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L’euthanasie doit-elle être légalisée en France ? Faits et enjeux autour d’un choix de société


En France, selon un sondage Ifop réalisé en février 2022, 94% des Français approuvent le recours à l’euthanasie et 89% sont favorables à ce que le suicide assisté soit possible en France.


Durant la campagne de l’élection présidentielle que la France vient de connaître, plusieurs thématiques se sont imposées dans le débat public à l’instar de la guerre en Ukraine ou du pouvoir d’achat des Français. En revanche, celle qui concerne la fin de vie et en particulier l’euthanasie n’a pas réellement suscité l’intérêt des candidats à l’Élysée ni l’attraction des médias.


Pourtant, le président de la République Emmanuel Macron réélu, comme sa rivale du second tour Marine Le Pen, avaient donné leurs positions sur la législation encadrant la fin de vie en France. Si cette dernière avait indiqué ne pas vouloir modifier la loi actuelle, Emmanuel Macron avait lui précisé vouloir faire appel à une « convention citoyenne » pour trancher la question de la fin de vie, se déclarant au détour d’un échange avec une femme sur l’euthanasie « favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge ».


Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale et membre de la garde rapprochée du Président Macron, avait même selon Le Figaro sous-entendu lors d’une interview le 11 avril dernier que « le droit à mourir dans la dignité » serait peut-être l’une des grandes réformes sociétales du second quinquennat.


Si l’actualité parlementaire et politique estivale se concentre autour du projet de loi sur le pouvoir d’achat, le cadre législatif entourant la fin de vie en France risque de s’immiscer au coeur des débats politiques avant la fin de l’ère macronienne. C’est pourquoi nous vous proposons de revenir sur les différentes possibilités qui entourent la fin de vie, les problématiques éthiques, religieuses et sociales qui entourent l’euthanasie ainsi que l’évolution de la législation française à l’aune de l’évolution des mentalités à ce sujet dans notre pays.


Sédation profonde, euthanasie et suicide assisté : des procédures à différencier dans le cadre du débat sur la fin de vie


D’une perspective étymologique, le mot euthanasie tire ses racines du grec ancien avec « eu » signifiant « bon » et « thanatos » renvoyant à la « mort ». Il résonne donc d’abord avec l’idée d’une fin de vie calme et sans souffrance. Dans une acception davantage médicale et contemporaine, l’euthanasie définit l’utilisation de procédés qui permettent de provoquer et précipiter le décès de personnes atteintes d’une maladie incurable engendrant pour eux une souffrance insupportable qu’elles souhaitent abréger.


La Haute Autorité de Santé rappelle en 2018 les différences entre l’euthanasie et une sédation profonde et continue jusqu’au décès. En effet, contrairement à cette dernière, l’euthanasie répond à une demande du patient d’arrêter des traitements qui le maintiennent en vie, d’utiliser pour cela un dose létale qui provoque sa mort immédiate. L’administration d’une sédation profonde altère la conscience de la personne sans la tuer et ne permet pas de se prononcer sur le moment exact du décès de quelqu’un.


Pour certains, l’euthanasie conduit finalement à une sorte de suicide puisque cela revient à exprimer la volonté de se donner la mort, à l’aide d’une tierce personne. Toutefois une différence est faite entre l’euthanasie et ce qui est nommé suicide assisté. Par là, il est entendu la situation d’une personne qui n’est pas forcément atteinte d’une maladie incurable et qui se caractérise selon le Comité consultatif national d’éthique par le fait que le médecin fournit une dose létale que l’individu est lui-même en capacité de s’injecter.



L’euthanasie est actuellement autorisée en Colombie, aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg. En mars 2021, l’Espagne devient le sixième pays au monde à la légaliser. Pour la troisième fois, l’Assemblée nationale du Portugal a voté en faveur de la dépénalisation de l’euthanasie le 9 juin 2022.


Il est également important de préciser que le cadre législatif de l’euthanasie peut varier, et renvoie donc à des réalités différentes, en plus des cas particuliers que représente chaque patient.

Davantage controversé, le suicide assisté n’est autorisé pleinement qu’en Suisse et dans certains États des États-Unis. D’ailleurs, Jacqueline Jenquel, une française de 74 ans, ancienne vice-présidente de l’Association pour le droit de mourrir dans la dignité, avait témoigné dans plusieurs médias depuis 2018 pour évoquer son choix de déterminer le moment de sa mort et ainsi aller dans une clinique suisse (elle finit après plusieurs reports par se suicider à Paris le 29 mars 2022).


L’euthanasie, débat contemporain qui soulève des questionnements sur le rapport de notre société à la mort


La question de la mort, plus précisément celle de bien mourir, fait partie des sujets de controverse qui ont traversé les siècles et les sociétés, à travers les religions ou des principes philosophiques.

Dans les traces que nous avons de l’époque antique, le serment d’Hippocrate (Ve siècle avant Jésus-Christ) formulé par le médecin grec du même nom, précise que l’administration d’un remède ne doit jamais porter atteinte délibérément à la vie du patient, peu importe la raison.

Dans le monde chrétien occidental du Moyen-Âge, les textes sur l’art de bien mourrir (Ars moriendi en latin) donne une vision chrétienne de la fin de vie, en proposant des principes visant à mourrir d’une bonne manière, pour le salut de l’âme.

Dans la pensée islamique, le chercheur Mahmoud Abbasi rappelle dans un article consacré à l’euthanasie dans le droit musulman que seul Allah a le pouvoir de rappeler les âmes. L’acte de donner la mort et de se donner la mort, donc par là l’euthanasie et le suicide assisté, sont « un impensé religieux et rationaliste ». C’est une position qui se retrouve également dans le christianisme et le judaïsme.


Aujourd’hui, avec l’allongement de la durée de vie moyenne (en 2022, l’espérance de vie moyenne d’une française est de 85,4 ans, contre 79,3 ans pour un français), la question du grand âge et de la progressive dépendance se pose, et avec elle l’idée que nous pourrions décider de partir avant de tomber dans les turpitudes de la vieillesse. C’est ce qu’aborde avec légèreté la série Netflix Grace et Frankie, duo de femmes septuagénaires qui se retrouvent à habiter ensemble après le coming out tardif de leurs maris respectifs. Tout au long de la série, la question de la fin de vie et des conditions décentes pour vivre sont posées. Dans la saison deux, Babe, l’amie de Frankie, est une vieille dame qui aime célébrer la vie. Pourtant, elle annonce à sa grande amie vouloir organiser une fête qui sera sa dernière. En effet, atteinte d’une maladie grave, elle ne souhaite pas souffrir et ne plus pouvoir effectuer ce qui la rend heureuse, préférant ainsi choisir son moment pour mourir. C’est l’horizon de la maladie et de la dépendance qui lui fait prendre sereinement la décision de partir. À l’inverse, à la fin de la série (attention spoiler), Grace craint de devenir de plus en plus limitée dans sa vie à cause de ses douleurs aux genoux. S’agissant de Frankie, une voyante lui a prédit la date de sa mort. Cependant, elle se rend vite compte que ce qui la terrifie, ce n’est pas de mourrir mais de devenir un poids pour son acolyte. Elle n’arrive plus à peindre à cause de son arthrose. Ce n’est pourtant pas le chemin du suicide qu’elles décident de prendre mais celui de se soutenir dans la vieillesse et de se compléter dans les tâches du quotidien. Grace aide Frankie à tenir son pinceau et Frankie constitue un appui pour Grace lors de leurs balades sur la plage.


Les enjeux qui entourent une possible légalisation de l’euthanasie soulèvent aussi un questionnement plus global qui est le suivant : Laisser mourir est-il le même acte que de donner la mort ? Si tel est le cas, alors aucun principe moral ne vient s’opposer au fait de légaliser l’euthanasie. Que ce soit en laissant la personne mourir par sédation profonde ou en lui administrant une substance létale de manière active, la conséquence est la mort du patient. Toutefois, dans une logique plus kantienne, qui se place dans une vision déontologique de la morale, tuer ne revient pas au même acte que de laisser mourir.


C’est d’ailleurs à travers la saga à succès Game of Thrones que la philosophe Marianne Chaillan réfléchit au sujet de l’euthanasie par l’éthique appliquée, pan de la philosophie morale, qui permet d’ « évaluer et mettre en perspective des dilemmes éthiques concrets et nourrissent les débats publics » (Marianne Chaillan Game of Thrones, une métaphysique des meurtres, chapitre « Valar Morghulis, la question de l’euthanasie au royaume des sept couronnes » (2016)).



Cersei et Jaime Lannister, incarnés par Lena Headay et Nikolaj Coster-Waldau dans la série télévisée Game of Thrones (saison 1 - crédits images : allée des curiosités)


L’auteure choisit plusieurs personnages de l’oeuvre pour illustrer les débats contemporains qui entourent l’euthanasie. À côté de la question de l’acte en lui-même, se pose aussi la valeur accordée à la vie. Finalement, est-ce que toute vie mérite d’être vécue ?


Marianne Chaillan met en exergue la discussion qu’ont Cersei Lannister et son frère Jaime, dans le premier épisode de la première saison de Game of Thrones. Après avoir poussé le jeune Bran du haut de la tour, afin que leur secret ne soit pas révélé, celui-ci reprend conscience…mais perd l’usage de ses jambes. Les deux coupables soutiennent alors qu’ils préféreraient mourrir que de vivre avec une telle incapacité. Il en est de même pour Bran qui aurait voulu ne pas survivre dans une telle condition. En revanche, la philosophe qui s’est fait connaître d’abord en vulgarisant des concepts de philosophie classique grâce aux personnages d’Harry Potter montre que le personnage de Tyrion Lannister tient exactement la position inverse. Atteint de nanisme dans une époque lointaine où les nourrissons comme lui étaient abandonnés ou tués, il répond à ses frère et soeur Lannister que « la mort est définitive alors que la vie est pleine de possibilités ». C’est le même Tyrion qui va permettre à Bran en l’occurence de pouvoir remonter à cheval grâce à l’une de ses inventions.


Du côté des philosophes classiques, Kant a pris la plume pour condamner l’acte de se suicider. Pour le penseur de l’Aufklärung, décider de mettre un terme à sa vie soi-même ou à l’aide d’un tiers revient à manquer son devoir envers autrui (proches, famille etc.) mais aussi envers sa propre personne (l’humain étant pour Kant porteur de la loi morale).

De l’autre côté du spectre, Marianne Chaillan développe le point de vue de Bentham, pour qui l’acte de mettre fin à ses jours n’est pas amoral s’il a pour finalité le bien pour la personne ou le bien d’autres personnes (imaginons une personne qui se sacrifie pour en sauver d’autres. Pour un conséquentialiste comme Bentham, cet acte ne peut être jugé amoral).


La pensée d’un autre auteur permet également d’étoffer un argumentaire en faveur de la légalisation de l’euthanasie. Il s’agit de celle du philosophe libertaire Ruwen Ogien, ancien directeur de recherche du CNRS en philosophie décédé en 2017, et défenseur d’une éthique minimale. En d’autres termes, l’éthique doit être restreinte à quelques principes moraux. C’est ainsi qu’il défend par exemple la pornographie comme une pratique ne posant pas de problème moral. Se rapprochant du harm principle, Il invite donc à marquer une différence entre ce que l’on fait à quelqu’un d’autre et ce que l’on fait à soi-même. Vouloir se donner la mort n’est pas un acte immoral puisque ce n’est pas la mort d’autrui que l’on souhaite, mais sa propre mort. Pour lui, l’éthique doit se limiter à ne pas faire de mal à l’autre.


Cette réflexion invite donc à se pencher sur le fait d’être passif ou actif dans une telle action. Or, dans le cas de l’euthanasie, il s’agit d’un médecin, entouré de son équipe médicale (infirmiers, soignants), qui est chargée d’administrer une dose létale au patient.

D’ailleurs, dans une tribune publiée dans Le Figaro et signée avec douze professionnels de santé, Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), rappelle que « notre [celle des soignants, ndlr.] présence quotidienne auprès des personnes malades et de leurs proches fonde notre légitimé ». Pour cette dernière, l’un des risques qui réside dans la volonté du Président Macron à instaurer une convention citoyenne sur la fin de vie est le « caractère politique de ce débat […] entraînant un fort risque de polarisation sur la question de l’euthanasie, en totale contradiction avec les réalités vécues des patients ».


Pour un certain nombre de professionnels de santé, vouloir remettre en cause d’une manière aussi fondamentale les principes liés à notre système médical alors que ce secteur se trouve aujourd’hui en grande crise dans l’hexagone pourrait s’avérer « dangereux ». Claire Fourcade se questionne d’ailleurs à ce propos : « Est-il possible de considérer comme un soin le fait de donner ou de prescrire la mort ? Peut-on considérer un tel changement comme un simple détail, ou au contraire comme une transformation significative de nos métiers ? »


Le cadre législatif actuel de la fin de vie en France


Plusieurs lois sont venues progressivement encadrer la fin de vie en France. La loi du 9 juin 1999 vient entériner le droit d’accès à tous à des soins palliatifs en fin de vie et au soulagement de la douleur. Trois ans plus tard, la loi Kouchner ne vient pas explicitement donner un cadre législatif à la fin de vie en France mais ouvre le droit de refuser un traitement ainsi que celui de pouvoir désigner une personne de confiance.


La loi Leonetti fait donc en 2005 office de véritable avancée sur la question de la fin de vie en France. En effet, elle introduit l’interdiction de l’obstination déraisonnable et permet ainsi au patient de refuser la prise d’un traitement même si cette décision peut engendrer son décès. Cette interdiction de l’obstination déraisonnable s’applique aux soignants et leur permet dans une prise de décision collégiale de pouvoir décider l’arrêt d’un traitement pour une personne qui n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté et pour lequel son administration perdrait tout sens médical. C’est aussi la reconnaissance des directives anticipées formulées par le patient, valables trois ans et dont le médecin peut prendre connaissance sans qu’il ne soit obligé de les suivre.


La loi Claeys-Leonetti, du 2 février 2016, rend les directives anticipées contraignantes pour le médecin (sauf cas exceptionnel) et sans caducité possible. C’est aussi l’ouverture du droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. À l’issue d’une discussion collégiale entre soignants (pour décider de la situation de la personne malade), le patient dont la douleur est insupportable et le décès «inévitable et imminent» a la possibilité de recevoir la dite sédation profonde et continue.

La personne de confiance est aussi dotée au travers de la promulgation de cette loi d’un véritable statut et représente le patient qui n’est plus en mesure de s’exprimer dans le cadre de décisions médicales à prendre. Celle-ci peut être un proche, un membre de la famille ou une personne issue du corps médical.


Pour l’instant, aucune annonce n’a été faite lors des prises de paroles récentes d’Emmanuel Macron ou d’Elisabeth Borne au sujet d’une convention citoyenne sur la fin de vie. Toutefois, le monde médical et les différentes associations se tiennent déjà prêtes à débattre d’un sujet qui mérite des discussions apaisées et loin de toute position caricaturale qui viserait à réduire l’euthanasie à un affrontement entre le camp du mal et celui du bien.


Melchior Delavaquerie

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