Figure du panafricanisme sur le continent africain, Kémi Séba a su mobiliser des milliers de partisans sur plusieurs sujets sensibles. Conjuguant éloquence et prestance, le militant panafricaniste a été l’instigateur d’importantes manifestations qui ont déjà fait vaciller plusieurs gouvernements en Afrique francophone. Portrait du militant franco-béninois, à l’origine de l’essor du panafricanisme sur le continent africain et figure de la lutte contre le néo-colonialisme.
Des débuts sulfureux de lutte politique
Kémi Séba, Stellio Gilles Robert Capochichi de son vrai nom, est né le 9 décembre 1981 à Strasbourg, d’un père médecin et d’une mère qui l’éleva seule suite au divorce de ses parents. Le militant franco-béninois décide très tôt de s’engager en politique. Il rejoint à ses 18 ans le mouvement francophone de la Nation of Islam, puis crée sa propre association dénommée « Tribu Ka » qui sera dissoute par décret du Premier ministre pour « incitation à la haine raciale ». Kémi Séba sera condamné en 2008 pour avoir tenté de refonder illégalement la « Tribu Ka » sous une autre appellation : « Génération Kémi Séba ». Il écopera pour ce chef d’une peine de six mois de prison dont deux fermes.
Sa quête identitaire va le conduire à s’exiler en dehors des frontières françaises. S’estimant persécuté politiquement, Kémi Séba décide de quitter la France pour s’installer au Sénégal. Le militant franco-béninois va ensuite co-fonder l’ONG Urgences panafricanistes qui entend défendre les « droits des noirs » et se spécialiser sur les questions relatives à la souveraineté, au néo-colonialisme et à la promotion de la justice sociale. Fondée en décembre 2015 à Dakar, l’ONG va mettre sur pied des antennes partout en Afrique francophone pour toucher un maximum de public. Pour mener à bien son action politique, Kémi Séba entreprend des démarches pour s’installer au Bénin dont il est originaire et obtenir la nationalité.
Un combat pour concrétiser une décolonisation inachevée
Décrit comme étant un militant anti-français sur le continent africain, Kémi Séba s’est toujours défendu de l’être. Il manifeste en ce sens son opposition constante contre l’élite politique française qu’il désigne comme étant « l’oligarchie française ».
« Une civilisation n'est détruite de l'extérieur que si elle est rongée à l’intérieur » disait Will Durant. Cette citation, largement reprise par Kémi Séba dans ses prises de parole, lui a permis de construire le squelette philosophique de son combat contre le néo-colonialisme et ce, avec un ennemi tout tracé.
Avec l’ONG Urgences Panafricanistes, Kémi SEBA mène depuis 2015 des actions symboliques sur le continent. En août 2017, il décide de brûler symboliquement un billet de 5000 francs CFA - anciennement monnaie coloniale des territoires français d’Afrique - pour dénoncer le maintien de cette monnaie.
En 2018, la France et l’Italie vont être au cœur d’une crise diplomatique suite à la remise d’un rapport de Kémi Séba à l’Italie sur le franc CFA. Par l’intermédiaire du ministre italien des Affaires étrangères, Luigi Di Maio va fustiger le franc CFA, monnaie toujours utilisée par plus d’une dizaine de pays africains.
Héritant d’une monnaie coloniale, le franc CFA est le symbole inachevé de la décolonisation en Afrique francophone. Synonyme de souveraineté monétaire et d’indépendance politique, les États africains utilisant le franc CFA comme monnaie dispose d’un arrimage à l’euro, leur permettant de conserver une stabilité financière certaine, mais au détriment d’une souveraineté monétaire. De surcroît, le franc CFA est garanti par le Trésor public français, ce qui renforce les critiques toujours grandissantes sur le manque d’indépendance monétaire des États africains.
Face à l’ampleur des manifestations, les gouvernements africains ont pris des mesures pour éviter l’embrasement général. Les manifestations contre le franc CFA ont été interdites et sévèrement réprimées. Kémi Séba a en ce sens fait l’objet de plusieurs arrestations et expulsions du territoire : Mali, Sénégal, Bénin, Guinée, Côte d’Ivoire et Burkina Faso. Chacun de ces pays l’accusant d’être une « menace grave pour l’ordre public ». Par ses actions en Afrique, Kémi Séba a contribué à faire vaciller des gouvernements africains déjà instables du fait de l’activité des groupes armés terroristes dans la région.
Face à la multitude des coups d'Etat en Afrique francophone ces dernières années, du Mali au Burkina Faso en passant par le Niger, le statut de Kémi Séba a indéniablement évolué. De militant politique à personnalité politique incontournable, il est aujourd’hui un précurseur d’un panafricanisme désinhibé à destination de la jeunesse africaine qui reçoit positivement le discours dynamique du franco-béninois.
Suivi par des millions d’africains, Kémi l’admet, l’enjeu est désormais tout autre et d’une autre nature. Il s’agit dorénavant de se positionner sur la scène internationale en faisant de la géopolitique avec d’autres Etats et en nouant potentiellement avec eux des alliances basées sur la convergence des luttes contre le néo-colonialisme.
La convergence des luttes contre le néo-colonialisme
En plus d’être un maître à penser, Kémi Séba a planté les germes de la pensée panafricaine qui connaît un essor remarquable sur le continent. Devant la popularité croissante du militant, celui-ci reconnaît avoir été sollicité par plusieurs États étrangers pour conjuguer leurs efforts.
Kémi Séba n’a jamais nié avoir des liens particuliers avec la Russie et Evgueni Prigojine, le défunt patron de Wagner. Plus largement, le militant panafricaniste assume pleinement entretenir des relations avec des représentants étatiques de Turquie, d’Iran, du Venezuela, de Cuba et même du Hezbollah libanais. Son combat, dit-il, se concentre sur la convergence des luttes contre le « néo-colonialisme » et l’oligarchie occidentale qu’il estime être l’adversaire à combattre politiquement.
Le combat porté par le franco-béninois s’inscrit au-delà de la sphère politique. L’aspect politique a laissé place à une lutte géopolitique globale en Afrique, où la présence de la France est de plus en plus remise en cause. D’autres Etats comme la Chine, la Russie ou encore la Turquie entendent bien succéder au pays hexagonal qui fait face à un « rejet » croissant en Afrique francophone.
Kémi Séba participe en grande partie à nourrir ce rejet. Ces interventions dans les médias appellent régulièrement les gouvernements africains à couper le « cordon ombilical » avec la France qu’il cible en particulier.
Dans une interview du 13 mars 2023 accordée à la Chaîne parlementaire (LCP), le journaliste Yves Thréard interroge Kémi Séba en préambule : « Pourquoi autant de haine envers la France ? ». Sa réponse, foudroyante, déstabilise d’entrée le journaliste : « Ça c’est votre observation, qui est des plus subjectives. Vous appelez haine ce que nous, nous appelons volonté de souveraineté, volonté d’autodétermination, volonté de cessation définitive du néo-colonialisme ». L’interview a été déprogrammée juste avant sa parution, devant la pression des acteurs politiques français qui accusent le militant d’être un « relai de la propagande russe ».La déprogrammation n’a pas empêché l’interview de fuiter et d’accroître encore davantage la légende de Kémi Séba, qui a aussitôt critiqué une censure du régime français.
À partir du Bénin dont il est installé, Kémi Séba ne cache plus son ambition politique à la tête de la présidence du Bénin, actuellement dirigée par Patrice Talon qu’il combat farouchement du fait de sa proximité avec le gouvernement français. Cette ambition présidentielle devra néanmoins attendre 2026, pour laquelle le militant panafricaniste aura le temps d’étayer son programme présidentiel.
Semih Solak
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