L’ambitieuse nouvelle relance de Dailymotion

Dailymotion a longtemps été considéré comme le challenger français de YouTube jusqu’aux années 2010. Malheureusement, il n’a jamais été catalogué comme un incontournable du partage de vidéos. Aujourd’hui, la plateforme espère renouer avec le succès grâce à un nouveau format inspiré de TikTok, et une particularité : l’absence d’algorithme poussant à la surconsommation.

Capture d'écran de Dailymotion.com sur ordinateur

Il y a seize ans, MonsieurDream, plus connu aujourd’hui sous le nom de Cyprien, publiait sa toute première vidéo sur Internet. Contrairement à ce que l’on peut penser, le créateur aux 14 millions d’abonnés ne l’avait pas postée sur YouTube. À l’époque, la plateforme de référence pour les internautes français se dénommait Dailymotion : un site ambitieux, populaire, et surtout français, face à l’hégémonie étasunienne.

De concurrent à YouTube à hébergeur de replays

Olivier Poitrey et Benjamin Bejbaum, deux informaticiens franciliens, fondent en 2005 le site shortv.net, rapidement renommé Dailymotion. Le service s’ajoute à deux autres plateformes de vidéos étasuniennes qui viennent d’être créées : Vimeo et YouTube. Malheureusement, le modèle économique de ce type de site se révèle très vite extrêmement coûteux et YouTube se retrouve fortement avantagé dès la fin de l’année 2006 à la suite de son rachat par Google. Dailymotion va, de son côté, pouvoir s’assurer de la participation de l’État français dans son capital, un gage de sécurité important pour les investisseurs. Mais son business model ne sera pas viable sur le long terme et le site sera très vite racheté par Orange. Au début des années 2010, les vidéastes français les plus célèbres quittent Dailymotion pour le géant américain pour plusieurs raisons pratiques, dont une en particulier : la monétisation des vidéos. Principe que n’avait pas anticipé le site français à l’époque.

Les tentatives de rachats avortées, notamment celle de Yahoo!, semblent donner l’impression que l’entreprise ne se développera jamais pour de bon. La cause principale était la nationalité des potentiels acheteurs : le gouvernement de François Hollande souhaitait à l’époque que la plateforme reste française. En 2015, le groupe Vivendi, propriété de Vincent Bolloré, est intéressé et Orange cédera l’entreprise au groupe du milliardaire français.

Une nouvelle stratégie est lancée : héberger des émissions en rediffusion, exclusivement disponibles sur Dailymotion, en signant des partenariats avec de gros médias. Ainsi, les vidéos du média en ligne Konbini, du quotidien Le Monde ou encore de la chaîne CNEWS sont toutes diffusées sur leurs sites à partir du « player » Dailymotion.

Un nouveau modèle atypique, sans algorithme addictif

L’hébergeur tricolore de vidéos semble donc avoir abandonné toute perspective de talonner de nouveau YouTube dans le futur. Mais la « stratégie player », n’est une nouvelle fois pas viable et ne crée pas de réel dynamisme pour l’entreprise. Le lecteur est certes toujours autant sollicité, mais très peu d’utilisateurs se connectent et interagissent sur le site principal Dailymotion.com.

C’est alors qu’une nouvelle perspective se dessine pour Dailymotion : les récents scandales portant sur la plateforme TikTok, à la fois sur les soupçons d’espionnage de la part de la Chine et sur son algorithme pouvant provoquer des troubles psychologiques sur les adolescents, ont donné des idées aux dirigeants de Vivendi : créer une version de l’algorithme française et moins addictive.

Cela va répondre à deux enjeux : être compétitif en proposant un tout nouveau modèle sans algorithme « nocif », et essayer d’atteindre un objectif jamais atteint jusqu’ici : enfin croire à une perspective de souveraineté numérique, avec un site et une technologie 100% française. D’autant que les débats sur l’interdiction de TikTok prennent de plus en plus d’ampleur, à la fois dans les pays de l’Union Européenne, avec par exemple son interdiction dans les institutions fédérales belges, mais également aux États-Unis, où le Montana a tout récemment interdit l’application sur son sol.

Capture d'écran d'une vidéo sur Dailymotion du média 20 Minutes sur téléphone

L’interface présentée ci-dessus est bien sûr similaire à TikTok, mais avec deux particularités : les boutons « Perspective » (1) et « React » (2).

Le bouton « Perspective » constitue la principale caractéristique de l’algorithme à la conception inédite. Sur la capture d’écran, le sujet évoqué est celui de l’agression du petit neveu du Président de la République à Amiens. En appuyant sur le bouton présent sous la description de la vidéo, les utilisateurs pourront consulter les différents contenus, éclairages et points de vue portant sur le sujet, publiés sous d’autres angles.

Le bouton « React » permet quant à lui de réagir à un contenu visionné dans le volet « Accueil », par le biais d’une courte vidéo, dans l’objectif de créer du débat entre utilisateurs. Contrairement à TikTok, cette fonctionnalité est ici bien mise au premier plan pour inciter le plus possible à réagir. En effet, les vidéos proposées sont toutes publiées soit par des créateurs reconnus, soit par de grands médias. Pour qu’un utilisateur nomade puisse apparaître dans le fil et réellement prendre de l’ampleur, il n’y a qu’une seule voie possible : le bouton situé en bas du contenu affiché.

Avec le slogan, un « algo qui nous veut du bien », Dailymotion surfe sur une question qui suscite des inquiétudes dans toutes les tranches d’âge de la société, à savoir la place des algorithmes et leurs conséquences sur nos vies. Ici, dans le fil principal, sont majoritairement proposées des vidéos publiées par la liste d’abonnements, en étant parfois agrémentées d’un sondage, autre nouveauté par rapport à TikTok.

Un fonctionnement prometteur encore confronté à quelques embûches

Capture d'écran de Dailymotion.com sur téléphone

Quelques jours après le lancement de cette nouvelle version, il est possible de souligner quelques problèmes quant à cette première expérience, en premier lieu l’ambiguïté concernant le fonctionnement de la plateforme : est-ce toujours une plateforme de longues vidéos comme jusqu’à présent, ou la page est-elle tournée pour faire place à des formats courts ? Comme le témoigne cette capture d’écran, en appuyant sur la vidéo en cours de lecture, apparaît de nouveau le lecteur « classique » de Dailymotion.

Cela peut créer la confusion : ainsi, en étant abonné à RMC Sport, il peut être parfois proposé dans le fil une émission à la durée avoisinant la demi-heure, ce qui peut détonner par rapport aux contenus habituels qui sont recommandés dans des applications similaires, sur lesquelles les vidéos dépassant la minute sont souvent scrollées à n’en plus finir.

Semble également persister l’absence de monétisation pour les créateurs, ce qui au début des années 2010 avait contribué à la migration des créateurs de contenus français vers YouTube.

Enfin, le manque de (nouveaux) utilisateurs est également un problème, pour le moment. Certes, il encore trop tôt pour être affirmatif, mais il y a à l’heure actuelle peu de likes, peu de commentaires, et donc quasiment aucune vidéo « React », censées être l’un des atouts de ce nouveau modèle. Ce que les fondateurs nomment l’« algorithme d’exploration » est perçu comme étant encore au tout début de son existence, en témoigne des vidéos apparaissant plusieurs fois dans la même journée dans le fil d’accueil.

Selon Guillaume CLÉMENT, chef des opérations chez Dailymotion, cet algorithme, grâce à la fonction Perspective, représente « presque un enjeu démocratique (…) [ce] qui est assez noble ». Gare à ce que Dailymotion ne s’adresse pas uniquement à des catégories sociales aisées et diplômées, alors que la plupart des utilisateurs consultent ce genre d’application dans le même objectif : se distraire.

Josselin Lucké Baron