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En Israël, « une extrême-droite radicale, autoritaire et raciste »

Interview avec David Khalfa, chercheur et spécialiste du Proche-Orient.

Itamar Ben Gvir et la jeunesse israélienne lors d'un meeting de la campagne à Jérusalem le 28 octobre 2022. Menahem Kahana / AFP.


Vendredi 9 décembre, Benyamin Netanyahou a obtenu un délai de dix jours supplémentaires, pour finaliser la formation de son gouvernement de coalition. Victorieux aux dernières législatives israéliennes, début novembre, grâce à son alliance avec les partis d’extrême-droite et ultra orthodoxes, il a jusqu’au 21 décembre pour poursuivre les négociations avec ses alliés. Ce nouveau gouvernement sera certainement le plus à droite qu’Israël n’ait jamais connu. David Khalfa est chercheur à l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la fondation Jean-Jaurès et spécialiste du Proche-Orient et des questions de politique étrangère et de défense. Il se projette sur les répercussions que pourrait avoir ce nouvel ancrage politique très à droite sur la démocratie israélienne.


La composition actuelle de la Knesset (le Parlement israélien)

et la majorité obtenue par la coalition « Netanyahou » © Courrier International


Comment s’explique l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite en Israël ?


D’une part, depuis l’échec du processus d’Oslo, aucun processus de paix robuste n’a émergé pour clore le conflit israélo-palestinien et depuis 2014, les négociations entre les deux camps sont inexistantes. Israël est donc dans une impasse diplomatique quasi totale, s’accompagnant de vagues de violence, entrecoupées de trêves fragiles. Les guerres à répétition contre le Hamas ou encore les attentats suicides, dans les bus ou les discothèques, ont provoqué un climat de défiance et de peur chez les citoyens. Plus récemment, les émeutes et les affrontements israélo-palestiniens, en mai 2021, ont été un moment de choc et une déflagration chez une grande partie de la jeunesse israélienne. A cette période, les problèmes de sécurité, qui touchaient plutôt la périphérie, se sont étendus au cœur du pays. L’extrême-droite a séduit la jeunesse en capitalisant sur le sentiment d’insécurité identitaire d’une partie de la population. Au moyen d’une rhétorique et d’une communication musclées, menées par Ben Gvir, député d’extrême-droite et suprémaciste juif, elle a instrumentalisé la question de la sécurité et de la démographie arabe, en la présentant comme une menace. Cette jeunesse, qui s’est radicalisée, est devenue le gros du bataillon qui a apporté son soutien au Sionisme religieux. D’autre part, il est aussi question du rôle de Netanyahou. Il a contribué à légitimer l’extrême-droite, qui souhaite porter atteinte au système judiciaire. Alors qu’elle était perçue comme infréquentable, elle lui est utile à des fins personnelles, pour faire face à ses affaires judiciaires.


Eva Illouz, sociologue franco-israélienne, parle d’un « fascisme juif » pour caractériser le parti Sionisme religieux, ou la troisième force politique, menée par Ben Gvir. Que pouvez-vous en dire ?


Cette formule est utilisée en réaction aux déclarations incendiaires et ouvertement racistes de cette extrême-droite, qui est aussi homophobe et sexiste. Cependant, ce type d’expression relève moins de l’analyse que de la polémique. Elle est liée à une angoisse quasi existentielle, partagée par une partie des israéliens, face à ce qu’elle considère, à mon avis à juste titre, comme une menace pour l’avenir démocratique du pays et son Etat de droit. En revanche, si on s’en tient aux catégories de la science politique, le fascisme est une idéologie historiquement située, dans laquelle il n’y a qu’un seul parti et une logique « d’homme nouveau », ce qui n’est pas le cas en Israël. Je parlerais donc plutôt d’une extrême-droite radicale, autoritaire et raciste, bien qu’elle essaie de ripoliner son image. Cette expression d’Eva Illouz relève moins d’une catégorie analytique, que d’une catégorie politique stigmatisante, qui sert à dénoncer l’adversaire. Pierre Bourdieu disait que la sociologie était un sport de combat et de ce point de vue-là, ce type de déclaration s’inscrit totalement dans un combat politique.


Quelle place va prendre la religion dans la démocratie et la société israéliennes, dans les mois ou les années à venir ?


C’est un sujet complexe, car Israël est travaillée par des dynamiques contradictoires. Il est clair qu’il y a une dynamique démographique qui favorise le secteur religieux en Israël, qu’il soit nationaliste religieux ou ultra-orthodoxe, même s’il subit des bouleversements. Le monde religieux israélien est fragmenté et percuté par la mondialisation et les nouvelles technologies, mais dans un système de proportionnelle intégrale, il est évident que, presque mécaniquement, sa représentation politique sera accrue. Israël ressemble de plus en plus à un pays du Moyen-Orient, en termes de poids de la religion dans l’espace public et l’arène politique. Néanmoins, l’Etat de droit et la démocratie en Israël sont très robustes, puisqu’ils s’ancrent dans une tradition politique démocratique qui précède même la création de l’Etat d’Israël !


Comment les droits des citoyens arabes ou non-juifs pourraient-ils alors être préservés ?

Dans les années à venir, l’enjeu est la création d’un partenariat entre les forces démocratiques israéliennes du secteur juif, soit la majorité juive du pays et le secteur arabe. La vie politique se structure en blocs. Pour remporter les élections, il faudra une révolution copernicienne, afin d’arriver à la constitution d’un bloc fort qui assume de coopérer. Il y aura probablement des oppositions sur le sujet israélo-palestinien, mais, aujourd’hui la question du conflit ne se pose malheureusement pas. Elle n’est pas à l’ordre du jour, étant donné que les conditions ne sont pas réunies de part et d’autre. Néanmoins, cette coopération assumée, ce partenariat, constitue la clé pour préserver les droits des citoyens arabes, ou de ceux qui ne sont pas juifs.


Depuis plusieurs semaines, la réforme de la « clause de contournement » est poussée par l’extrême droite. Pourquoi menace-t-elle la démocratie ?


L’objectif de cette réforme est d’affaiblir la Cour Suprême, pour permettre à une majorité à la Knesset de contourner les décisions prises par celle-ci. Les rendant inopérantes, il lui serait alors possible d’imposer ses vues. Cette réforme porterait atteinte au constitutionnalisme libéral, c’est-à-dire à la primauté du droit constitutionnel sur le droit positif et donc, in fine, à la séparation des pouvoirs. Elle remettrait en cause l’indépendance du système judiciaire israélien, d’où les réactions extrêmement vives d’une grande partie du pays, y compris d’une majorité à droite, opposée à cette réforme. La clause de contournement a pour vocation de « sauver la peau de Netanyahou » en lui évitant la prison et constitue, évidemment, un danger pour l’Etat de droit et la démocratie israélienne.


Quelles sont aujourd’hui les garanties pour la protéger ?

D’abord, il y la société civile, qui est robuste et d’une grande vitalité, composée de beaucoup d’ONG et d’associations, d’intellectuels, d’artistes, de syndicats, qui pourraient se mobiliser. Il existe également une presse libre, y compris à droite et au centre-droit, comme le média Times of Israël, qui est très critique concernant l’orientation politique du gouvernement à venir. Enfin, la gauche israélienne est atomisée. Cependant, elle est bien vivace démocratiquement. Elle pourrait se remobiliser face à ce nouveau gouvernement, qui sera le plus à droite de l’histoire politique de ce pays et que Netanyahou a bien du mal à former. A mon avis, sa durée de vie ne sera pas très longue, mais il peut contribuer à réveiller l’opposition démocratique dans ce pays et reconfigurer une partie de l’espace politique.


Propos recueillis par Margaux Couillard



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