En l’espace de vingt ans, la commune de Chivre en Laonnois, située dans le Nord-Pas-de-Calais, a connu un bouleversement électoral sans précédent. Composée majoritairement d’ouvriers et d’employés, la municipalité enregistrait jusqu’à la fin du XXème siècle des scores très importants à gauche. Pourtant, l’élection présidentielle de 2022 a laissé place à un déferlement des voix pour la candidate d’extrême droite, si bien que cette commune est aujourd’hui considérée comme l’un de ses plus solides bastions. L’observation que nous faisons ici est loin d’être isolée, chaque année l’extrême droite gagne de précieux points sur les anciennes terres de la gauche. Dans le même temps, son second fief d’antan, les grandes métropoles connaissent, elles aussi, un déclin du vote à gauche. Cette fois ce n’est pas Marine Le Pen qui en bénéficie, mais les mouvements centristes.
François Holland en conférence de presse le 5 février 2015 / AFP
Partout, la gauche est mise en échec. Elle ne parvient plus à convaincre, à susciter l’espoir. Cette école de pensée qui a profondément marqué l’histoire du pays semble se dissoudre peu à peu. Son absence au second tour des deux dernières élections présidentielles, loin de susciter chez ses orphelins un sursaut collectif, n’a laissé place qu’à une obstination à perpétuer les mêmes erreurs au risque de donner raison au célèbre adage «jamais deux sans trois ».
Toutefois, l’actualité récente relative à l’implosion de l’alliance des gauches laisse entrevoir, pour les nombreux mouvements qui la composent, un espoir nouveau. À l’heure où il s’agit pour la gauche de se réinventer, nous préconisons un diagnostic complet. Non pour marquer au fer rouge leurs erreurs, mais pour pointer du doigt les échecs qu’il conviendra de traiter si la gauche aspire à nouveau à gouverner.
En souhaitant défendre tout le monde, ne se perd-on pas soi-même ?
En ne nommant pas de vive voix le caractère terroriste du Hamas au lendemain de l’offensive du 7 octobre dernier, Jean Luc Mélenchon révèle l’une des principales faiblesses que traverse la gauche depuis son passage au XXIème siècle. Le parti ne parvient pas à choisir un électorat cible auquel s’adresser. À force de se faire le défenseur de toute oppression, de vouloir être de tous les combats, la gauche a importé le combat dans son propre camp. Le parti s’est construit un électorat sur des bases multiples, en conséquence de quoi les aspirations de ses électeurs sont diverses et sans doute irréconciliables. L’actualité internationale récente met en lumière cette gauche au pied du mur qui ne sait quel discours adopter pour satisfaire son propre camp. Faut-il être du côté des victimes gazaoui, de la paix onusienne, ou de la démocratie israélienne ?
À chaque prise de position, la gauche marche sur des œufs. Toutefois, le contexte récent nous montre que cette stratégie atteint ses limites. Plus encore que d’avoir créé une base électorale instable, cette stratégie a amené nombre de citoyens à être dans la défiance. Celui qui parle à tous ne pourra pas tous nous défendre. Ainsi, derrière ces accusations désormais récurrentes d’une gauche démagogue ou opportuniste se cache sans doute le résultat d’une politique d’équilibriste engagée depuis trop longtemps.
Toutefois, force est de constater que ce processus est très théorique. Or si l’on commence à apercevoir ses effets réels à travers les positions ambiguës des représentants de gauche, il semblerait que les citoyens se soucient davantage du réel. Aussi, afin que notre diagnostique soit complet, faut-il parler d’un instant bien concret et non moins déterminant pour comprendre le déclin de la gauche : le mandat Hollande.
L’influence de l’héritage Hollande sur la crédibilité de la gauche.
Dans les mémoires collectives, il reste du « mandat Hollande » un triste souvenir, souvent réduit à une promesse déçue. Ironie du sort, celui qui aimait se présenter lors de sa campagne comme l’homme du rassemblement populaire, s’est vu, cinq ans plus tard, contraint par son impopularité à renoncer à un second mandat. Aussi, pour de nombreux sympathisants de la gauche, sa défaite serait plus grande encore. Par son échec personnel il serait parvenu à discréditer l’idéologie de la gauche toute entière.
Tous ces reproches qui lui sont adressés sont rendus possible par le fait que la gauche aux commandes n’a, une fois de plus, pas réussi à mettre en œuvre son projet. Ni François Mitterrand, ni Lionel Jospin, ne sont parvenus à conduire l’économie française vers plus d’égalité. Le président fraîchement élu apparaissait en 2012 comme incarnant l’espoir d’une gauche qui souhaitait marquer durablement de son empreinte le pays. Aussi, en se présentant comme « l’ennemie de la finance », et en nommant à la tête de ministères des personnalités de la gauche multiple, il a pleinement assumé ce rôle d’unificateur. Or lorsque l’espoir est immense, la déception n’en est que plus forte.
Ainsi, à travers de nombreuses décisions et scandales (Loi El Khomri, politique d’austérité, proximité affichée avec le MEDEF, abandon du « reporting public », l’affaire des comptes cachés de Jérôme Cahuzac, …) le visage qui incarnait l’espoir de la gauche l’a conduite vers sa propre chute. Ce constat est confirmé par un sondage de 2014 qui rendait compte du fait que 56 % des sympathisants de gauche jugeaient que François Hollande n’était pas assez à gauche. Ultime désaveu : celui qui se faisait l’adversaire de la finance va mettre au pouvoir son ministre de l’économie, un ancien banquier d'affaires ! Ainsi, l’élection d’Emmanuel Macron symbolise-t-elle l’échec d’une gauche qui n’est, une fois encore, pas parvenue à faire de son idéal, une réalité.
Le mandat Hollande marque une véritable rupture dans l’histoire contemporaine de la gauche. Désormais est accolé à son image celle d’un mandat raté. Toutefois, il semblerait qu’il ne soit pas encore trop tard. En effet, si le PS ne semble pas s’être remis de cet échec, d’autres mouvements plus radicaux (le parti communiste et la France Insoumise) ont profité de cette conjoncture nouvelle pour s’imposer. Aussi convient-il de s’interroger quant à l’influence de partis plus radicaux sur le vote à gauche.
Au risque de trop radicaliser.
Afin de porter un regard complet sur l’échec de la gauche, il faut analyser l’influence de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Social (NUPES) qui a souhaité incarner son renouveau. Cette alliance des gauches, créée au lendemain de la seconde victoire électorale d’Emmanuel Macron, portait la double ambition d’incarner un solide contre-pouvoir face à la majorité présidentielle, tout en redorant l’image de la gauche. C’est chose faite : la NUPES devient la première force de gauche et parvient dans le même temps à occuper une place réelle dans l’hémicycle. Avec ses 131 sièges à l’assemblée nationale, la coalition suscite un véritable engouement, certains se laissant à rêver que la gauche a encore un avenir à jouer...
Toutefois, le recul dont nous bénéficions nous permet d’affirmer que ce bilan est en demi-teinte. En effet, nous observons, que le virage radical de la gauche ne convient pas à tous. Si sur le fond l’ambition de la NUPES fût acclamée par un nombre considérable de citoyens, c’est sur la forme que la NUPES peine à convaincre. Le mouvement est rapidement jugé par les français comme étant trop « brutal ». Dans l’assemblée, les députés tapent du point, ils chantent, ils crient, ils conflictualisent … Or cette stratégie va avoir pour conséquence d’enfermer la gauche de Mélenchon dans une impasse politique. La NUPES devient la cible facile. Pour mieux la discréditer on y accole l’étiquette de « l’extrême gauche » dont elle ne réussira pas à se séparer. La NUPES va peu à peu devenir un « objet répulsif » que l’on compare volontiers à l’autre extrême. Ajoutons à cela de nombreux échecs politiques (retour d’Adrien Quatennens, refus d’appeler au calme pendant les émeutes de juillet, obstination à ne pas connaître le caractère terroriste du Hamas, manque de démocratie au sein du mouvement, …) et vous obtenez un cocktail explosif qui « effraie » le peuple.
Par effet de contraste, il semblerait même que le parti de Marine Le Pen se soit donné un visage humain, presque fréquentable. Ainsi, selon une étude récente du Parisien, 49 % des français considèrent que le RN a un programme dangereux pour notre démocratie, contre 53 % pour la NUPES. Dans le même temps, 46 % des français sont convaincus que le RN « défend bien les classes populaires », contre 41 % pour la NUPES (- 12 points en un an). L’Union, davantage que d’avoir fragilisé la gauche de l’intérieur en semant la division, est parvenue à gonfler les rangs d’une opposition qui sort victorieuse de cette tentative manquée.
À la veille d’une dislocation de la gauche plurielle qui invite à un nécessaire renouveau, la gauche devra, pour l’emporter, faire face à son passé. Non pour le blâmer, mais pour comprendre en creux les attentes d’un peuple qui ne retrouve plus la gauche qui l'a fait espérer.
Volodia Goutmann
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