29 minutes. C’est en moyenne le temps d’audience alloué pour la procédure de comparution immédiate. Le prévenu y risque une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison.
La comparution immédiate provient tout droit de la loi du 20 mai 1863 sur le flagrant délit. Aujourd’hui, il s’agit d’une procédure rapide qui permet de juger les personnes directement après la garde à vue. Elle est utilisée en ce qui concerne des faits « simples et établis » où une enquête poussée n'est pas nécessaire. Elle s’applique uniquement pour des délits.
Souvent qualifiée de « justice d’abattage », cette procédure est critiquée pour son « ultra-sévérité » conduisant dans près de 80% des cas à une peine de prison. Pour certains, elle est efficace pour traiter rapidement les flux de délinquance ; pour d’autres, elle est dangereuse pour le justiciable.
Mais alors qu’en est-il des chiffres ? En 2001, cette procédure a été utilisée 31693 fois. Il y a ensuite eu 46601 affaires en 2005 pour qu’elles atteignent finalement le chiffre de 52000 en 2018.
Dominique Simonnot, journaliste au Canard Enchaîné et auteure du livre Coups de barre. Justice et injustices en France, appréhende le chiffre de 2019 qui risque d’être exorbitant, compte tenu de toutes les procédures réalisées à l’encontre les gilets jaunes.
Selon elle, cette méthode a été utilisée pour décourager les gilets jaunes de manifester. Cette procédure judiciaire aurait-elle alors été instrumentalisée pour satisfaire un tel objectif politique ?
Un samedi de décembre 2018, cinq gilets jaunes sont venus de l’Essonne pour manifester. Europe 1 a relaté leur expédition. Ils avaient en 25 et 35 ans. Ces cinq collègues d’usine se sont garés à proximité de la Place de l’Etoile, peu avant 11 heures. Ils ont tout de suite été arrêtés avec des masques et des pétards de farces et attrapes pourtant autorisés aux enfants de 12 ans. Ils n’avaient frappé personne et les masques étaient destinés à les protéger des gaz lacrymogènes.
Cependant, la situation avait déjà dégénéré à cette heure-là et la Procureure était persuadée qu’ils ne venaient pas pour manifester pacifiquement. Un des prévenus affirme que son père est policier et qu’il ne s’en serait jamais pris aux forces de l’ordre.
Rien n’y fait. À l’issue de cette procédure expresse qu’est la comparution immédiate, quatre d’entre eux sont condamnés de 4 à 8 mois de prison avec sursis, ainsi qu’une interdiction de mettre les pieds à Paris pendant un an. Le cinquième est condamné à trois mois de prison ferme puisqu’il avait déjà été condamné pour un accident de la route quelques mois auparavant.
La Présidente du tribunal conclut alors en disant : « Vous avez pris vos responsabilités, vous assumez ».
La plupart des personnes qui sont soumises à cette procédure proviennent de milieux défavorisés ; de telle sorte qu’une homogénéité sociale semble se dessiner. Il pourrait alors s’agir d’une justice de classe. Mais serait-elle par conséquent moins bonne ? S’agirait-il de ce fait d’une justice expéditive ?
Beaucoup critiquent le nombre pharaonique d’affaires qui doivent être traitées dans un laps de temps très court. À Paris, par exemple, 18 affaires sont jugées à partir de 13h30. Cette accumulation conduirait-elle à ce que les dossiers soient mal-jugés ?
Au Tribunal correctionnel de Marseille, le vendredi 26 juillet 2019, une audience a duré plus de 16 heures et s’est terminée au petit matin. Dominique Simonnot interrogée au micro de France Culture dans une émission intitulée « Comparutions immédiates : antichambre d’une « justice de classe » ? » s’est inquiétée de savoir si dans de telles conditions les magistrats étaient à même de juger, les prévenus à même de se défendre et les avocats à même de plaider. Face à de tels cas qui ne sont pas rares, la qualité de cette justice française qui semble réservée à une certaine catégorie sociale de la population questionne.
Des erreurs peuvent alors parfois survenir. C’est ce qui est arrivé à Vamara Kamagate. C’était un soir de février 2008. Une étudiante d’une vingtaine d’années aurait été sexuellement agressée par un homme dans le XIème arrondissement de Paris. Elle a alors porté plainte.
L’enquête a été rapide. Le coupable idéal a été trouvé. Il répondait au nom de Vamara Kamagate. C’était un SDF correspondant vaguement au signalement réalisé : un homme de type africain d’une soixantaine d’années. Néanmoins, il n’avait que 46 ans. Il ne savait ni lire ni écrire. Il était en France sans papier depuis 20 ans et SDF depuis 13 ans. La plaignante l’identifie comme étant son agresseur puisqu’il porterait le même bonnet noir que l’homme qui l’aurait agressée.
Le Procureur estime qu’il a assez d’éléments prouvant sa culpabilité. Deux jours après son arrestation, lors d’une procédure de comparution immédiate, Vamara Kamagate est condamné à 18 mois de prison ferme avec une interdiction du territoire français pour une durée de 3 ans à partir de sa sortie de prison. Il n’interjette pas appel et la condamnation devient définitive. Il est incarcéré à la prison de Fresnes, en région parisienne. Il a eu un accident vasculaire cérébral mais il y a survécu. Le 14 mai 2008, la victime revient sur ses accusations. Dans une lettre adressée à son avocat, elle avoue avoir tout inventé. L’avocat commis d’office de Vamara Kamagate ne l’a pas aidé à faire une demande de révision auprès de la Commission de Révision de la Cour de Cassation. Paradoxalement, ce sont l’avocat de la plaignante et le juge qui l’a condamné, avec l’aide du Ministre de la justice, qui déclenchent la procédure.
Vamara Kamagate aura passé 6 mois en prison dont 4 après la lettre d’aveux de la personne qui l’avait accusé. Le 6 septembre 2010, après avoir fait attendre Vamara Kamagate pendant sept heures, les juges l’ont finalement déclaré non coupable lors d’un nouveau procès qui a duré quelques minutes. Il est cependant décédé quelques mois plus tard d’un second accident vasculaire cérébral.
Pour Dominique Simonnot, les magistrats ne connaissent rien de la personne qu’ils jugent. Les personnes malades psychologiquement ne sont ni soignées ni expertisées, faute de temps. Elles seraient envoyées en prison sans cesse. Elle relate alors le cas d’une personne qui a été condamnée plus de quarante fois pour avoir braqué des voitures vides et dépensé le fruit de ce butin au PMU. Aucune expertise psychiatrique n’a jamais été réalisée, alors qu’il semblait vraisemblablement en avoir besoin. Par ailleurs, il n’a jamais été soigné en prison, faute de moyens.
Trafiquants de stupéfiants, passeurs de migrants, alcooliques, conjoints violents, etc. passent ainsi par cette procédure.
Pour Laurence Blisson, secrétaire générale du syndicat de la magistrature, « tout va trop vite ». Elle estime que cette justice expéditive renforce le choix de la prison car les magistrats n’ont « pas le temps de penser à des alternatives ». Elle relate alors que ces personnes ont huit fois plus de chances d’aller en prison qu’avec les autres modes de jugement. Elle schématise alors en disant qu’il y a une chaîne conduisant de l’arrestation à la prison.
Selon Julia Cancelier, avocate, la comparution immédiate « contribue largement à la surpopulation » en prison alors que « beaucoup d'avocats ont l'impression que c'est de l'abattage, qu'on n'a pas le temps d'aller au fond du dossier ».
Mais alors ne faudrait-il pas davantage s’y attarder pour que ces personnes soient mieux jugées et réinsérées à la vie de la Cité ?
Maud THIRIET
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