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Don’t look up, sombre miroir de l’inertie climatique

Le 10 janvier 2022, à peine dix-huit jours après son lancement, Don't Look Up : Déni cosmique se hisse au rang du second film le plus visionné de Netflix. Un succès à la fois évident et inattendu pour une satire aussi grossière des Etats-Unis, portée par un casting engagé et couronné de récompenses.


D’emblée, la scène d’ouverture donne le tempo. Placée sous la direction du Dr. Randall Mindy, la doctorante Kate Dibiasky découvre qu’une immense comète, “tueuse de planète”, se dirige fatalement droit sur la Terre. A l’aube de la catastrophe, les deux scientifiques se démènent pour lancer l’alerte et éviter la tragédie. C’est sans compter les politiques égocentriques, la raillerie médiatique, les milliardaires avides de profit...


En clair, Don’t Look Up, c’est le miroir étonnamment crédible de notre société digne d’une caricature, et plus particulièrement de l’inertie climatique actuelle, dont le réalisateur Adam McKay ne se cache pas s’être inspiré.

Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) et Dr. Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) Crédits NIKO TAVERNISE/NETFLIX


Décadence des politiques : quand la crise cosmique devient une aubaine pour la campagne présidentielle


Avec Don’t Look Up, Adam McKay dresse d’abord un portrait satirique et authentique des figures politiques américaines, ce que le réalisateur confirme de vive voix dans une interview accordée à The Guardian (1) : “Depuis quarante ans, une parade de politiciens incompétents ou corrompus défile sur le pays. Je m’amuse à relever leurs échecs, leur amateurisme”. De fait, la Présidente fictive des Etats-Unis, Janie Orlean, incarne à elle seule “un peu de Donald Trump, de Bill Clinton, de Georges W. Bush, de Ronald Reagan, et même quelques étincelles de Barack Obama”. La métaphore s’étire encore lorsqu’on se penche sur le personnage de Jonah Hill. Incompétent et déconnecté de la réalité, Jason Orlean se retrouve pourtant à la tête du cabinet, en raison du lien de sang qui l’unit à la Présidente. Le reflet entre fiction et réalité est flagrant : Melania Trump n’a qu’à bien se tenir.


Au premier plan : Jason Orlean (Jonah Hill) et Présidente Janie Orlean (Meryl Streep) A l'arrière-plan : Dr. Rendall Mindy (Leonardo Dicaprio) et Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) Crédits NIKO TAVERNISE/NETFLIX


Penchons-nous à présent sur le rôle-clé de la représentante des Etats-Unis au sein du long-métrage. A l’image de la plupart des politiques, Janie Orlean apparaît comme obnubilée par sa cote de popularité pour les élections qui approchent à grands pas. Aussi, lorsque deux scientifiques se pointent dans son bureau pour lui annoncer la venue d’une monstrueuse comète, elle reste de marbre, si ce n’est un petit rictus. Alors que la communauté scientifique affirme, dans un consensus général, qu’il ne reste que six mois avant l’impact, Janie Orlean réagit en toute simplicité : “Pour l’instant, je propose qu’on patiente et qu’on avise”. Eh oui, l’arrivée inéluctable d’une “tueuse de planète” sur Terre ne fait pas partie de sa campagne présidentielle déjà toute ficelée, qui lui garantit pour le moment la victoire. Il faut donc attendre la révélation médiatique d’un fâcheux incident impliquant la Présidente, la dégringolade dans les sondages, pour que celle-ci daigne finalement aviser le reste du globe. Les sondages orientent donc les actions, ce qui n’est pas réellement surprenant lorsque l’on s’immisce dans les coulisses des présidentielles, où les candidats, entourés d’experts en communication, guettent les réactions du public et agissent en conséquence.


Cette passivité politique face au danger imminent n’est pas le propre des Etats-Unis. En France, les candidats à l’élection présidentielle s’approprient le film d’Adam McKay, établissant un parallèle avec la prise de mesures, ou plutôt l’absence de mesures, par les dirigeants actuels. Le 20 janvier 2022, face au Parlement européen, Yannick Jadot, candidat écologiste, déclare ainsi à l'attention d’Emmanuel Macron (2) : “Vous resterez dans l’histoire le Président de l’inaction climatique. [...] Vous préférez procrastiner telle Meryl Streep dans le film Don’t Look Up”. En parallèle, Jean-Luc Mélenchon, candidat du parti La France Insoumise, mentionne aussi le film lors de son meeting immersif et olfactif, le 16 janvier 2022 (3) : “Don't look up, ne regardez pas ! Ne voyez pas le malheur, ne le regardez pas, attendez, ça va s'arranger tout seul, voilà ce qu'ils vous disent !”. Le succès de Netflix, devenu viral, apparaît ainsi comme un excellent miroir de la piètre gestion de la crise climatique, comparaison que le public français a bien saisie, à défaut néanmoins d’en mesurer la gravité…


L’alerte scientifique à l’écart du brouhaha médiatique


Lorsque la Présidente Janie Orlean refuse, dans un premier temps, d’agir face à la menace cosmique, les deux scientifiques, le Dr. Randal Middy ainsi que la doctorante Kate Dibiasky, décident de révéler l’information au grand jour, par une interview exclusive dans le populaire média The Daily Rip. Après une mise à jour sur les problèmes de couple de la célèbre pop star Riley Biana, incarnée par Ariana Grande, l’heure de la déclaration arrive. Contre toute attente, le duo se heurte au déni des animateurs d’une part et aux moqueries du reste de la population d’autre part. Le même public qui s’émouvait à l’instant de la rupture d’une célébrité, rit désormais à l’annonce de l’imminente fin du monde.


La comparaison avec notre réalité frappe encore. Scientifiques et experts sont en effet souvent tournés en dérision, leurs propos se voient minimisés par des présentateurs taquins. Certains journalistes, plus engagés, alarment aussi, or, leurs pairs les réduisent également au silence. En voici un exemple très récent, digne du film : lors d’une interview dans l’émission de Arte, 28’ Minutes, une unique blague sur les boomers suffit pour balayer les propos de Salomé Saqué sur la crise climatique actuelle (4). Les rires se poursuivent une minute durant, l’interview se terminant même sur cette phrase : “Ok boomer”. Comme en témoigne cette interview, les informations climatiques sont donc parfois écartées par un divertissement puéril et stérile.


Revenons encore au film. Lorsqu’une nouvelle fois, Dibiasky exprime la gravité de la nouvelle, la doctorante se voit qualifiée d’hystérique (“the yelling lady”), avant d’être expulsée du plateau. A partir de ce moment, la jeune femme, à l’origine pourtant de la découverte de la comète, est progressivement effacée du film, écartée des interviews et des réunions avec les politiques, au profit du Dr. Randall, un homme apparemment plus calme, mûr, sérieux. Aussi consternant que cela puisse paraître, rien de nouveau à ce phénomène, des femmes brillantes, innovatrices, demeurent dans l’ombre depuis des décennies maintenant, si bien que des noms pourtant emblématiques tels qu’Alice Guy, pionnière américaine du cinéma, ou Olympe de Gouges, avant-gardiste du féminisme en France, commencent à peine à émerger dans la sphère médiatique.


De gauche à droite : Brie Evantee (Cate Blanchett), Jack Bremmer (Tyler Perry), Dr. Randall Mindy (Leonardo Dicaprio), Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), sur le plateau de The daily rip Crédits NIKO TAVERNISE/NETFLIX


Ainsi, dans les sociétés occidentales désormais hypers connectées, informations futiles et majeures, avis et réactions des uns et des autres se confondent dans un brouhaha médiatique qui paralyse la prise de conscience de la gravité des enjeux mondiaux. Plus que jamais, journalistes et médias semblent avoir perdu leur rôle pourtant essentiel de lanceur d’alerte, de “chien de garde” de la démocratie, au profit d’une fonction de comique et de cancan, et le public s’en offusque à peine. Et pour cause, dans une étude récente, le sociologue français Gérald Bronner met en lumière notre intérêt pour la conflictualité : « La captation de notre attention, qui est une denrée limitée, ne se fait pas selon la qualité ou l’intérêt objectif de l’information mais selon la seule satisfaction cognitive que nous en tirons ». Les chiffres d’audience de CNews n’ont en effet jamais été aussi hauts que depuis les interventions à répétition du polémiste français Eric Zemmour, qui a d’ailleurs contribué à dépasser un record de téléspectateurs pour la chaîne du groupe Canal+.


Les réseaux sociaux, également, s’inscrivent dans cette tempête médiatique. Complotistes, climato-sceptiques, engagés écologistes s’affrontent désormais à coup d’hashtags et de posts sur Twitter et Facebook notamment, transformés en véritables arènes. Dans le film d’Adam McKay, le mouvement #Dontlookup, né sur les réseaux sociaux, prend une ampleur démesurée dès lors que la Présidente y adhère, fracturant les Etats-Unis entre convaincus et sceptiques face à la catastrophe cosmique. Jusqu’à ce que la catastrophe en question soit bel et bien visible, et que personne ne puisse nier l’évidence. Hélas, la menace que représente le dérèglement climatique n’est pas perceptible dans le ciel.


Une poignée de milliardaires, un frein à l’action climatique


Incarné par Mark Rylance, Peter Isherwell, propriétaire de Bash, symbolise le milliardaire par excellence, calme au grand sourire, appelant au solutionnisme technologique pour régler les crises, surtout si cela garantit un paquet de profits. Lorsqu’il apprend que la “tueuse de planète” contient des métaux précieux, Isherwell persuade la Présidente de renoncer à toute tentative de destruction, lui assurant que les scientifiques de sa société trouveront une solution pour récupérer le pactole avant de l’annihiler pour de bon. La Présidente, séduite par l’appel de l’argent, accepte et scelle alors le destin de l’humanité. A travers Don’t Look Up, Icharwell apparaît donc comme un joli mélange entre Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Tim Cook, Elon Musk, et tant d’autres, qui priorisent leur intérêt personnel économique avant le bien-être collectif.


Au centre : Peter Isherwell (Mark Rylance) A gauche : Jason Orlean (Jonah Hill) A droite : Présidente Janie Orlean (Meryl Streep) Crédits NIKO TAVERNISE/NETFLIX


Là encore, le parallèle avec la réalité s’impose. “Le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26h”, alors que “160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté pendant la pandémie”, un chiffre glaçant révélé le 17 janvier 2022, dans le rapport Oxfam sur les inégalités mondiales (5). Or, cette myriade de milliardaires possède, bien souvent, des parts de grandes entreprises, parfois plus puissantes que certains Etats sur le plan économique. Leur influence est donc considérable. En tant qu’actionnaires, les milliardaires ont aussi leur mot à dire sur la direction : ils ont donc également leur part de responsabilité dans le déni et l’inertie climatique de ces firmes.


Selon l’Obs'COP 2021 - Edf/Ipsos (6), dans le monde, plus d’un tiers des personnes ne croient pas que le changement climatique est principalement dû à l'activité humaine, mais à un phénomène naturel. Ce déni a, en partie, été alimenté par les lobbies de l’industrie carbone. A titre d’exemple, les compagnies pétrolières ont longtemps contribué à semer le doute sur le réchauffement climatique. Les compagnies ExxonMobil, BP, Shell, entre autres, niaient les données scientifiques alertant sur la gravité des conséquences de leur activité sur la planète, des données dont ils ont eu connaissance avant le grand public (7). Conscientes de la perte de revenus dont elles souffriraient si ces informations fuitaient, ces compagnies ont donc financé à la fois la circulation de fausses informations sur le sujet ainsi que des climato-sceptiques. En outre, elles ont fait appel au lobbying pour endiguer toute politique de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Encore aujourd’hui, des dizaines d’actionnaires, pour certains milliardaires, contribuent plus ou moins indirectement à semer le doute sur la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique.



"En faisant rire de la fin du monde, Don’t Look Up peut faire émerger une prise de conscience” (8) : la visée d’Adam McKay est claire. Plus qu’une prise de conscience toutefois, c’est réellement d’actions concrètes, inédites, dont nous avons besoin. Dans cinq ans, la forêt Amazonienne atteindra un point de bascule entraînant des conséquences mortelles, comme le dérèglement progressif des écosystèmes ou la lente diminution de l’oxygène terrestre. Dans une interview donnée à Netflix (9), Leonardo Dicaprio exprime cette fois non en tant qu’acteur, mais bien en tant que citoyen, la gravité du problème et ne cache pas son engagement : “Si on ne vote pas pour les dirigeants ou qu'on ne soutient pas tout ce qui pousse à l'atténuation du dérèglement climatique, nous allons avoir un destin très similaire à celui des personnages”.





Margot Darcy





1 - Citations mentionnées dans “Don’t Look Up : Une fiction sur la réalité que l’on refuse de voir”, Paloma Moritz, BLAST, Le souffle de l’info, 08/01/2022


2 - “Le candidat écologiste Yannick Jadot critique le bilan d’Emmanuel Macron face au Président”, Brut, 20/01/2022


3 - “Meeting de Jean-Luc Mélenchon : sur le fond, ça ressemblait à quoi ?”, Brut, 17/01/2022


4 - “Taxes sur les riches, hôpital public, ségrégation : le Club 28”, 28 Minutes, Arte, 29/10/2021


5 - “Les inégalités tuent”, Rapport Oxfam sur les inégalités dans le monde, 17/01/2022


6 - Obs’COP 2021, Observatoire International climat et opinions publiques, baromètre de la perception du changement climatique dans 30 pays.


7 - “Changement climatique : comment Total et Elf ont contribué à semer le doute depuis des décennies”, Audrey Garric, Le Monde, 20/10/2021


8 - “Adam McKay : « En faisant rire de la fin du monde, Don't Look Up peut faire émerger une prise de conscience »”, Constance Jamet, Le Figaro, 28/12/2021


9 - “Leonardo DiCaprio a un message pour vous | Don’t Look Up : Déni Cosmique | Netflix France”, Netflix France, 03/01/2022

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