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« Comment gouverner un peuple-roi ? » Le traité d’art politique de Pierre-Henri Tavoillot



Crédits : Sonya Faure, pour Libération



Après une élection présidentielle marquée par une apathie politique générale, que certains expliquent notamment par le contexte de la guerre en Ukraine, des interrogations se soulèvent autour du fonctionnement de notre démocratie.


Au-delà d’un contexte international particulier, la désaffiliation partisane, la montée de l’abstention et la radicalisation de la sphère politique semble remettre en question la vitalité de notre système démocratique.


Philosophe français, Pierre-Henri Tavoillot a effectué au cours de sa carrière des travaux sur la philosophie des Lumières, l’Éducation, les âges de la vie mais aussi sur l’art de gouverner.

Sur cette dernière thématique l’auteur a d’abord publié « Qui doit gouverner ? Une brève histoire de l’autorité » (2011) puis « Comment gouverner un peuple-roi ? » (2021).

Un renouvellement du genre oublié des traités d’Art politique


L’ouvrage débute par un prologue qui nous plonge dans la légende du baron de Münchhausen, surnommé « Baron de Crac ». Ce dernier se balade à cheval et se trouve face à un grand lac. Il essaye de le franchir en poussant sa monture à prendre de l’élan. Sauf qu’il tombe et risque fort la noyade. Au lieu de se laisser périr au fond du lac il sortit de l’eau en se tirant lui-même les cheveux.

L’auteur y voit là une allégorie de la démocratie : un mode de gouvernement où « le peuple se gouverne lui-même et décide de se sortir seul des lisières de la minorité »


Dans une première partie, l’auteur nous invite d’ailleurs à décortiquer avec lui « l’énigme de la démocratie ». Celle-ci revêt plusieurs aspects, à commencer par le plus difficile à cerner, le peuple.

Il propose une théorie des cinq peuples afin de mieux définir celui-ci, alors que son aura et son autorité sont sans cesse invoquées par les personnalités politiques. Il donne également les pathologies démocratiques qu’il a identifié et que le peuple s’inflige à lui-même.

Il entre ensuite dans une réflexion autour de la nature du pouvoir en démocratie. Il entame son analyse par un état des lieux de la démocratie libérale avec les trois déceptions qui accompagnent celle-ci : une crise de la représentation, une impuissance publique et un déficit de sens.

Puis il évoque les tentations qui existent entre des modèles plus radicaux de démocratie avec comme exemple la Suisse et ses 565 référendums depuis 1848 ou encore des démocraties illibérales qui à l’instar de Singapour et la doctrine de son père fondateur Lee Kuan Yew seraient réputées plus efficaces dans l’exercice du pouvoir.

Il rappelle aussi le danger que peuvent représenter les « théodémocraties », régimes dans lesquels un système où des représentants élus par le peuple exercent le pouvoir à partir de doctrines religieuses.

Il s’appuie à la fin de son raisonnement sur la pensée de Raymond Aron pour se demander si la démocratie libérale est de nos jours décadente et l’amène à se poser cette question : « Quel art politique faut-il inventer pour les démocraties libérales de demain ? »

C’est là d’ailleurs que l’ouvrage de Pierre-Henri Tavoillot est particulièrement intéressant car il va à contre-courant du discours tenu actuellement dans la classe politique, où être un « professionnel de la politique » est un rôle mal perçu.

En effet, il explique qu’il existe un véritable art de faire de la politique, avec des règles et des codes qui permettent aux gouvernants et aux gouvernés de se comprendre, de délibérer et in fine de décider.


Dans une seconde partie, il développe ces « nouvelles règles de l’Art politique ».

Le premier chapitre de cette partie s’intitule « Comment gagner les élections ? » et s’ouvre avec une citation de Georges Clemenceau « On ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre, et après la chasse ».

Ce passage ne fournit pas la recette miracle pour gagner une élection mais nous donne des clefs d’analyse pour identifier la manière dont nous pouvons choisir un chef, autrement dit un dirigeant. Elle se focalise également sur la façon dont l’élection est devenue démocratique, reposant d’une part sur l’individualité du vote puis le caractère secret du vote et d’autre part sur le mandat représentatif.

L’auteur nous donne ici une définition assez vague mais non moins pertinente de la démocratie, ou plutôt de son esprit, formulée par le sociologue Durkheim : « La démocratie est la forme politique par laquelle la société arrive à la plus pure conscience d’elle-même. Un peuple est d’autant plus démocratique que la délibération, que la réflexion, que l’esprit critique jouent un rôle plus considérable dans la marche des affaires publiques. »

Par ailleurs, Pierre-Henri Tavoillot fait appel à plusieurs auteurs comme Pythagore et ses quatre vertus individuelles (courage, tempérance, justice, sagesse (prudence) + le charisme ou la grâce), reprises par Platon; Machiavel et son « Condottiere virtuoso »; Cicéron et son chef cosmopolite; la figure du roi chrétien Saint-Louis et les vertus théologales du chef chrétien (foi, espérance et charité).

Il développe enfin dans ce chapitre les moyens pour vaincre son adversaire dans une campagne électorale et les qualités générales que requiert un bon programme politique.

Il se prête lui-même à l’exercice de Richelieu qui sous Louis XIII avait été capable de résumer le programme du Roi en trois lignes.


Illustration tirée de l’ouvrage de Pierre-Henri Tavoillot


Selon l’auteur, le programme dont la France aurait besoin doit se focaliser sur « la réduction de la dette publique afin de retrouver une marge de manœuvre politique, construire une Europe qui soit une puissance et pas seulement un marché, lutter contre le totalitarisme islamiste qui menace la cohésion du territoire et enfin stimuler la troisième révolution industrielle, notamment en faveur de la protection de l’environnement et de la préservation des ressources de la planète. »

Dans le chapitre suivant, il rappelle que la délibération et le débat sont au coeur du système démocratique. Toutefois, il constate que de nos jours la délibération s’est totalement détachée de son but initial : la décision.

Or selon l’auteur, une démocratie ne peut être efficace dans son fonctionnement que si une décision vient sanctionner la délibération.

Ps : le débat citoyen initié par le Président de la République Emmanuel Macron dans le cadre de la crise des Gilets Jaunes est selon moi un bon exemple d’une délibération de grande ampleur qui révèle une certaine impuissance publique car elle n’a abouti à aucune décision effective déterminante.

Ce passage consacré à la délibération est suivi de manière logique par une analyse de la décision, avec des explications sur les raisons qui rendent celle-ci difficile en démocratie.

Il prend en exemple la politique du regroupement familial (1976) pour mettre en lumière une nouvelle impuissance publique et décortique ce qu’est l’« Autorité » et les manières classiques dont il est possible « d’augmenter le pouvoir », c’est-à-dire renforcer son autorité : le passé (Rome), le cosmos (Aristote et la cité ) et le sacre (divin).

Il constate qu’aujourd’hui l’Autorité passe par le savoir (l’expertise), le charisme (le leadership) et la compassion (la sollicitude).

Alors que l’Autoritarisme infantilise, l’Autorité émancipe pour Pierre-Henri Tavoillot.

S’il passe avec détails les qualités pour être gouvernant, l’auteur attache de l’importance à décrire les qualités d’un bon gouverné, c’est-à-dire nous, les citoyens.

Enfin, dans un chapitre final, Pierre-Henri Tavoillot aborde un point essentiel de nos démocraties libérales : la manière dont les gouvernants doivent rendre les comptes. La difficulté qui leur est posée est de savoir à qui rendre des comptes et par quels moyens.

Une réflexion intéressante autour du « peuple »

L’auteur identifie trois visages au peuple. D’une part le peuple-société et le peuple-État.

Le peuple société représente selon lui « la somme d’individus que l’on suppose libres et égaux et qui partagent un espace commun dans lequel ils vivent ensemble en tissant entre eux toutes sortes de relations et d’appartenances à des réseaux. ».

À l’inverse, et en complémentarité, le peuple-État s’incarne dans des institutions froides, pérennes. Par sa stabilité, l’État témoigne d’une volonté de vie commune entre les individus, incarne le présent par une gestion administrative et un ensemble de règles appelé le Droit et se projette dans le futur grâce à une politique gouvernementale.

Il identifie un troisième visage du peuple qui est le peuple-opinion, c’est-à-dire l’espace public et l’expression libre de l’opinion. Il évoque la phrase prononcée par Guizot en 1819 à propos des journaux : « la liberté des journaux doit avoir pour effet de révéler sans cesse la France à elle-même : de rendre constamment présents, en quelque sorte, la patrie toute entière aux yeux du gouvernement, le gouvernement tout entier aux yeux de la patrie. »

L’opinion est d’ailleurs à distinguer de la croyance car le fait que l’opinion soit plausible et douteuse permet la discussion et la confrontation donc le débat d’idées.

La difficulté la plus importante est de trouver un équilibre entre ces trois visages du peuple, l’un pouvant revendiquer sa primauté sur l’autre. Trois maux en découlent : la propagande d’État, la privauté (« triomphe du privé, intime et économique, sur le public c’est-à-dire l'espace commun d'échanges d’idées » et la transparence (l’opinion devient un marqueur de jugement et tout doit être mis à découvert), selon l’auteur avec le développement du web « le peuple opinion passe d’une instance médiatrice à une puissance destructrice ».

À ces trois facettes du peuple l’auteur en rajoute deux autres, le peuple-méthode et le peuple-récit.

Le premier se définit par les règles de la méthode démocratique, dans une acception schumpéterienne du terme : le peuple s’identifie dans un état de droit par son expression dans des « élections équitables », « une délibération ouverte », « des décisions nettes », « une reddition régulière des comptes ».


Le second se caractérise par une narration et des traditions démocratiques qui permettent de forger une identité au peuple et de se différencier vis-à-vis des autres.

Le rôle du citoyen, pierre angulaire d’une vitalité démocratique à retrouver

L’auteur souligne que le fonctionnement d’une démocratie est effectif si les gouvernés sont en mesure de pouvoir exercer leur rôle.

Selon lui, les gouvernés ont tendance à croire qu’un bon citoyen démocratique est celui qui s’opposera sans cesse au pouvoir établi. Or il explique que c’est l’obéissance qui permet la liberté contrairement à la servitude volontaire.

Pour assurer une vie collective, il est nécessaire que les citoyens acceptent d’obéir or cela est difficile puisque le principe même de la démocratie réside dans le bouleversement de l’ordre établi.

Si l’on s’attarde sur l’étymologie du mot obéir, le terme vient du latin ob-audire qui signifie « prêter l’oreille ». Le citoyen, en tant que gouverné, a donc également un rôle d’écoute dans ce que dit le gouvernant et un rôle de contrôle dans ce que fait le gouverné.

D’ailleurs, pour le philosophe Alain, ce qui définit le propre de la démocratie, ce n’est pas l’égalité des droits et des charges, ce n’est pas le gouvernement de tous par tous qui est une utopie, ce n’est pas la procédure électorale, c’est le contrôle du peuple sur les gouvernants.

« Les fausses bonnes idées » pour donner un nouveau souffle à la démocratie libérale


L’élection par « jugement majoritaire »

À travers cette formulation, il est entendu un « scrutin majoritaire au cours duquel, au lieu de voter pour un candidat et un seulement, chaque électeur donnerait une note ou une appréciation à tous les candidats. »


Illustration ci-dessus d’un vote par « jugement majoritaire » à travers les résultats de la Primaire Populaire, organisée dans le cadre de l’élection présidentielle de 2022, qui a vu Christiane Taubira remporter le scrutin.


Les partisans de ce mode de scrutin avancent qu’il représente avec plus de fidélité les appréciations des citoyens sur les candidats et permet de faire émerger « un candidat du consensus ».

Toutefois, l’auteur souligne que cette méthode de scrutin est floue car il introduit de la subjectivité (nous n’avons pas les mêmes critères d’appréciation derrière l’acception « bien » ou « passable »).

Par ailleurs Pierre-Henri Tavoillot met en exergue que le vote confronte « le citoyen-électeur » à « la réalité de l’exercice du pouvoir », c’est-à-dire la décision. Nous devons trancher entre plusieurs candidatures car à l’issue du scrutin il y aura un vainqueur avec des conséquences réelles. L’élection par « jugement majoritaire » viendrait flouter cette responsabilité derrière l’acte de choisir, autrement dit d’élire, un candidat.

Restaurer le tirage au sort

Méthode démocratique stricto sensu, le tirage au sort pour choisir des représentants politiques est notamment plébiscité par La France Insoumise.

Ses partisans avancent d’une part l’idée que le tirage au sort permet d’atteindre une certaine impartialité dans les résultats. C’est le hasard qui permet de choisir des citoyens entre tous les autres citoyens égaux, lesquels seront en charge de représenter ces derniers. D’autre part, il offre selon eux la possibilité d’élargir à tous les citoyens l’accès à l’exercice du pouvoir.


Cependant, la concrétisation de la mise en oeuvre de ce système parait d’après l’auteur plus complexe et ses partisans restent flous à ce sujet :

1 - Souhaite-t-on effectuer un tirage au sort sur l’ensemble de la population ou sur une partie de celle-ci ?

2 - Quels types de mandats seront concernés par le tirage au sort (Assemblée législative, fonctions consultatives, membres de l’exécutifs etc.) ?

L’auteur identifie trois bonnes raisons pour ne pas mettre en place de tirage au sort dans le fonctionnement de notre démocratie.

Premièrement, si les représentants ou une partie d’entre eux sont tirés au sort, alors les temps de période électorale ne seront plus nécessaires ce qui entrainera un manque de délibération, une réduction des débats ainsi que des échanges d’arguments parfois opposés.

Deuxièmement, si nous mettons en place une clérocratie, nous basculerons vers un système où toute notion de mérite sera absente; dans une élection, les candidats sont pour l’auteur mis à l’épreuve, scrutés et bousculés par les citoyens. Il est possible de constater la solidité d’un responsable politique par la résistance et l’abnégation qu’il montre dans une campagne.

Enfin, le problème principal qui se pose aujourd’hui aux démocraties libérales est le manque de légitimité du personnel politique aux yeux des citoyens. Or quelle serait la plus-value du tirage au sort afin de rendre davantage légitime le représentant politique élu ? Finalement, l’élu tiré au sort obtient sa place grâce au hasard et aurait pu très bien ne pas être dans sa fonction. N’importe quel citoyen peut se dire « j’aurais pu être tiré au sort à sa place donc il n’a pas à m’imposer telle ou telle mesure ».


Melchior Delavaquerie






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