Lundi dernier, aux frontières de l’Union Européenne (UE), des agriculteurs polonais ont déversé sur les routes des céréales ukrainiennes à destination des pays membres afin de dénoncer ce qu’ils jugent être une concurrence déloyale. En effet, les producteurs ukrainiens ne sont pas soumis aux règles strictes imposées par l’Union à ses agriculteurs. Par ces actions, les agriculteurs de l’UE s’opposent aux normes européennes fixées dans le cadre du libre-échangisme, en particulier les obligations environnementales, mené par le Parlement européen.
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Les campagnes européennes en ébullition
Tandis que début février les agriculteurs français convergent vers Paris et Rungis, après avoir bloqué certaines régions, comme l’Ariège, la Gironde ou le Nord-Pas-de-Calais, les paysans allemands, roumains, polonais ou encore espagnols font aussi entendre leur colère.
Le début de l’année 2024 aura été marqué partout en Europe par ces mobilisations d’agriculteurs qui réclament principalement une meilleure rémunération et une simplification des normes environnementales qui pèsent sur leur profession. Le lundi 15 janvier des milliers d’agriculteurs ont ainsi fait pression sur le gouvernement allemand en bloquant Berlin. Le lendemain, les fermiers roumains ont repris leur propre mobilisation contre le coût des carburants, le prix des assurances et les normes environnementales.
Cette mobilisation des agriculteurs n’est en réalité pas récente. Elle a commencé au Pays-Bas, à l’été 2022, où un projet gouvernemental de taxe sur l’azote a mis le feu aux poudres et a poussé le monde agricole à se mobiliser. On retrouvait déjà les modes d’action observées dans les manifestations des derniers mois : grands axes routiers bloqués ou encore défilés de tracteurs dans les rues.
Des mobilisations sur un fond d’Europe
Si ces mobilisations émergent chaque fois dans un contexte national particulier et pour des raisons propres, les revendications portent le plus souvent sur des politiques menées à un niveau européen.
Comme l’indique Nicole Ouvrard, ingénieure agronome et directrice déléguée de l’agence Agra, interrogée par Le Parisien, “le cadre de travail des agriculteurs est d’abord européen” . En effet, c’est la fameuse politique agricole commune (PAC), prévue par le Traité de Rome de 1957, est ainsi au fondement même des institutions européennes, qui régule les prix et doit garantir, en fixant des normes, la qualité des produits européens. Ce cadre commun explique la convergence des revendications des différentes mobilisations agricoles en Europe. Tous les agriculteurs dépendent ainsi des subventions européennes, c’est-à-dire également des normes fixées par l’Union.
Ces derniers mois, dans tous les pays, les agriculteurs mobilisés dénonçaient la politique européenne « De la ferme à l’assiette » (To Farm to fork), et le « pacte vert » (green deal) voté en 2019 par l’actuelle Commission européenne avec pour finalité la transition énergétique à horizon 2050. Ces différentes politiques ont pour but de décarboner les pratiques agricoles et de réduire la production. Différentes mesures sont particulièrement critiquées par les agriculteurs : les taxes sur les carburants utilisés par le matériel agricole, le gel de 4% des terres agricoles ou encore les normes administratives nombreuses. Sont aussi dénoncés les accords de libre-échange signés par l’Union avec l’Ukraine, le Chili, le France ou encore la Nouvelle - Zélande. Ces accords permettent notamment des importations croissantes de marchandises depuis des pays qui ne respectent pas les normes de qualité (normes sociales et phytosanitaires) pourtant imposées aux agriculteurs européens.
Loin des accommodements financiers et des « simplifications administratives » proposées par les gouvernements, ce que demandent ces paysans, c’est un changement complet de paradigme à l’échelle communautaire. Cette crise est une remise en cause fondamentale des choix de l’actuelle Commission européenne, basés sur le libre-échange et le combat prioritaire pour la transition énergétique.
Des mouvements qui pourraient être décisifs au moment de l’élection des députés européens en juin prochain
La composition du Parlement européen sera donc décisive pour répondre à cette crise agricole. Les différents partis se présentant le savent et l’extrême droite, déjà, tente de surfer sur cette colère agricole.
Le Parti pour la liberté néerlandais, le parti polonais Droit et justice, Vox en Espagne, des groupes extrémistes naissants en France ou encore le parti allemand Alternative, à l’instar du Rassemblement national se rêvent porte-parole des mobilisations agricoles et affirment leur fort soutien au mouvement. Ainsi, à l’Assemblée Nationale, ce mardi 13 février, le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella a annoncé la création d’une commission d’enquête sur la « perte de souveraineté alimentaire de la France ». Les députés du Rassemblement national dénoncent également le vote des députés Renaissance au Parlement européen en faveur de la stratégie « De la ferme à la fourchette » et de tous les traités de libre-échange. Les partis européens d’extrême droite espèrent ainsi que cette fronde agricole, soutenue en France par une large partie de la population, leur sera favorable lors des prochaines élections européennes.
A bientôt trois mois de ces élections, qui se dérouleront du 6 au 9 juin, les médias s’interrogent quant aux conséquences politiques de cette crise agricole. La crainte de voir, comme le prédisent les sondages, les partis populistes et nationalistes gagner du terrain au Parlement de Strasbourg grandit.
Blanche Guillotin—Caillaud
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