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L’hôpital “entreprise” en quête de rentabilité : conséquences désastreuses sur le service de santé

Les hôpitaux français sont aujourd’hui sous tension permanente. De nombreux services d’urgence ont fermé ou bien limitent leur accès pour éviter un engorgement. Les dépenses de santé publique et privée représentaient 9,1% du PIB français en 2021. Cependant, gérer l’hôpital comme une entreprise privée, et donc le regarder avec des yeux comptables, a bouleversé son fonctionnement et sa représentation dans la norme sociale.

Comment en est-on arrivé là ? Dans quelle mesure l’objectif de rentabilité imposé à l’hôpital public peut-il expliquer le poids beaucoup trop lourd que doit porter le service de santé aujourd’hui ?


“Des soignants manifestant pour leur santé et celle de l’hôpital, été 2022” (ROMUALD MEIGNEUX/SIPA)

Une quête effrénée de rentabilité

Pour réguler les dépenses et le budget destiné aux hôpitaux publics, trois leviers vont progressivement s’imposer à partir des années 1990. Tout d’abord, l’élaboration d’un budget hospitalier, qui depuis 1997 est voté chaque année au parlement (ONDAM hospitalier, c’est-à-dire l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie). En 2004, c’est la tarification à l’activité (T2A) qui est lancée. Elle vise à uniformiser le financement de tous les hôpitaux en fixant une norme de coût pour une pathologie. Par conséquent, les tarifs pour la prise en charge du patient avec telle ou telle situation, seront déterminés par avance. Enfin, cela se combine avec une variable qui est mise en place : le point flottant. Celui-ci représente des tarifs associés à chaque acte et qui vont faire valoir le niveau de remboursement de l’hôpital par la Sécurité sociale. Afin d’avoir une bonne gestion et un contrôle précis des dépenses, les gouvernements ajustent les tarifs à la baisse, lorsque l’on observe une augmentation de l’activité. C’est la raison pour laquelle le personnel sera toujours poussé à faire le maximum d’actes (les plus rentables étant à privilégier) pour pouvoir générer un maximum de points et éviter que leur hôpital entre en déficit.


Les conséquences désastreuses de l’hôpital entreprise La réforme de la tarification hospitalière a eu de nombreuses conséquences désastreuses qui témoignent d’une certaine inefficacité sur plusieurs questions. En effet, on ne peut pas chercher à réduire constamment les frais de santé quand certains coûts ne peuvent pas être réduits. La T2A n’est pas adaptée aux patients dans des situations particulières. En réalité, ceux-ci ne peuvent pas être pris en charge comme s'ils étaient des codes-barres, dans ce cadre de marchandisation de la santé. Par exemple, dans deux situations identiques d’une même pathologie, si l’un des patients vit dans une situation de précarité, il aura peut-être besoin d’un accompagnement médical plus poussé que l’autre après une opération. Une durée de séjour plus longue à l’hôpital serait préférable. Cependant, cela va à l’encontre des normes de rentabilité et donc de cette sorte de quête de rapidité établie.


Un personnel médical et soignant profondément touché Les objectifs de rentabilité et d’immédiateté ont transformé bon nombre du personnel en bureaucrates avec la gestion d’affaires administratives. Les soignants, mais aussi le personnel médical, reconnaissent avoir perdu le sens de leur métier. Des milliers de lits ont été supprimés en médecine, chirurgie et obstétrique. Il y a également de nombreux soignants et infirmiers qui démissionnent et on observe une multiplication des postes vacants. Ceux-ci s’accusent eux-mêmes de “maltraitance involontaire” et conservent la crainte de “faire un faux pas” sous cette pression constante. L’économiste Philippe Batifoulier résume d’ailleurs bien la situation en expliquant que “dans les hôpitaux publics, la souffrance des patients se combine avec celle des soignants”. Nous pouvons penser aux manifestations des soignants exténués juste avant la pandémie avec le slogan malheureusement prémonitoire « aujourd’hui vous comptez vos sous, demain vous compterez vos morts ».


Des conséquences sur la structure même des services de l’hôpital On assiste aussi dans les hôpitaux à une optimisation de la chaîne de valeur avec une recherche maximale des profits, en passant de l’idée de stock à une idée de flux. Une infirmière par exemple, pourra changer de service de nombreuses fois dans la semaine pour combler les places manquantes. En changeant de service constamment, les notions d'esprit d'équipe et de solidarité se perdent peu à peu. Il y a également une difficulté réelle de trouver du personnel de santé dans certaines régions, du fait du nombre de plus en plus important de déserts médicaux. Cela peut être néfaste directement pour le patient, car les retards ou même l’annulation de soins peuvent impacter sérieusement sa santé. En somme, l’hôpital public s’est transformé peu à peu en une entreprise avec pour but de toujours être plus productif. Cela a un fort impact à différentes échelles, notamment sur le personnel médical qui subit directement ces normes comptables, mais également sur la structure hospitalière et puis sur les patients. Le cœur du système de soins que représentent les services hospitaliers est donc dans une situation difficile, notamment après ces années de pandémies. Tout le monde retient son souffle en espérant éviter le pire dans cette course toujours plus rapide vers la rentabilité.


Eugenia Dimitrova


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