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L’éloignement de l’Arménie de la sphère d’influence russe

Longtemps allié de Moscou, le petit pays du Caucase n’a eu d’autre choix que de se mettre sous la protection du « grand frère russe ». D’abord perçu au XIXe siècle comme « l’État protecteur des chrétiens » face à la tutelle ottomane, l’Empire russe, puis l’URSS, a conservé ce rôle de façon constante jusqu’à aujourd’hui. Néanmoins, l’Arménie se détache progressivement de ce qu’on désigne comme la « sphère d’influence russe ». Bilan et perspectives d’un pays traditionnellement sous influence russe qui tend timidement à diversifier ses partenaires.

Le premier ministre arménien, Nikol Pashynyan, avec Vladimir Poutine le 22 novembre 2022 à Erevan pour le sommet annuel de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective. (© AFP)


L’Arménie à l’aube de son indépendance et la question persistante du Haut-Karabakh comme lien durable de dépendance arménienne vis-à-vis de la Russie


Depuis la proclamation d’indépendance de l’Arménie en 1991, celle-ci n’a cessé d’avoir des liens avec la Russie, dont les liens religieux et culturels se conjuguent fortement. Le choix arménien depuis la dissolution de l’URSS a été de s’allier par opportunité à la Russie. Cet alignement sur Moscou a permis à Erevan de bénéficier d’une protection territoriale contre ses voisins, au premier rang duquel se trouve la question du Haut-Karabakh qui fait perdurer la dépendance arménienne vis-à-vis de la Russie. L’enclavement géographique de l’Arménie la place dans une position précaire face aux États voisins. L’Azerbaïdjan revendique le territoire du Haut-Karabakh - reconnu par le droit international comme partie intégrante de l’Azerbaïdjan - mais où demeurent des milliers d’Arméniens. Cette portion de terre a donné lieu à deux conflits armés, dont le second, plus récent, s’est soldé par une défaite cuisante de l’Arménie qui a vu l’Azerbaïdjan reprendre les territoires qu’elle avait perdus lors de la première guerre du Haut-Karabakh.

Carte des forces en présence.


Bien plus, cette défaite militaire conduit l’Arménie à composer avec la Russie sur le long terme. Le Haut-Karabakh étant entendu comme faisant partie de l’Azerbaïdjan selon le droit international, la Russie a refusé d’intervenir dans le conflit, arguant qu’elle le ferait seulement dans la mesure où le territoire arménien - internationalement reconnu - serait menacé. Il n’en demeure pas moins que les forces russes ont fini par intervenir dans le conflit, mais en tant que force d’interposition. Un rôle que le premier ministre arménien n’a pas manqué de critiquer, impuissant face à l’escalade de violence entre soldats arméniens et azerbaïdjanais dans le Haut-Karabakh.


Cette approche de Moscou de ne pas prendre position n’a pas plu au gouvernement de Pashinyan qui a décidé d’accélérer le processus d’éloignement avec la Russie, et qui entend bien se tourner vers d’autres acteurs.


L’arrivée de Nikol Pashinyan à la tête de l’Arménie comme facteur accélérateur d’un éloignement de la sphère d’influence russe


L’arrivée au pouvoir en 2018 de l’actuel premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a accéléré le processus d’éloignement opéré par le gouvernement précédent de Sarkissian. En 2017, le gouvernement arménien de l’époque a signé un accord de partenariat global et renforcé avec l’UE, qui prévoit une coopération accrue dans les domaines économique, politique et sécuritaire. L’arrivée de Nikol Pashinyan a conduit au renforcement des relations avec les États-Unis, en signant en 2019 un accord de coopération en matière de défense. Un rapprochement surprenant du fait de l’appartenance d’Erevan à l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), communément appelé « l’OTAN russe ».


Dans cette lignée, la Cour constitutionnelle arménienne a ouvert la voie, dans une décision du 24 mars 2023, à la ratification du traité établissant la Cour pénale internationale (CPI). Il s’agit de la même Cour qui a délivré le 17 mars 2023 un mandat d’arrêt international à l’encontre de Vladimir Poutine, accusé de crimes de guerre en Ukraine. Cette perspective de ratification a vivement fait réagir les officiels russes, qui ont aussitôt menacé l’Arménie de « graves répercussions ». Bien qu’elle ne soit pas à exclure, sa ratification reste toutefois peu probable. Cela signifierait que l’Arménie aurait l’obligation théorique d’arrêter le président russe en cas de visite sur son sol. Une éventualité difficilement envisageable pour l’Arménie, qui reste fortement dépendante de la Russie, aussi bien économiquement que militairement.


Dès lors, ses perspectives d’éloignement de la sphère d’influence russe sont sensiblement limitées.


Des perspectives d’éloignement limité du fait de l’enclavement arménien


L’Arménie est un pays enclavé qui n’a pas d’accès aux mers et qui se retrouve encerclé de rivaux géopolitiques. Ce destin arménien l’oblige à prendre comme protecteur la Russie qui est le seul voisin immédiat capable de lui assurer une protection effective. De plus, la base militaire russe à Gyumri assure à l’Arménie une protection territoriale qu’elle n’est pas prête à délaisser.

Par ailleurs, l’autre pays allié de l’Arménie dans la région, l’Iran, voit d’un très mauvais œil la proximité de l’Azerbaïdjan avec Israël. Cette alliance d’opportunité avec l’Iran ne lui permet pas pour autant de se désenclaver. L’Arménie reste tributaire d’un environnement géographique défavorable tant en vertu du principe d’intégrité territoriale des États qu’en vertu des pays qui l’entourent. Le seul moyen envisageable et raisonnable pour l’Arménie est donc la négociation dans le cadre des relations inter-étatiques avec les pays frontaliers. Autrement, l’Arménie ne saurait sortir de son paradigme d’enclavement, aussi bien dans l’aspect territorial que dans sa doctrine internationale.

Le désenclavement arménien pourrait finalement intervenir de là où l’on s’y attend le moins. Ankara et Erevan ont annoncé, par l’intermédiaire de leur ministre des Affaires étrangères, le début de pourparlers pour l’ouverture des frontières terrestres et aériennes. Les vols commerciaux ont d'ores et déjà repris en février 2022. Désormais, il est question de l’ouverture des frontières communes. Ce rapprochement inédit pourra au terme d’une normalisation complète, désenclaver l’Arménie. L’ouverture des frontières terrestres avec la Turquie constitue un enjeu majeur pour l’avenir de l’Arménie. Elle lui permettra notamment de faire la jonction avec l’Occident et, partant, de réduire sa dépendance - au moins économique - vis-à-vis de la Russie. Mais pour l’heure, l’Arménie demeure inexorablement liée à la Russie, tant qu’elle ne parvient pas à rompre avec son enclavement territorial, politique et économique.

Semih SOLAK


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