Cette dernière décennie a marqué l’utilisation récurrente des États-Unis de ce qu’on appelle « l’extraterritorialité du droit américain ». Ce droit leur permet de sanctionner toute personne physique ou morale sur le globe à partir du moment où des composantes américaines sont utilisées.
En effet, la législation américaine considère que le droit américain est applicable lorsque, par exemple, le dollar est utilisé dans une transaction financière ou lorsqu’une entreprise, quelle que soit sa localisation territoriale, exploite une composante électronique venant des États-Unis, aussi petite soit-elle.
À l’origine de ce droit
Conformément au Foreign Corrupt Practice Act (FCPA) adoptée en 1977, l’étendue de cette législation dépend du « Department of Justice », qui dispose à ce titre de moyens financiers et humains considérables pour contrôler la violation des embargos mis en œuvre par les États-Unis et lutter contre la corruption internationale.
Théoriquement applicable aux entreprises américaines, il s’avère qu’elles sont très peu touchées. Dans les faits, cette extraterritorialité du droit américain touche principalement les entreprises européennes qui ont été successivement accusées ces dernières années de corruption ou de ne pas avoir respecté les embargos mis en œuvre de façon unilatérale par les États-Unis.
Un droit principalement dirigé vers les entreprises européennes concurrentes
En effet, les victimes les plus remarquables de cette arme de coercition juridique ont été les entreprises européennes, spécialement françaises. À titre d’exemple, la BNP Paribas a écopé en 2014 d’une amende record de près de 9 milliards de dollars par le Department of Justice qui accusait le groupe bancaire français de ne pas avoir respecté les embargos américains sur l’Iran et le Soudan et d’avoir usé de dollars pour réaliser des transactions financières avec ces pays. Même cas pour la Société générale qui a écopé en 2018 d’une amende d’1,2 milliard de dollars pour les mêmes raisons que la BNP Paribas.
Dans une récente note de renseignement de la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), l’organe étatique français indique que ce droit « se traduit par une grande variété de lois et mécanismes juridiques conférant aux autorités américaines la capacité de soumettre des entreprises étrangères à leurs standards, mais également de capter leurs savoir-faire, d’entraver les efforts de développement des concurrents des entreprises américaines, de contrôler ou surveiller des sociétés étrangères gênante ou convoitées, et ce faisant de générer des revenus financiers importants ».
La question est donc d’ordre stratégique puisqu’elle touche à la souveraineté nationale d’un État. Il est regrettable de voir qu’un pays, en l’occurrence les États-Unis, puisse sanctionner une entreprise localisée en France et lui appliquer la législation américaine au-delà de ces frontières.
Il convient, dès lors, de renforcer la législation française et européenne afin de se prémunir des intrusions juridiques et économiques du droit américain qui cible principalement les entreprises du Vieux Continent. Dernière en date, le constructeur aéronautique européen Airbus a été contraint en 2020 de payer une lourde amende de 3,6 milliards de dollars, dont une partie devra être versée aux États-Unis pour des motifs de corruption d’intermédiaires commerciaux.
Un droit soucieux de consolider la domination économique et technologique des États-Unis
Ces amendes successives traduisent une véritable guerre économique qui ne dit pas son nom et qui est livrée par les États-Unis. Néanmoins, cette agressivité américaine n’est pas surprenante. Elle doit être mise en perspective avec un monde de plus en plus concurrencé par de nouveaux acteurs comme la Chine qui espère devenir la première puissance économique mondiale et ainsi dépasser les États-Unis dans un avenir proche. Toutefois, l’Oncle Sam demeure particulièrement soucieux de conserver sa première place. Elle n’hésite pas à mettre à disposition leurs renseignements et leur arsenal juridique pour conserver leur domination économique et technologique dans les domaines stratégiques tels que les géants américains du numérique, notamment représentés par les « GAFAM » en référence à Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
En somme, toute entreprise dans le viseur du Department of Justice a dû malgré elle se plier aux menaces de poursuites américaines, que ce soit la BNP Paribas, la Société générale, Airbus ou encore récemment le géant chinois Huawei. L’extraterritorialité du droit américain se traduit donc par une doctrine qui va au-delà de la légalité. Il est devenu un instrument juridique de domination économique des États-Unis.
Semih SOLAK
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