Fait de l’Homme, la guerre est une période au cours de laquelle les différents camps concernés tentent de discréditer l’autre à travers des actes parmi les plus répréhensibles. Le plus éloquent exemple de ces dernières semaines est bien évidemment le conflit israélo-palestinien. Il a été l’occasion pour les uns et les autres de critiquer violemment le camp adverse pour se prévaloir de ses prétentions. Dans cette période trouble, il est nécessaire de se dédier à une étude des différentes entités utilisant les méfaits de l’adversaire pour ternir l’image du camp d’en face.
La lutte contre le « terrorisme » : le terme suprême du champ lexical guerrier
La lutte contre le terrorisme constitue un objectif légitime, poursuivi par un grand nombre d’Etats. Ceux-ci mettent tout en œuvre pour l’éliminer, parfois même au prix d’importantes pertes humaines et matérielles. Pour comprendre le terrorisme, il convient d’abord de le définir.
Le terrorisme, si l’on se réfère à sa définition classique, désigne ‘l’emploi indiscriminé de la terreur à des fins idéologiques, politiques ou religieuses.’ Cette définition, prise dans l’acception littérale, s’avère générale et abstraite. Il conviendra donc, à partir de cette définition, de l’appliquer à des cas d’espèces pour voir s’ils relèvent du terrorisme.
Par l’emploi du terme « terrorisme », l’ennemi est d’ores et déjà discrédité dans son combat par le pouvoir politique. Celui-ci cherchera nécessairement à disqualifier l’adversaire dans ses actions pour réagir de la façon qui lui convient. Pour disposer d’une plus grande souplesse d’action, les Etats auront parfois recours à des abus de langage leur permettant par la suite de légitimer leurs actes.
À titre d’exemple, pour légitimer sa guerre en Ukraine sur la scène nationale et internationale, la Russie a repris le terme de « dénazification de l’Ukraine » en référence au régime nazi sous Adolph Hitler. Le pouvoir politique russe s’appuie sur des hyperboles terminologiques pour faire accepter l’idée qu’une « guerre juste » est menée en Ukraine contre des « nazis ». Connaissant la portée des crimes nazis durant la seconde guerre mondiale - reconnue par l’ensemble de la communauté internationale -, le président russe Vladimir Poutine mise sur l’histoire collective pour se prévaloir de sa position contre Kiev. Au-delà même du terrorisme, la Russie fait référence aux périodes sombres de l’histoire pour désigner le gouvernement ukrainien.
Dans le cadre du conflit israélo-palestinien, l’Etat hébreu fait face au Hamas, groupe armé palestinien présent dans la bande de Gaza. Ici, il s’agit d’un affrontement entre une entité étatique, à savoir Israël, contre un groupe non-étatique, le Hamas. Le premier considère le second comme une organisation terroriste. Ces accusations se sont renforcées lorsque le Hamas a lancé le 7 octobre dernier une offensive armée sur le territoire israélien. L’Etat hébreu a alors basé sa communication sur la déshumanisation du Hamas. Le ministre israélien de la défense a en ce sens déclaré le 9 octobre dernier que : « Nous combattons des animaux humains », une façon de nier le caractère humain de l’adversaire pour consacrer la réponse militaire qui s’en est suivie dans la bande de Gaza.
Les groupes armés se distinguent dès lors des Etats et sont en conséquence plus « vulnérables » à cette qualification étatique. Néanmoins, si ces groupes sont plus enclins à recevoir cette qualification, il n’en demeure pas moins que les entités étatiques peuvent également se rendre coupables d’actes relevant du terrorisme.
Les différentes formes de terrorisme
Après analyse de la définition du terrorisme, on peut constater qu’elle est perpétuellement sous l’angle de l’Etat. Cette définition favorise les gouvernements à “conception étatique”, dans le sens où il bénéficie d’un statut international qui ne permet pas de considérer l’Etat comme une entreprise terroriste. On peut voir qu’elle peut être le fait d’une organisation armée, mais rarement celui de l’Etat. La caractéristique du terrorisme, si on se réfère à sa définition, est l’emploi de la « terreur ». L’enjeu que soulève le terrorisme se trouve dans sa manifestation violente en déterminant l’acte de terreur.
L’acte de terreur s’apprécie in concreto, c’est-à-dire en fonction de la nature de l’acte et de son contexte. À partir de ce terme, on pourra - par rattachement - qualifier une population civile terrorisée par des bombardements comme étant victime d’actes de terrorisme. Ces interrogations portent sur la nature de l’emploi de la force, mais dont l'État est toujours légitime à l’utiliser, contrairement aux groupes non étatiques. On remarquera que les Etats sont couverts par l’empreinte étatique, qui est une forme de protection de l’Etat coupable d’agissements contraires au droit international. On citera pour cela l’exemple de l’intervention américaine en Irak qui était dépourvue de toute base légale et qui s’était rendue coupable de violations prouvées du droit international, après les révélations de Wikileaks qui a rendu public l’assassinat de deux journalistes de l’agence Reuters par les forces américaines en juillet 2007.
La nature du terrorisme est hétéroclite, il revêt en effet plusieurs formes. La Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) reconnaît trois formes de terrorisme. Le premier est “révolutionnaire” et a pour but de changer la forme de l’Etat par une lutte armée. Le second est « de libération » : il souhaite l’indépendance d’un territoire relevant d’un État. Le troisième est celui d’Etat et se remarque à travers des actions clandestines et contraires au droit international. On relèvera par ironie que la DGSI définit ce que les services français ont été amené à faire d’antan et sont à l’être encore aujourd’hui par les opérations dites « Homo » menées par le service Action de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) qui consistent à éliminer des personnes par des assassinats ciblés en dehors du cadre légal. L’ancien président français, François Hollande a reconnu en ce sens avoir approuvé plusieurs opérations « Homo » par des assassinats ciblés durant son mandat.
S’agissant du « terrorisme de libération », on rappellera que le régime de Vichy considérait à l’époque le mouvement de résistance français de « terroriste ». Le mouvement, qui agissait alors dans la clandestinité, effectuait des assassinats et des actes de sabotage contre les garnisons allemandes. Là encore, que doit-on considérer comme terroriste : les auteurs ou leurs actes ? Il s’agit plus largement de déterminer la frontière entre résistance et terrorisme. Si pour les uns ils étaient résistants, pour les autres ils étaient terroristes. L’appréciation « terroriste » est éminemment relative, notamment lorsqu’il y a immixtion du politique sur la question.
S’agissant du terrorisme d’Etat, on citera l’acte terroriste des services extérieurs français par le dynamitage du bateau Greenpeace en Nouvelle-Zélande en 1984, ou encore plus récemment l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul le 2 octobre 2018. Le Washington Post affirme en se basant sur le rapport de la CIA que le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, a probablement commandité l’assassinat du journaliste saoudien. Ces différents cas ont permis de mettre en évidence la culpabilité d’un Etat pour des actes de terrorisme. Partant, il est possible qu’un Etat est recours à des actes de terrorisme.
Le problème réside cependant dans l’aspect déclaratif du terrorisme. Les Etats ont la faculté de déclarer des organisations non étatiques comme terroristes, ce que ces derniers ne sont pas en mesure de faire. Cette asymétrie au bénéfice des entités étatiques apparaît plus fortement lorsqu’il s’agit de déclarer - politiquement - une organisation comme terroriste.
La soumission terminologique du terrorisme aux considérations politiques
En réalité, la terminologie du « terrorisme » est davantage soumis à des considérations politiques que juridiques. En effet, ce sont davantage les Etats qui reconnaissent une organisation ou un groupe comme terroriste plutôt que les juridictions internes ou internationales. La qualification d’acte terroriste ne relève que du pouvoir politique, qui va estimer selon la position qu’elle adopte si une organisation est terroriste ou non. Le droit ne s’immisce donc que très peu dans la complexité terminologique du terrorisme.
La considération politique sur la terminologie de la guerre s’est notamment révélée lors de la guerre en Syrie. Ce conflit s’est avéré être le laboratoire du champ lexical guerrier. Les nombreuses puissances étrangères se trouvant sur le sol syrien ont largement contribué aux divergences terminologiques entre les différents pays. La Turquie considère par exemple le groupe YPG (Unités de protection du peuple) présent en Syrie comme une organisation terroriste, estimant qu’elle constitue une extension du groupe Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), reconnu comme organisation terroriste par la Turquie, les Etats-Unis et l’Union européenne. Or, les Etats-Unis les considèrent comme étant des alliés ayant combattu Daesh en Syrie. La Turquie et les Etats-Unis sont régulièrement en conflit verbal sur le soutien américain apporté au groupe YPG. Pour illustrer cette complexité, un tribunal belge a jugé en mars 2019, que le PKK ne devait pas être considéré comme une organisation terroriste. Cependant, le gouvernement belge a annoncé que la décision n'affectera pas la qualification actuelle du PKK comme organisation terroriste. La portée de cette décision est celle de la primauté de la qualification politique sur la qualification juridique. La qualification du PKK comme organisation terroriste par le gouvernement belge a primé sur la décision du tribunal.
Depuis le début de la guerre en Syrie, l’Armée syrienne libre (ASL) est présentée par les pays occidentaux comme des « rebelles » qui combattent le régime syrien. Cette caractéristique de « rebelle » reconnue par les Etats-Unis et l’Union européenne n’est pas admise par d’autres acteurs du conflit. En effet, l’ASL est considérée comme « terroriste » par la Russie, l’Iran et le régime syrien, les trois formant une alliance contre les pays occidentaux en Syrie. On comprend dès lors que la désignation « terroriste » relève exclusivement du pouvoir politique qui dispose d’une faculté que les organisations non étatiques n’ont pas.
Pour autant, la reconnaissance d’une organisation comme terroriste n’est pas sans conséquences pour l’Etat. Celui-ci sera tenu par des obligations lourdes et sur le long terme. La menace terroriste implique la réponse sans faille de l’Etat qui devra le combattre par tous les moyens pour à terme l’éliminer. Toute défaillance de sa part le mettra en face de ses responsabilités, pour lesquelles il s’est pleinement engagé conformément à sa « lutte contre le terrorisme ».
Semih Solak
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