Joe Biden creuse l’écart face à son adversaire républicain Donald Trump. Avec 57% d’intentions de vote, Joe Biden a donc 16 points d’avance sur le président sortant (41%), remis à peine de sa convalescence express suite à son test covid-19 positif. À moins d’un mois du scrutin, ce sondage est publié par la chaîne d’information en continu CNN (équivalent de notre BFMTV français). Mais ces chiffres, pris en eux-mêmes, ne nous révèlent (presque) rien sur les résultats du 3 novembre 2020. Explications.
Que ce soit aux États-Unis ou dans d’autres régimes représentatifs tel que la France, les sondages d’opinion foisonnent à l’approche des élections. Enquête statistique reposant sur l’interrogation d’un échantillon représentatif d’une population, dont le but est de donner une indication quantitative (en chiffres) sur des opinions, des envies ou des comportements à une date précise, les sondages d’opinion représentent un enjeu important pour les candidats.
Il permet de conforter la popularité de certains, de révéler le rejet que suscite d’autres auprès de la population. Dans un article du Figaro le 14 avril 2017, le professeur de Science Politique Alain Garrigou allait même jusqu’à déclarer que « les sondages faussent le jeu politique ». La sociologie américaine met traditionnellement en exergue deux effets des sondages d’opinion sur les électeurs : L’un nommé Bandwagon effect qui traduit l’idée qu’un candidat en avance dans les sondages peut inciter à ce que davantage d’électeurs votent pour lui. À l’inverse, l’underdog effect souligne la mobilisation d’un électorat voire de la base partisane d’un candidat à la traîne dans les sondages.
Bien sûr, les sondages d’opinions ont certainement une influence non négligeable sur la façon dont les journalistes et les candidats politiques abordent la campagne politique. Pour illustrer cela, il suffit de se rappeler la polémique durant la campagne présidentielle française de 2017 où certains candidats ne pouvaient pas participer aux débats télévisés en raison de leurs faibles scores dans les sondages d’opinion.
En réalité, il est difficile de réellement mesurer l’influence des sondages tant le vote des électeurs s’expliquent par une multitude d’autres facteurs.
Le sondage que CNN a publié mardi 6 octobre 2020 révèle non seulement l’avance confortable de Joe Biden sur Donald Trump, mais aussi une image plus positive de l’ancien Vice-président de Barack Obama par rapport au Président républicain sortant. Pour ne prendre que quelques chiffres, 59% des sondés préfèrent l’approche de Joe Biden sur l’épidémie du coronavirus contre 38% pour Donald Trump.
52% des américains ont également une vision positive du candidat démocrate alors qu’ils sont 39% à avoir une vision positive du Président américain sortant.
Le problème qui peut se poser est l’utilisation de ces sondages d’opinion. Évidemment les acteurs politiques, pour qui ces sondages sont favorables, ont parfois intérêt à les utiliser comme des sortes d’oracles pour espérer créer un effet « Bandwagon ».
Ce qui est le plus dérangeant est la mise en avant de ces chiffres par des analystes politiques, dont la parole est généralement perçue comme légitime voire scientifique, sur les réseaux sociaux, les plateaux de télévision, telles des vérités exactes.
Un sondage d’opinion est aussi éphémère qu’un papillon
La métaphore animalière n’est peut-être pas l’image la plus parlante qui soit pour exprimer le propos ici tenu. Mais elle résume effectivement l’idée que les opinions exprimées par un sondage ne sont vraies qu’au moment où elles sont dites. Il a été démontré de façon récurrente qu’une part non négligeable d’électeurs ne savent pas encore pour qui voter une semaine voire la veille de l’élection. Rien ne démontre non plus que ce que déclarent les individus comme étant leur positionnement sur un sujet soient vraiment ce qu’ils pensent. Et c’est pour cela d’ailleurs que les sondages d’opinion ont pendant longtemps sous-estimés les votes extrémistes, moins avouables.
En d’autres termes, un sondage n’est qu’une séquence parmi d’autres d’opinions qui se font et se défont en fonction d’autres facteurs comme la situation économique, la révélation d’une affaire judiciaire etc.
Pour lire un sondage, il faut en regarder plusieurs sur le long terme et essayer de dégager une dynamique. In fine, ce qui importe n’est pas que Joe Biden est 16 points d’avance sur Donald Trump ou qu’il soit plus populaire que lui, mais la trajectoire de ses courbes constituées à partir de plusieurs sondages.
Pour illustrer cela, prenons exemple sur la campagne présidentielle américaine de 2016. Hillary Clinton, la candidate démocrate, possède une avance non négligeable sur son rival républicain Donald Trump. Le dernier sondage d’intention de vote réalisé avant l’élection donne la candidate démocrate en avance de 4 points sur son adversaire républicain, avance qui lui permettrait de gagner l’élection. Or, comme le rapporte un graphique du Huffington Post, les deux dernières semaines montrent des chevauchements entre les courbes des deux candidats. Suite à un relancement de l’enquête du FBI sur les e-mails d’Hillary Clinton, la dynamique de la candidate démocrate s’est ralentie contrairement à celle de Trump.
Les sondages d’opinion s’inscrivent dans un contexte électoral
Les critiques des sondages d’opinion se développent aux États-Unis dès les années 30. Parmi celles-ci, l’idée que les opinions individuelles récoltées lors d’un sondage ne peuvent être considérées comme formant, ensemble, l’opinion publique. Cette dernière ne serait donc pas un agrégat d’opinions individuelles exprimées isolément suite à une question posée mais un processus collectif, forgé de la discussion, du débat et de la confrontation entre individus. D’autres critiques s’ajoutent comme celles exprimées par Loïc Blondiaux dans son article Ce que les sondages font à l’opinion publique (Politix, Revue des sciences sociales du politique - 1997). Le politologue français souligne que les sondages supposent que les opinions se valent toutes. Un institut de sondages pose la même question, de la même manière, à des personnes dont les profils sont différents. Or selon lui, la société est jalonnée de rapports de force, il existe des leaders d’opinion, c’est à dire des personnes qui par leur talent oratoires, leur position sociale, le charisme qu’elles dégagent vont avoir des opinions qui auront plus d’influences que d’autres au cours d’un cycle électoral.
Par ailleurs, les sondages d’opinion ne révèlent pas l’importance du système électoral dans lequel s’inscrit un vote. Concernant l’élection américaine, ce n’est pas seulement le nombre de votes qui importe, mais surtout la façon dont ils sont répartis afin de remporter les Swing states afin de disposer de suffisamment de grands électeurs.
Afin de comprendre les enjeux autour de la forme du scrutin de la présidentielle américaine, lire : https://loeildassasparis2.wixsite.com/loeildassas-website/post/chronique-présidentielle-américaine-j-35-s-il-n-y-avait-pas-de-vainqueur-mardi-3-novembre-2020
Pour ne prendre que l’exemple de l’élection présidentielle américaine de 2016, Hillary Clinton a gagné le vote populaire avec près de 3 millions de voix d’avance sur le candidat républicain. Les sondages avaient donc justement estimé un plus grand nombre d’électeurs votant démocrate plutôt que républicain. Seulement Donald Trump a obtenu des bons scores dans des États clefs, c’est à dire qui attribuent un nombre important de grands électeurs qui sont in fine en charge d’élire le président des États-Unis d’Amérique.
Malgré une nette avance de Joe Biden dans le sondage de CNN publié mardi 6 octobre 2020, rien n’assure qu’un événement politique ou un nouveau décalage entre le vote populaire et le nombre de grands électeurs obtenus ne favorisent la réélection de Donald Trump.
Melchior Delavaquerie
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