte de “boîte à outils” destinée à contrer les dangers inhérents au marché de l’art.
Pour cela, il est essentiel d’apprendre à faire des recherches sur les circonstances d’acquisitions dans les collections publiques et privées, mais également sur la circulation du patrimoine culturel en particulier dans le contexte de la colonisation ou en période de guerre. La recherche de provenance relève du travail, des musées, des bibliothèques, des archives et bien sûr du marché de l’art.
Un regain d'intérêt sur les provenances des œuvres d’art
La provenance d’une œuvre d’art est devenue primordiale voire indispensable. Il s'agit d'une enquête qui amène le chercheur à retracer le parcours d'une œuvre d'art et à déterminer les propriétaires successifs jusqu'aux origines de sa création.
Depuis 1999, les deux grandes maisons de ventes internationales ont créé un “département des restitutions” spécialisé dans les recherches de provenance, doté de quatre personnes à temps plein. Or, même si leurs initiatives semblent louables, ces maisons de ventes utilisent cet argument de traçabilité et de transparence à des fins commerciales.
Des institutions se développent pour lutter contre le trafic illicite de biens culturels, à la poursuite du règlement des conséquences des crimes de la Seconde Guerre mondiale, des collectes et appropriations dans les contextes coloniaux, les conflits armés contemporains et les révolutions. De cette manière, la recherche de provenance apporterait une sécurité quant à la traçabilité des biens, un brin d’air frais au marché de l'art qui a pour réputation d'offrir parfois des œuvres à la provenance opaque ou douteuse...
Ces institutions traitent également des demandes de restitutions, aident les ayants-droits des familles spoliées et collaborent avec des généalogistes, avocats spécialisés…
Désormais, la jeune génération a pris conscience et manifeste un intérêt grandissant pour ces problématiques qui font intimement écho à une quête de justice, de réparation des horreurs du passé, d’équité sociale et historique.
Un regain d’intérêt commercial
La notion de “provenance” d’œuvre d’art est devenue le leitmotiv de toutes maisons de ventes. En effet, lors de la mise en vente d’un bien, les informations de provenance peuvent rassurer les acquéreurs et par voie de conséquence, influencer le prix d’adjudication, légitimer les qualités esthétiques. Il est très disgracieux pour une maison de vente de présenter un faux ou une œuvre à la provenance douteuse lors d’une vente. De cette manière, la provenance est devenue le meilleur critère permettant de rassurer les acheteurs sur la traçabilité des biens et donc sur la légalité d’une vente, et d’optimiser le résultat de vente.
La recherche de provenance comme discipline à part dans l'Histoire de l'art
En France, concernant le contexte des spoliations, se sont créées de nombreuses bases de données numériques comme la base Rose Valland”.
Il s’agit d’une base de données qui recense les 2000 œuvres spoliées conservées par les musées de France (collection MNR), en attente d’être restituées aux ayants droits de familles spoliées. Elles ne font pas partie des collections nationales. Elles permettent de faire connaître et prendre conscience des collections MNR présentent dans les musées, en ayant pour objectif de les restituer.
D'autres registres, sont nés comme le Art Loss Register (ALR, en français Registre des œuvres d'art perdues), fondé à Londres. Il se présente comme une base de données informatique internationale qui contient des informations sur les œuvres d'art, les antiquités et les collections. Toute personne, privée ou travaillant dans le marché de l’art, peut alors établir une requête afin de récolter des informations sur l’origine d’une œuvre en particulier.
La recherche de provenance, c’est d’abord une vocation professionnelle
Pour certaines personnes, la recherche de provenance a été la quête d’une vie.
A ce titre, nous pouvons citer Maître Corinne Herskowitz, une avocate engagée depuis plus de 25 ans, au nom des restitutions d'œuvres d’art, ou encore Madame Emmanuelle Polack, historienne de l'art, spécialiste de la question du “marché de l'art sous l'Occupation” et notamment de la spoliation d'œuvres d'art par le régime nazi.
Corinne Hershkovitch, à Berlin, en Allemagne, le 22 janvier 2020.
JOHANNA MARIA FRITZ POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
Mais il ne faut pas oublier, les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, comme Rose Valland, conservatrice au musée du Jeu de Paume, qui a risqué sa vie pour la protection du patrimoine français. Elle a notamment participé à la répartition d’un grand nombre d'œuvres spoliées et entreposées au musée du Jeu de Paume, permettant par la suite de nombreuses restitutions.
@Emmanuelle Polack | Site officiel
Un métier aux enjeux multiples
Aujourd’hui, l’acquisition d'œuvres d’art dont la provenance n'a pas été attestée, ni vérifiée, peut s’avérer risquée.
Le 27 novembre dernier, la chanteuse Madonna, a publié sur les réseaux sociaux, une photo d’elle posant dans sa cage d’escaliers, sur laquelle on aperçoit un tableau ancien représentant “Diane et Endymion”. Une œuvre qui suscite de nombreuses controverses en France, suite à la disparition de ce tableau en 1911, dans la région d'Amiens, durant les dépossessions de la Première Guerre mondiale, avec une dizaine d’autres œuvres.
L'œuvre a-t-elle fait l’objet d’une spoliation ou bien a-t-elle été acquise en toute légalité? D’où la nécessité d’effectuer des recherches afin d'anticiper ce genre d’incident entre propriétaire légitime et acquéreur de bonne foi.
@MadonnaNationX
De plus, au-delà de la volonté d’assainir le marché de l’art, la recherche de provenance, contribue à un devoir de mémoire, de réparation des horreurs du passé.
En France, a été instaurée la Commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS). Même si ces institutions restent encore limitées, elles ont déjà permis de restituer un certain nombre d'œuvres aux familles dépossédées de leurs biens.
Ainsi, la profession de “chercheur de provenance” devrait prochainement voir le jour. Les investigations nécessaires à la traçabilité des biens, devraient s’imposer comme étant le seul remède pour contrer les dérives d’un marché de l’art parfois trop cupide, et éviter les grandes affaires comme celles actuellement sous les feux de la rampe.
Elle est idolâtrée par les jeunes, avides d’un devoir de mémoire et de justice. Un métier de passion et artistique que tous les acteurs du marché de l’art ne pourront désormais contourner.
Jade Teboul
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