Alors que Donald Trump semble fragilisé par des révélations sur ses impôts, la réélection du président républicain ou la victoire du candidat démocrate Joe Biden le mardi 3 novembre 2020 semble incertaine.
Un chaos total concernant les modalités de vote
C’est l’un des principaux enjeux de l’élection présidentielle américaine. Trop souvent délaissé, le mode scrutin mais aussi la façon dont est organisée le vote peuvent avoir un réel impact sur le résultat de l’élection le 3 novembre prochain. À l’heure de la crise sanitaire liée au coronavirus, un débat autour de la généralisation du vote par correspondance a été lancé depuis déjà quelques mois. Les démocrates, dont les électeurs seraient plus nombreux à vouloir solliciter le « vote by mail », appellent à encourager ce processus afin d’officiellement éviter tout risque sanitaire. Mais les républicains, dont le président Donald Trump, s’opposent à cette proposition.
En réalité, des États ont déjà adopté depuis plusieurs élections un vote presque exclusivement par correspondance. C’est le cas du Colorado, d’Hawaï, de l’Utah, de l’Oregon ou de Washington. Les inscrits sur les listes électorales de ces cinq États reçoivent sans le solliciter des bulletins afin de voter via La Poste. Dans 33 autres États, le vote par correspondance est traditionnellement possible mais les électeurs inscrits sur les listes électorales doivent en faire la demande. Neuf États réclament quant à eux un motif qui justifie un vote par correspondance. Parmi ces États, le Texas a estimé, dans les différentes mesures adoptées pour faire face à la crise liée à la Covid-19, que la peur d’attraper le coronavirus ne justifie guère la demande d’un vote par correspondance pour les personnes âgées de moins de 65 ans.
Mais, au-delà de toute contingence politique, plusieurs problèmes techniques se posent face à une simplification de l’accès au vote par correspondance. En effet, d’après un article du média indépendant The conversation en date du 10 septembre 2020, le Centre de politique bipartisan aurait souligné que certains États n’auraient pas pris les mesures nécessaires, notamment dans le recrutement d’un personnel suffisant, pour faire face à une augmentation du nombre de vote par correspondance.
Si chaque État possède des règles spécifiques entourant le vote par correspondance, le problème se pose autour de la vérification des signatures au moment du dépouillement. Sans rentrer dans le détail de tous les problèmes techniques potentiels liés au vote par correspondance, le nombre de bulletins rejetés pour un défaut de signature (pas de signature ou signature non identifiable) pourrait avoir un impact significatif dans certains États où les résultats risquent d’être serrés.
Une autre difficulté se présente précisément au moment du dépouillement. Si le nombre de vote par correspondance augmente de façon significative et que les États ne sont pas suffisamment préparés, alors des résultats fiables voire définitifs ne seront pas disponibles dans la soirée du 3 novembre 2020. Cette longue attente pourrait être utilisée par le camp vaincu, qui mettrait en exergue que le vote par correspondance a certainement rendu les résultats biaisés voire frauduleux.
Si le « vote by mail » n’est qu’une modalité de scrutin qui paraît faciliter l’exercice démocratique en temps de crise sanitaire, en réalité, il est un réel enjeu politique, spécifiquement dans ce que l’on appelle les swing states ou les Purple states (États dont les résultats pourront faire basculer l’élection. Pour la présidentielle américaine du 3 novembre 2020, la Caroline du Nord, la Floride, le Wisconsin ou encore l’Arizona sont considérés comme des États clefs).
Par exemple, selon un article de la chaîne d’information FoxNews publié le 8 septembre 2020, les démocrates seraient prépondérant dans le vote par correspondance au sein des swing states.
En Caroline du Nord, premier État à avoir envoyé le 4 septembre 2020 les bulletins de vote par correspondance pour les électeurs inscrits sur les listes électorales qui l’ont demandé, au minimum trois fois plus de démocrates que de républicains ont effectué les démarches pour le « vote by mail ».
En Floride, 47,5% des demandes de vote par correspondance proviendraient d’électeurs démocrates contre 32% d’électeurs républicains.
Un « président élu » mais pas officiellement en fonction
Les élections présidentielles américaines se déroulent différemment de celles que l’on connaît en France. En effet, les américains élisent leur président et leur vice-président au scrutin indirect. Techniquement, les citoyens inscrits sur les listes électorales ne voteront pas directement pour Joe Biden ou Donald Trump le mardi 3 novembre prochain mais pour des grands électeurs.
Ces derniers, actuellement au nombre de 435 forment avec les 100 sénateurs des États-Unis le collège électoral, qui désigneront le président et le vice-président. Ces 435 « state representatives » sont désignés selon les modalités choisies par les États, en accord avec l’article II, section 1, clause 2 de la Constitution. Chaque État dispose d’un nombre de grands électeurs potentiels. Le quota de grands électeurs est calculé à partir du nombre de parlementaires dont disposent chaque État (La chambre haute et la chambre basse).
En accord avec le 23e amendement ratifié en 1961, le District de Columbia se voit attribué des grands électeurs comme s’il était un État. Cependant, il ne peut pas avoir plus de grands électeurs que le moins peuplé des États (le nombre de parlementaires au sein de la chambre des représentants dépend de la population de l’État, donc in fine le nombre de grands électeurs dépend du nombre d’habitants au sein d’un État). Pour l’élection du 3 novembre 2020, il y aura donc 538 grands électeurs ( 435 « state representatives », 100 sénateurs, et 3 membres issus du District de Columbia ).
Le soir de l’élection, le candidat qui arrive en tête dans un État remporte l’intégralité des grands électeurs de ce dernier; c’est la règle du « winner takes it all » !
Techniquement, les grands électeurs ne sont pas constitutionnellement tenus de suivre les résultats et peuvent changer leur vote (certains États ont néanmoins mis en place une amende). Une fois confirmé par le collège électoral, le président des États-Unis entre officiellement en fonction le 20 janvier à midi. C’est pourquoi nous parlons entre le soir de l’élection et cette date du « président élu ».
Il peut également arriver que le vote populaire ne soit pas en adéquation avec le nombre de grands électeurs obtenus. Cela est arrivé cinq fois dans l’histoire des États-Unis; en 1824, 1876, 1888, 2000 et 2016. Lors de ces dernières élections, la candidate démocrate Hillary Clinton avait obtenu près de 3 millions de voix d’avance sur le candidat républicain Donald Trump (vote populaire). Toutefois il était improbable que les grands électeurs changent leur vote. Une pétition lancée sur change.org, réunissant près de 4 millions de signatures, avait demandé à ce que des grands électeurs modifient leur promesse de vote initiale pour élire Hillary Clinton. Il aurait fallu que 37 grands électeurs républicains sur les 306 élus retirent leur soutien à Donald Trump. Dans l’histoire des États-Unis, seuls 157 grands électeurs ont modifié leurs votes initiaux.
S’il s’avère que l’écart entre le démocrate Joe Biden et le républicain Donald Trump est faible le soir de l’élection, une véritable bataille politique pourrait se lancer, avec des possibilités de recours.
Et si le candidat vaincu ne concède pas la victoire ?
Dans une interview menée en août 2020 par Jennifer Palmieri, sa directrice de communication lors des élections présidentielles de 2016, Hillary Clinton a demandé au candidat Joe Bien de ne concéder la victoire à Donald Trump « en aucune circonstance ».
Ces propos font suite à une cascade de déclarations de la part de Donald Trump, qui remet d’ores et déjà en cause les résultats du scrutin de novembre prochain si Joe Biden obtient plus de 270 grands électeurs.
En juin 2020, le président Trump a publié une vidéo parodique dans laquelle il est élu président des États-Unis ad vitam aeternam.
Samedi 19 juillet 2020, le candidat à sa réélection a laissé entendre qu’il ne reconnaitrait pas mécaniquement sa défaite si Joe Biden venait à le devancer, mettant en cause la fraude possible liée au vote par correspondance.
Fin septembre 2020, il s’est montré moins humoristique et plus catégorique sur sa volonté de contester le scrutin anyways.
Quoiqu’il en soit, les deux candidats se préparent à des contestations électorales devant les tribunaux et développeraient un arsenal juridique important. Lors de l’élection présidentielle américaine de 2000, une bataille juridique avait été lancé entre le candidat vainqueur Georges W. Bush et le démocrate défait Al Gore. Allant jusqu’à la Cour suprême des États-Unis, celle-ci confirma George Bush comme vainqueur de l’élection présidentielle (cf. Bush v. Gore 12 décembre 2000).
Dans un contexte de crise sanitaire et de tensions politiques exacerbées, le scrutin du 3 novembre 2020 risque de marquer la vie politique, institutionnelle et démocratique des États-Unis.
Melchior Delavaquerie
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