Les chercheurs en science politique comme les acteurs locaux le constatent : les métropoles du Grand Paris et d’Aix-Marseille-Provence ont du mal à absorber les communes qui les composent et à produire une action publique efficace et légitime. Manque de bonne volonté sur le terrain ? Illusion technocratique initiale dans les ministères ? Le débat est lancé sur le statut métropolitain en France. L’auteur a effectué son mémoire de recherche de Master 1 en traitant de ce sujet. L’occasion d’en apprendre davantage sur ce phénomène mondial qui ne semble pas prêt de s’inverser : la métropolisation. La conclusion est sans appel : si le Grand Paris et Aix-Marseille-Provence sont difficilement gouvernables, les 20 autres métropoles affichent des succès notables. Principale cause de ces deux exceptions : les luttes politiques particulières à ces territoires que l’État n’a pas réussi à étouffer.
Le terme « métropolisation » regroupe principalement à la fois une vision économique et un aspect social, avec toujours la notion de « fracture ».
Au niveau économique, les métropoles dont des espaces géographiques concentrant l’activité, ce sont les vastes agglomérations offreuses d’emplois, et donc la fierté des pays cherchant à se montrer dynamiques, attractifs et compétitifs sur une planète ultra-connectée et entrée dans l’ère post-industrielle. De là survient une « fracture territoriale » au sein d’un même pays, entre des pôles nationaux puissants et des régions enclavées, davantage rurales et grandes perdantes de cette métropolisation, se vidant de leurs habitants en quête de meilleures conditions de vie. Les métropoles, orgueilleuses, montrent les muscles. Un précédent article publié par L’OEil d’Assas (le 18 novembre 2019, consultable sur le site) a montré comment Milan, actuel coeur économique de l’Italie, concurrence désormais Rome, capitale du pays de par son statut historique et sa gloire passée.
Au niveau social, une « fracture » existe également : gigantesques territoires regroupant des dizaines, parfois une centaine de villes, les métropoles accumulent les richesses d’un côté, la misère de l’autre. Dans les années 1970, New York était vue comme une métropole ingouvernable de par la multiplicité des quartiers, des populations, des intérêts antagoniques, des échelons administratifs et politiques, autant de freins à une action publique cohérente et coordonnée, le tout plongé dans une crise économique et fiscale. La fameuse image de Rio de Janeiro et ses tours résidentielles luxueuses avec vue sur les favelas en contrebas reste également dans les mémoires.
(Crédits : DR)
La métropole en France : grande diversité, trois modèles institutionnels dominants
Or notre pays n’a pas échappé à ce phénomène de métropolisation, et ce qui était perceptible sur le terrain – concentration des populations et des richesses dans les grandes villes interconnectées – a été ancré dans le droit, en premier lieu par la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) de 2010 créant le statut juridique de métropole, puis par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPAM ou MAPTAM) de 2014 instituant les premières d’entre elles. La métropole est désormais la forme la plus aboutie de l’intercommunalité, c’est-à-dire de la coopération entre plusieurs communes, donc entre plusieurs maires et conseils municipaux, en vue de rationaliser l’action publique locale et effectuer des économies. Actuellement nous comptons 22 métropoles1 .
Sept critères ont été retenus pour les comparer : leur mode de création (décision de l’État ou volonté des acteurs locaux), le degré de coopération intercommunale précédant l’institution de la métropole, le niveau d’intégration fiscale (la part d’impôts prélevée directement par la métropole et non les communes qui la composent), l’existence ou non d’une solidarité fiscale entre communes de la métropole, le type d’acteur présidant la métropole (maire de la principale commune ou maire d’une commune secondaire), le nombre de communes intégrées à la métropole et le mode de répartition des élus métropolitains (représentation proportionnelle ou non).
Sur 22 métropoles, 15 d’entre elles ont un modèle (c’est-à-dire une combinaison de ces sept critères) qui leur est propre : au final, il faut davantage évoquer « les métropoles » que « la métropole » en France, ce qui n’est pas négligeable pour le décideur public soucieux d’en créer de nouvelles. Trois modèles partagés peuvent cependant être dégagés :
Grand Paris et Aix-Marseille-Provence : deux exceptions dans le paysage métropolitain français
Alors que les spécialistes de l’intercommunalité pointent les échecs du Grand Paris (citons Patrick Le Lidec2 ) et d’Aix-Marseille-Provence (étudiée par Maurice Olive3 ), les 20 autres métropoles semblent bien fonctionner : certes, des tensions politiques apparaissent ici ou là entre maires, mais pas de tension institutionnelle, pas de remise en cause du projet métropolitain lui-même. La cause de ces deux échecs si souvent évoqués ? La décision unilatérale de l’État de regrouper un grand nombre de communes qui n’avaient franchement pas envie de coopérer d’elles-mêmes, et qui manifestent aujourd'hui leur opposition au projet métropolitain. Patrick Ollier, président récemment réélu de la Métropole du Grand Paris, a lancé un nouvel appel à l’État pour décrier l’échec de la métropole francilienne et demander une réforme législative de son statut4 . Les élus d’Aix ont quant à eux critiqué Marseille en 2018 pour avoir détourné la métropole à son profit en « vampirisant le budget » dans une « improvisation institutionnelle » 5 .
Fait intéressant, les métropoles créées unilatéralement par l’État mais possédant un passé de coopération intercommunale suffisamment forte (communauté urbaine, voire d’agglomération) fonctionnent, les communes s’étant adaptées facilement à la métropolisation juridiquement parlant depuis des années.
Au fond, c’est donc bien la politique locale qui explique la réussite ou l’échec des métropoles françaises, peu importe le niveau d’intégration fiscale, le nombre de communes, etc.
Pierre Pelini
[1] Métropole de Lyon, Toulouse Métropole, Métropole Européenne de Lille, Grenoble-Alpes Métropole, Aix-MarseilleProvence, Grand Paris, Eurométropole de Strasbourg, Bordeaux Métropole, Rouen Normandie Métropole, Rennes Métropole, Nantes Métropole, Nice Côte d’Azur, Tours Métropole Val de Loire, Orléans Métropole, Dijon Métropole, Clermont-Auvergne Métropole, Saint-Étienne Métropole, Grand Nancy, Metz Métropole, Brest Métropole, MontpellierMéditerranée, Toulon-Provence-Méditerranée.
[2] Le Lidec Patrick, « La fabrique politique de la métropole du Grand Paris. Une analyse de process-tracing (2001-2017) », Gouvernement et action publique, 2018/4 (VOL. 7), p. 93-125. DOI : 10.3917/gap.184.0093. URL : https://www.cairn.info/revue-gouvernement-et-action-publique-2018-4-page-93.htm
[3] Olive Maurice, « Métropoles en tension. La construction heurtée des espaces politiques métropolitains », Espaces et sociétés, 2015/1 (n° 160-161), p. 135-151. DOI : 10.3917/esp.160.0135. URL : https://www.cairn.info/revue-espaceset-societes-2015-1-page-135.htm (consulté le 8 avril 2020)
[4] César Armand, « Gouvernance du Grand Paris : la métropole presse l'Etat d'agir vite », La Tribune, 20 juin 2019, https:// www.latribune.fr/regions/ile-de-france/gouvernance-du-grand-paris-la-metropole-presse-l-etat-d-agir-vite-821038.html
[5] Rof Gilles, « Métropole : la tension entre Aix et Marseille ravivée », Le Monde, 10 janvier 2018, https://www.lemonde.fr/ politique/article/2018/01/10/metropole-la-tension-entre-aix-et-marseille-ravivee_5239720_823448.html
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