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L'insoutenable légèreté de l'être: “Muss es sein ? Es muss sein !”

Dernière mise à jour : 29 mai 2021

“Muss es sein ? Es muss sein !”


Tel est le refrain de “L'insoutenable légèreté de l'être” chef d'œuvre de Milan Kundera écrit en 1982.


Cette référence au seizième quatuor en fa majeur de Beethoven faite par l’auteur tchèque tout au long du roman, et qui peut se traduire par “Le faut-il ? Il le faut !”, illustre l’idée d’une nécessité supérieure, de quelque chose de métaphysique, d’un destin.


Le destin est représenté dans ce texte en 7 parties par 2 couples: Tomas (chirurgien libertin) et Tereza (serveuse fidèle) avec leur chien Karenine d’une part, Sabina (artiste moderne et indépendante) et Franz (professeur universitaire traditionaliste) d’autre part. Tout cela dans le contexte de l’Europe de l’Est des années ‘70.


Quatre personnages, à l’image du quatuor de Beethoven référencé tout au long de l'œuvre, composent donc la partition de Kundera et laissent entrevoir 4 visions du monde. Sabina incarne la légèreté, Teresa et Franz mués par de grands idéaux et principes incarnent la lourdeur tandis que Tomas incarne l'ambiguïté, l’oscillation entre pesanteur et légèreté. Entre amour et trahison, vie et mort, orgueil et humilité, le parcours décrit par les protagonistes, liés par la relation extra-conjugale de Tomas avec Sabina, peut finalement se résumer dans la recherche de l’équilibre entre pesanteur et légèreté pour accomplir leur destin.


Cette idée grandiose du destin fait partie de notre vocabulaire courant. Nous nous la sommes appropriée au point de la banaliser. Combien de fois avons-nous dit et avons-nous entendu “C’est le destin”, cette formule magique qui nous libère d’un poids et nous invite à positiver, à penser que quelque chose de meilleur nous attend, que nous sommes destinés à autre chose.


Raffaele Morelli, psychiatre divulgateur italien considère qu’il faut “soutenir ce qui va dans cette “direction naturelle”, sans effort et avec lucidité, en étant conscients que des éléments fortuits et impénétrables auront également une influence sur le résultat”. L’explication donnée par Kundera de l’expression “Muss es sein ? Es muss sein !” au cours du roman illustre bien l’idée du psychiatre selon laquelle la grandeur du destin tient souvent à peu de choses, à quelques éléments fortuits qui sont parfois si...banals et légers.


En effet Kundera raconte que Beethoven en écrivant ce quatuor se serait inspiré d’une conversation qu’il avait eu avec un débiteur qui ne pouvait pas lui rendre son argent “Le Faut-il ?”, “Il le faut” avait répondu le compositeur. Le quatuor triomphant et magistral de Beethoven ne trouve donc pas sa source dans un événement sublime mais dans une simple dette et là se trouve l’analogie avec le destin Kunderien qui trouve sa source dans une suite d'événements fortuits tournés en dérision par l’auteur.


Au regard des éléments fournis par Kundera le destin ne semble donc pas être la soumission au “Es muss sein” mais plutôt la conscience que le “Es muss sein” de Beethoven n’est en réalité que le résultat de l’équilibre entre légèreté et lourdeur.


Ne faudrait-il pas alors prendre comme modèle la mère de Romain Gary, longuement décrite dans le roman autobiographique “La Promesse de l'aube”. Femme forte qui voit, de manière comique et inspirante, dans tous les échecs artistiques ou sportifs de son fils (légèreté), la promesse de quelque chose de plus grand auquel il serait destiné (lourdeur): il deviendra plus tard ambassadeur et recevra deux fois le prix Goncourt.


Mais dans un contexte de crise sanitaire il est difficile de voir derrière des événements fortuits une opportunité de se rapprocher de sa voie, d’accomplir sa destinée. L’enfermement, la séparation des familles mais également les examens à distance, l’inquiétude, le malaise sont autant d’éléments par lesquels il est difficile de se laisser porter, sans efforts, comme le préconise Morelli. Et dans une période où tout est pesanteur, tant par les contrôles et les obligations qui nous sont imposés que par l'ambiance morose, il est difficile d’imaginer une légèreté pour équilibrer tout cela.


Au regard de ces quelques éléments, libre à chacun de “croire” au destin et à sa façon de se matérialiser. Kundera ne prétend d’ailleurs pas avoir la bonne réponse et semble au contraire normaliser le doute en nous rappelant que “L’homme ne peut jamais savoir ce qu’il faut vouloir car il n’a qu’une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures”.


L’auteur nous pousse dans nos retranchements et nous invite à réfléchir en mettant au centre de son œuvre l'ambiguïté, les contradictions et les ambivalences.


C’est au moyen de jeux d’écriture, parallélismes, anecdotes anachroniques, vas et viens incessants entre pesanteur et légèreté, entre détails en apparence insignifiants et superficialité que l’écrivain, naturalisé français, nous propose de repenser les grands thèmes existentiels qui bercent notre vie quotidienne avec la particularité de ne jamais nous imposer la vérité ultime telle que Nietzsche la conçoit.


Et c’est finalement la question très vaste de la fonction de la littérature et du romancier qui se pose au terme de cette lecture et qu’il convient de souligner. Récemment un certain Alex Green a publié un livre sur Salvini (politique italien controversé) intitulé “Pourquoi Salvini mérite confiance, respect et admiration”. La particularité du livre ? Il est uniquement composé de pages blanches. Une opération satirique presque commerciale mais qui mérite d'être mentionnée pour conclure. Si les deux œuvres ne sont pas comparables dans leur contenu, il est toutefois possible de souligner l’analogie qui les unit dans la façon de traiter avec légèreté des thèmes pesants, tels que les allégeances politiques, tout en faisant réfléchir.


Sigolène Scardulla


Crédit image de couverture: Folio

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