Une première mondiale. Le gouvernement estonien développe une intelligence artificielle qui aura pour rôle de juger de manière autonome des affaires concernant des délits mineurs. Ce qui pourrait s’apparenter à une avancée technologique s’inscrit dans la numérisation des services publics du pays et devrait être efficiente fin 2019.
Si se faire juger par un robot aurait pu passer il y a quelques décennies pour de la science fiction, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
En Estonie, selon le magazine Wired, il s’agira de juger par un robot des faits concernant des délits dont les dommages sont inférieurs à 7000 euros. L’objectif de cette machine toute droit sortie de la science fiction est d’alléger la charge de travail des juges et des greffiers, afin qu’ils puissent se concentrer davantage à des affaires complexes.
Cette intelligence artificielle estonienne a été développée par Ott Velsberg, un étudiant de 28 ans engagé par le gouvernement estonien. La machine s’appuie sur des textes légaux pour analyser diverses informations (faits personnels, allégations, preuves, etc.) mises en ligne sur une plateforme internet par les deux parties au conflit. Ces informations sont essentielles puisqu’elles font pencher le jugement de la machine en faveur de telle ou telle partie.
En France, cette machine s’appelle « Predictice » et elle serait capable de prévoir l’issue d’un jugement. Néanmoins, la France ne fait pas état d’une avancée technologique semblable à l’Estonie puisque la machine française a simplement pour rôle d’aider les magistrats à prendre leur décision. Son verdict se base sur la jurisprudence des Cours d’appel et de la Cour de cassation dont le logiciel tire des statistiques établissant les chances de succès d'un dossier judiciaire et évaluant le montant des indemnités financières en cas de divorce, de licenciement, de troubles de voisinage, etc.
En 2017, une dizaine de magistrats des Cours d’appel de Rennes et de Douai se sont donc portés volontaires pour l’essayer. Mais pour l’instant, les résultats ne semblent pas satisfaisants.
Xavier Ronsin, premier président de la Cour d’appel de Rennes avait alors confié au Parisien que « ce n’est pas assez fin et cela donne parfois des résultats aberrants ». En effet, certains paramètres ne sont pas comptabilisés comme les catégories socioprofessionnelles, ce qui conduirait à un résultat erroné ou insuffisant.
Par ailleurs, certaines critiques visent à mettre en garde contre un manque d’indépendance des magistrats qui seraient tentés de suivre à tout prix la machine et les décisions précédentes sans utiliser leur sensibilité d’être humain. A terme, les décisions seraient alors mécaniques et homogènes partout alors que chaque cas est unique.
Aux Etats-Unis, l’intelligence artificielle répond au nom de COMPAS (Correctional Offender Management Profiling for Alternative Sanctions). Ce logiciel aide les juges à prononcer leurs verdicts en notant la probabilité de récidive de 1 à 10.
Cependant, cette machine est accusée de racisme puisqu’elle reproduirait des discriminations subies par certaines populations dans ses décisions. En effet, elle surévaluerait largement le risque de récidive des personnes afro-américaines ; ce taux étant deux fois plus important que les autres personnes, pour lesquelles le risque serait sous-estimé.
L’Angleterre, quant à elle, a mis au point un projet nommé CaseCruncher Alpha qui a été porté par trois étudiants en droit de Cambridge (Jozef Maruscak, Rebecca Agliolo et Ludwig Bull). Ils ont ainsi créé une machine capable d’affronter des avocats.
Supervisée par deux juges, Felix Steffek (professeur de droit à Cambridge) et Ian Dodd (société Premonition), la compétition s’est déroulée entre l’intelligence artificielle et cent prestigieux avocats de Londres. Lors du concours, la machine et les avocats ont reçu des faits relatifs à des centaines de cas de ventes abusives concernant des assurances de protection des paiements. Les deux entités étaient par la suite invitées à définir si l’Ombudsman financier autoriserait une réclamation ou non.
À votre avis qui a gagné ? CaseCruncher Alpha a finalement remporté la bataille avec un taux d’exactitude de 86,3% contre 66,3% pour les avocats.
Pour éviter que certains pays ne dépassent les limites, le Conseil de l'Europe a publié la première Charte éthique européenne sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires en janvier 2019. Ce premier texte continental énonce des principes éthiques à destination des acteurs publics et privés impliqués dans la conception et le déploiement d'outils utilisant des algorithmes pour traiter des données judiciaires. Il rappelle que l'intelligence artificielle est limitée, que les algorithmes ne sont jamais neutres et qu'ils peuvent engendrer des discriminations. Ce texte retient que l’intelligence artificielle doit être utilisée de manière positive, dans le respect des droits des justiciables, de la protection des données personnelles et du droit à un procès équitable.
Il convient de ne pas oublier que l’intelligence artificielle fait l’objet d’une codification par l’homme. Par conséquent, si l’homme y introduit des erreurs ou qu’il n’est pas assez précis, le résultat donné par la machine sera nécessairement erroné ou imprécis.
De plus, cette entrée de l’intelligence artificielle dans le monde de la justice et du droit implique nécessairement que chaque citoyen soit doté d’un outil numérique lui permettant de se rendre sur internet (et qu’il en maitrise le fonctionnement), alors qu’en France, 27% de la population serait déjà victime de la « fracture du numérique ».
Pour conclure, si dans de nombreux pays l’objectif est de réduire le nombre d’affaires afin de rendre une justice plus effective et qualitative, il n’en demeure pas moins que se tourner vers l’intelligence artificielle puisse être une alternative troublante et dérangeante pour le commun des mortels…
Alors, prouesse technologique ou hérésie surréaliste ?
Maud THIRIET
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