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Extinction Rébellion ou enfreindre la loi pour se conformer à ses valeurs

Le mouvement Extinction Rébellion, né seulement en mai 2018 au Royaume-Uni, a récemment fait parler de lui en menant des actions de désobéissance civile de grande ampleur, dans plusieurs villes européennes. Estimant que la cause environnementale était trop importante pour que le sujet ne s’enlise et que les recours légaux avaient tous été épuisés, sans succès, les partisans de l’association revendiquent des actions visant à perturber la vie courante au travers de blocage de routes, de ministères, voire de transports en commun. L’occasion pour nous de poser la question : une cause peut-elle valoir que l’on enfreigne la loi en son nom, et si oui, comment faire la différence entre les causes légitimes et les causes illégitimes ?


Logo du mouvement britannique Extinction Rébellion


La désobéissance civile a une longue histoire. En 1849, le philosophe américain Henry David Thoreau publie un essai, Civil Disobedience , théorisant ce concept nouveau, après avoir refusé de payer une taxe destinée à financer une guerre au Mexique et l’esclavage. Ce refus d’obtempérer lui vaudra une peine de prison. Selon lui, la conscience des individus doit primer sur le dictât des lois, chacun ayant le droit de ne pas participer à une action néfaste. Notre Sex Pistol avant l’heure proclame même un Duty to rebel, un « devoir de rébellion ». Si nous devons faire primer la loi sur notre conscience individuelle explique-t-il, pourquoi en avons-nous une ? Nous sommes des hommes avant d’être des sujets.


Livre La désobéissance civile, 1849, H.D. Thomas


Cette idée a bien entendu trouvé son écho chez Hannah Arendt, philosophe allemande du XXème siècle, qui décrit en 1963 l’importance « de faire une place à la désobéissance civile dans le fonctionnement de nos institutions publiques ». La deuxième guerre mondiale nous rappelle sans peine les abîmes où peuvent conduire une loyauté aveugle envers un gouvernement, une cause, une idée. Or, s’il est admis que des causes telles qu’empêcher un génocide ou des crimes de guerres sont des causes légitimes de désobéissance civile (voire de rébellion), qu’en est-il des autres ? Les activistes (dont Extinction Rébellion) considèrent que la protection de l’environnement et la prévention d’un écocide [une action concertée et délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter, selon la dernière proposition de loi du 22 octobre 2019 à l’Assemblée Nationale] sont également des causes parfaitement légitimes. Selon eux, en omettant de prendre les décisions nécessaires, les gouvernements causent des dommages irréversibles qui condamnent des écosystèmes entiers à la disparition. Et le tort causé ne manquera pas d’impacter aussi les êtres humains - désertification, montée du niveau de la mer, raréfaction des ressources, multiplication des ouragans sont autant de phénomènes destructeurs dont la fréquence est accrue par l’action de l’homme sur son environnement. Ainsi, il faudrait forcer les gouvernements à accélérer leurs transitions vers des modèles économiques et sociaux qui minimiseront l’impact sur l’environnement. Greenpeace l’a beaucoup fait par le passé en occupant notamment des centrales nucléaires pour alerter l’opinion publique sur ses dangers ou en s’enchaînant à des arbres pour empêcher de les couper. Les Zadistes sont aussi de célèbres désobéissants, avec l’occupation du Larzac dès 1971 et plus récemment, la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes. XR s’inscrit dans cette continuité, quoique différemment, parce que le mouvement est plus urbanisé et européen.


Forcer le gouvernement : pourquoi et comment ?


On a cité plus tôt le cas d’un gouvernement totalitaire, face auquel l’action illégale est la seule méthode envisageable pour lutter contre l’arbitraire du gouvernement. Or, le lecteur attentif n’aura pas manqué de constater qu’en France (et plus généralement en Europe), des contre-pouvoirs à cet arbitraire sont garantis par la Constitution. Il y a donc suffisamment de moyens légaux démocratiques pour répondre au gouvernement rétorquent les opposants aux actions d’Extinction Rébellion. Des élections sont régulièrement tenues, le droit de manifester ainsi que des recours légaux existent. Pas besoin de pénaliser les citoyens lambda qui ne cherchent qu’à rentrer chez eux. Oui, mais.


Photo prise à l’occasion d’une marche pour le climat Londres 2018


Oui, il existe des méthodes « traditionnelles » se défendent les activistes, mais celles-ci ne suffisent pas, ne suffisent plus. Ils considèrent que l’appareil démocratique est verrouillé, et que les manifestations peuvent être tout simplement ignorées. Il faut, estiment-ils, gêner suffisamment le gouvernement pour que le fait de passer à l’action devienne pour lui plus rentable que de laisser traîner ces situations de blocage. De la même manière qu’une grève vise à se retenir de travailler pour forcer la main d’une entreprise ou de l’État, les blocages cherchent à créer du désordre. Il est en effet beaucoup plus compliqué d’ignorer une grève ou un blocage qu’une simple manifestation. Parallèlement, l’association organise une campagne de communication bien rodée, qui cherche à éviter de s’attirer les foudres des usagers qui sont perturbés par les blocages, pour au contraire pointer du doigt l’État comme responsable de l’impasse. Le fait que les actions de blocage soient non-violentes y participe aussi. Toute répression policière démesurée sera perçue comme honteuse dans l’opinion publique, et le mouvement cherche à présenter une image d’activistes bien intentionnés, jeunes et motivés - non comme des casseurs ou des délinquants.


Cependant, le jeudi 5 décembre 2019, le mouvement Extinction Rébellion a élargi son répertoire d’action en revendiquant la destruction de plus de 3000 trottinettes électriques dans plusieurs ville françaises. Ce nouveau mode de transport vendu comme écologique par leur fournisseurs, ne l’est pas autant qu’on pourrait le croire, « en raison de sa production très énergivore (202g de Co2 par passager), de sa faible durée de vie, et de la nécessité de les transporter tous les soirs pour les recharger », , ont-ils expliqué, jeudi, dans un communiqué. Driss Ibenmansour, directeur général France de Bird "déplore ses actions de sabotage. Il y a un problème d'information évident de XR par rapport à ce qu'on réalise. Une trottinette dure entre 12 et 18 mois, puis elle est recyclée ainsi que sa batterie. Cela n'impacte pas négativement l'environnement. Notre mission principale est de s'attaquer à la voiture et avoir moins de congestion urbaine et d'émissions de CO2. A priori s’attaquer à nos trottinettes n’est pas la meilleure façon de protester contre l’inaction climatique. » (interview du Monde, le 6 décembre 2019). Se pose alors la question de la réalité de la non-violence du mouvement. Peut-on réellement parler de non-violence et de mouvement pacifique, alors qu’il s’attaque allègrement à la propriété d’autrui ? En outre, il est important de préciser que l’étude[1] sur laquelle se fonde XR a été conduite à Monte Carlo, où des camionnettes s’occupent de ramasser les trottinettes le soir pour le rechargement. Nous manquons de données sur les procédés de rechargement dans les villes françaises pour pouvoir affirmer que le 202 g de CO2 par passager est correct ici.


Communiqué de presse Extinction Rébellion, reporter 5 décembre 2019


Cela étant, il est important de préciser un élément de la désobéissance civile identifié par John Rawls [2]: les désobéissants acceptent les conséquences de leurs actes qui peuvent pourtant aller jusqu’à des sanctions pénales importantes. En cela, ils ne cherchent pas à devenir des « hors-la-loi » - là où des délinquants cherchent à se sortir de la société en désobéissant à la loi et en en évitant la sanction. Ce positionnement n’est pas sans rappeler Criton, le célèbre dialogue de Platon dans lequel Socrate explique pourquoi il refuse de s’échapper de prison malgré sa condamnation à mort. Selon lui, s’il échappait aux lois quand elles lui sont défavorables alors qu’il en a profité quand elles lui étaient favorables, il commettrait une injustice (un crime pire que la mort!). En ça aussi, les activistes se distinguent des délinquants avec lesquels ils souhaitent se dissocier - ils compliquent la vie des policiers en formant des chaînes humaines, mais ne vont pas répliquer.


Légitimité : où placer la barre ?


Le dilemme posé par un mouvement de désobéissance civile vient de l’idée que la légitimité d’une action est plus importante que sa légalité. Car en admettant que cela s’entende - le cas de la deuxième guerre mondiale fait l’unanimité - la question est celle-ci : quand considère-t-on qu’une action de désobéissance est justifiée par la cause ? Comment éviter l’arbitraire ? Chacun pourra être tenté de considérer que ses croyances à lui sont suffisamment importantes pour justifier la désobéissance, là où celles des autres le seront moins. À titre d’exemple, suite à la promulgation de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, des maires ont annoncé qu’ils refuseraient de marier des homosexuels en demandant au Conseil Constitutionnel que soit reconnu une clause de conscience[3]. Mais dans les deux cas, il s’agit de faire primer sa conscience sur ce que dit le droit. Par conséquent, comment justifier objectivement qu’une cause soit légitime tandis que l’autre non ?


Tancrède Girard

Sixtine Clément de Givry

[1] https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ab2da8 Are e-scooters polluters? The environmental impacts of shared dockless electric scooters

Joseph Hollingsworth, Brenna Copeland and Jeremiah X Johnson

Published 2 August 2019 • © 2019 The Author(s). Published by IOP Publishing Ltd


[2] Philosophe américain (1921-2002), il est notamment connu pour son ouvrage Theory of Justice (1971).


[3] « L’objection de conscience désigne une exception à la loi commune de manière à être en conformité avec sa conscience individuelle, tandis que la désobéissance civile désigne un acte public illégal, visant à faire changer la loi pour des raisons graves » (Alain Thomasset dans un article de La Croix en novembre 2012).

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