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François Clerc, fondateur d’Apollo Films : «Un problème dans le cinéma est toujours surexposé»

Depuis la crise du Covid en 2020, qui fut si bénéfique aux plateformes de vidéo à la demande, le taux de fréquentation des salles de cinéma peine à retrouver son niveau d’avant l’épidémie. Le mois de septembre 2022 enregistre le plus faible taux historique, avec 7,38 millions d’entrées, selon le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée). François Clerc, fondateur de la société de distribution et d’édition de films d’animation et comédies Apollo Films, expose ici ses solutions pour relancer la fréquentation des salles et redynamiser le cinéma français.

Андрей Журавлев - stock.adobe.com

Quel regard portez-vous sur la crise que le cinéma traverse actuellement ?


Un problème dans le cinéma est toujours surexposé. Mettre en avant les crises fait partie d’un storytelling. Le cinéma français n’est pas démuni face à l’ultra-libéralisme des plateformes. Il y a un certain dynamisme et nous avons beaucoup de producteurs français réputés et une créativité enviée mondialement. Aucune boîte de production française n’a encore mis la clé sous la porte ! Nous anticipons déjà l’année 2023, la crise n’est pas au centre de nos préoccupations actuelles.


A quoi est dû cette baisse des entrées en salles ?


Au mois de septembre, le plus faible historiquement en termes d’entrées en salles, aucun film offert n’a été capable de générer un vrai buzz. Top Gun est le seul blockbuster sorti depuis le mois de mai ! Alors que le cinéma américain correspond à 50% des entrées en France. Ensuite, l'événement audiovisuel de la rentrée ne s’est pas joué en salles, mais du côté de la guerre entre La Maison des Dragons et Les Anneaux de Pouvoir. Une guerre totale entre Amazon et HBO largement relayés par les médias, payés par ces plateformes. Cette année, nous avons aussi remarqué un phénomène conjoncturel. La note d’appréciation des films est en augmentation constante, mais il y a moins de coups de cœur, alors que le cinéma n’est porté que par des succès. 2023 sera pour cela une année pivot, avec une offre à fort potentiel.


Dès septembre, l’organisation « d’Etats Généraux », pour sauver le cinéma, a été demandée au gouvernement par certains professionnels du secteur. Qu’en pensez-vous?


C’est un coup d’épée dans l’eau de gens qui ont exprimé une frustration. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas donné suite à cette interpellation. Ce n’était pas demandé par les bonnes personnes, ni dans les bonnes conditions. Ceux qui hurlent sont ceux qui travaillent « à la subvention » et qui ont peur de la « fin de l’enveloppe ». Il s’agit aujourd’hui de laisser le marché se réexprimer un peu, pour ne pas mettre sous perfusion des boites qui n’ont pas vocation à être pérennes. C’est la fin d’une abondance « artificielle », offerte par une politique culturelle très généreuse, qui provoque une angoisse. Il faut quand même qu’il y ait une logique de marché, parce que les nouveaux acteurs, les plateformes, eux sont dans cette logique !


En quoi la chronologie des médias est-elle encore un modèle qui fonctionne, pour protéger le cinéma français et en particulier les salles, face à la concurrence de géants comme Netflix ?


Il y a énormément de désinformation sur la chronologie des médias. Ceux qui la décrivent mettent en avant le spectateur, alors que sa finalité est le financement du cinéma. Après les années 1960, le nombre de co-investisseurs sur un film a explosé et la chronologie stipule que plus ils investissent dans le cinéma, plus ils peuvent exploiter le film tôt, après sa sortie en salles. Ce n’est donc pas un outil de régulation de la consommation. Seulement, elle crée un déséquilibre. Le cinéma d’auteur, qui n’est ni français ni américain, en souffre puisque nous sommes actuellement dans un modèle où on ne peut rien faire contre les américains et où on sacralise le cinéma français. Il y a donc moins de cinéma espagnol, italien ou allemand.


Pourquoi est-il important de soutenir les salles de cinéma ?


Tout d’abord, un film qui ne marche pas en salle, ne marchera nulle part ailleurs ! D’ailleurs, tous les studios qui avaient décidé de sortir leurs films sur leurs plateformes en même temps qu’en salle, sont revenus sur cette politique. La sortie en salle permet une « événementialisation » de l’œuvre, qui occupe alors le terrain médiatique. Ensuite, c’est une question de politique. Est-ce que les gens doivent rester chez eux, se mettre dans leur canapé et regarder des films sur leurs écrans ? Ou alors est-ce qu’ils sortent, se rendent dans une salle et créent de la valeur et de l’activité dans les centres-villes ? La salle de cinéma, c’est la lumière dans le quartier le soir. Les spectateurs consomment dans les restaurants et les bars, ils s’ouvrent culturellement, développent leur esprit critique et socialisent. Alors qu’en restant chez eux, à scroller, ils confortent leur propre point de vue et sont de plus en plus radicaux. C’est donc bien un sujet de politique générale que de soutenir les salles et pas seulement une politique culturelle, mais cela n’a pas été compris de tous.


Comment faire revenir le public en salles ?


Depuis le confinement, réaliser un bon film ne suffit plus. Il faut un film qui soit essentiel, un film à voir. Malheureusement, on ne propose rien qui incite à aller au cinéma. Il faut aborder les choses par l’offre. Aujourd’hui, par exemple, nous savons que le cinéma ne rassemble plus les 25-49 ans. Ces profils se sont déplacés vers les séries, comme Game of Thrones, puisqu’ils ne rencontrent plus d'offres qui pourraient leur plaire. Aussi, on parle de la menace des plateformes, mais nos séries télévisées françaises, très qualitatives comme HPI, constituent une concurrence de taille. Je dirai même que c’est cela la vraie concurrence, puisqu’elles nous poussent à faire mieux.


Que pensez-vous des accords, tels que celui signé entre Netflix et des salles de cinéma d’« art et essai » en 2021, comme moyen de relancer la fréquentation des salles ?


Ce n’est que de la communication ! Netflix n’a pas le droit de vendre de billets. Ils ont simplement loué et invité leurs abonnés. C’est une stratégie évènementielle, qui n’a pas vocation à durer. Quand Netflix dit « j’investis les salles de ciné pour montrer mes films », c’est pour « faire chier » le cinéma. De la part d’une boîte qui s’est construite en disant « le cinéma est mort », il y a un vrai paradoxe.


Qu’en est-il du « modèle d’excellence » à la française ?


Il est plus que jamais présent, voire un peu trop. La France cherche à valider une exception culturelle en Europe, bien évidemment attaquée aujourd’hui par les concurrents américains, mais qui reste très enviée dans le monde. Il y a une émergence récente du cinéma français sur les prix, due à la disparition du cinéma US, le premier « bouffé » par les plateformes. Par exemple, Titane a remporté la Palme d’Or. Aujourd’hui, le seul problème pour l’excellence française tient dans le manque de talents disponibles. Il est aussi très compliqué de tourner dans Paris, car les plateformes ont pris la place et nous avons de moins en moins d’émissions pour exposer nos films. C’est cela qui est dur.

Qu’attendez-vous de la part du gouvernement français ?


Nous avons la chance d’avoir un système qui fonctionne bien avec le CNC, un organisme public de tutelle, qui est un vrai soutien pour nous, mais qui a eu une politique un peu « nataliste » en surprotégeant le cinéma. Il faut faire moins de films mais mieux. Le CNC doit faire davantage de choix. Il faut un retour de la qualité !



Propos recueillis par Margaux Couillard






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