Crédits photos : MAXPPP - JEAN-MARC QUINET / ERIC FEFERBERG - AFP / AFP - Joel Saget / STEPHANE DE SAKUTIN - AFP - AFP / Stéphane Burlot / ISA HARSIN/SIPA / @L'Express
Selon une enquête Fondapol/Le Figaro menée par l’entreprise de sondages politiques Opinionway, 20% des électeurs français se placeraient à gauche de l’échiquier politique. C’est 5% de moins qu’il y a quatre ans. Dans sa représentation politicienne, ce bloc de gauche s’avère ressembler à un archipel peuplé de multiples tribus politiques, chacune avec leurs spécificités.
Le Parti socialiste semble avoir trouvé sa cheffe en la maire de Paris, Anne Hidalgo. Après des universités d’été qualifiées de « renaissance » par certains cadre du parti de la rose, Anne Hidalgo déclare officiellement sa candidature en octobre dernier, non sans opposition au sein de sa famille politique. Refusant à tout prix l’idée d’une primaire, le décrochage de la candidate dans les sondages, arrivant à 3% dans celui publié par Elabe le 21 décembre, la conduit à se raviser. Elle déclare il y a environ deux semaines sur le plateau de TF1 « qu’il faut organiser une primaire de cette gauche, arbitrée par nos concitoyens ».
Chez Europe Écologie Les Verts, la désignation du leader providentiel n’a pas été une tâche sans encombre. Avec plus de 100 000 votants au premier et au second tour, l’exercice démocratique est une réussite. Cependant, quatre candidats, Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Éric Piolle et Delphine Batho, parviennent à réunir un nombre relativement proche de voix, signe peut-être d’une absence de leader capable d’entraîner une dynamique de campagne. Au second tour, deux lignes sensiblement différentes s’affrontent. Avec seulement 2 000 voix d’avance, le modéré Yannick Jadot l’emporte face à Sandrine Rousseau, qui a misé sur une ligne plus radicale et écoféministe.
Reste les candidats dont la participation à l’élection présidentielle n’a pas fait l’objet de compétition partisane. Arnaud Montebourg s’est déclaré candidat à la présidentielle le 4 septembre dernier, dans une position d’outsider. En mai 2021, Fabien Roussel est investi candidat à l’Élysée par le Parti communiste français. Plus tôt, le 8 novembre 2020, le leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon se déclare candidat pour la troisième fois, parvenant à réunir les parrainages de plus de 150 000 citoyens.
Avec une famille politique morcelée, qui se caractérise par une faiblesse dans les sondages, certains appellent à une union de la gauche, l’ultime espoir pour constituer une alternative crédible aux candidatures nationalistes telles que Marine Le Pen, Éric Zemmour ou issues d’une droite plus libérale telles que Valérie Pécresse voire Emmanuel Macron.
C’est ce à quoi travaille un groupement de plusieurs associations et bénévoles depuis environ un an par le biais d’une primaire populaire. D’abord marginalisée voire ignorée par la plupart des responsables politiques, l’annonce surprise d’Anne Hidalgo le 8 décembre dernier a soudainement médiatisé cette « primaire populaire » dont les modalités sont inédites.
Plébiscitée par une partie de la gauche, la candidature envisagée de Christiane Taubira, arrivée en tête des parrainages dans le cadre de cette primaire populaire, pourrait incarner une figure d’union capable de rassembler les différents îlots de l’archipel « gauche » autour d’un socle de valeurs communes.
La primaire populaire : une initiative non partisane
La première singularité de cette primaire populaire réside dans ses origines. Noa, jeune bénévole investie au sein du pôle mobilisation, se rappelle qu’ « en octobre 2020, un grand projet a été lancé ».
Il s’appelle « la rencontre des justices » et a réuni pendant un week-end beaucoup d’associations écologistes, se battant pour une justice sociale et qui avaient déjà travaillé en amont pour « concevoir ensemble des mesures fortes à mettre en place pour une société plus juste » souligne Noa.
Puis, le projet inter-associatif a progressivement glissé vers le champ politique avec l’établissement d’un socle commun, composé de dix « mesures de rupture » fortes. Parmi celles-ci, « une grande loi de transition alimentaire vers une agriculture paysanne et écologique », « un emploi et un salaire juste pour toutes et tous » ou encore un changement « vers une sixième République écologique et la fin de la monarchie présidentielle ».
Même si treize partis de gauche, dont le Parti socialiste, ont participé à l’élaboration de ce socle commun, Noa rappelle que l’idée de cette primaire est de « mettre les idées avant les personnes ou les partis. La primaire reste dans une logique non partisane. D’ailleurs, nous ne parlons pas de « gauche » mais d’écologie, de justice sociale, de démocratie ».
Le 16 octobre dernier, une poignée d’élus se sont réunis dans le cadre du « serment de Romainville ». Les élus signataires s’engagent à « n’accorder leurs parrainages que lorsque les conditions du rassemblement auront été réunies ».
Dix candidats, dont cinq femmes et cinq hommes, ont été sélectionnés à l’issue de la phase des parrainages. Les citoyens qui s’inscriront à la primaire populaire voteront entre le 27 et le 30 janvier 2022, participant à un scrutin inédit à l’échelle nationale.
Le choix d’un mode de scrutin original
Comme le rappelle Bernard Manin dans son ouvrage Principes du gouvernement représentatif (1995), « ce qui définit la représentation, ce n’est pas qu’un petit nombre d’individus gouvernent à la place du peuple, mais qu’ils soient désignés par élection exclusivement ».
Dans une démocratie représentative comme la République française, l’élection est dès lors un des temps forts de la vie politique. Le mode scrutin majoritaire et proportionnel sont les deux principaux systèmes électoraux utilisés en France.
Les organisateurs de la primaire populaire ont fait cependant le choix de mettre en oeuvre un mode de scrutin différent pour désigner un candidat du rassemblement de la gauche.
Au XVIIIe siècle, le philosophe, mathématicien et homme politique Nicolas de Condorcet a réfléchi aux différentes conséquences des modes de vote, mettant en lumière son fameux paradoxe. Ainsi des modalités de vote mettent en avant l’adhésion qu’un candidat suscite plutôt qu’un seuil de qualification requis ou un scrutin suscitant une logique de vote utile.
Le vote par jugement majoritaire permet en l’occurence de souligner le degré d’adhésion que chaque candidat provoque chez les électeurs. Il se diffère par là de la méthode mise en place par Condorcet. En effet, cette dernière permet de favoriser simplement l’ordre de préférence des électeurs en fonction des candidats, contrairement au vote par jugement majoritaire qui pondère l’ordre de préférence selon les degrés d’adhésion. Selon le site de la primaire populaire, ce sont deux mathématiciens français, Michel Balinski et Rida Laraki, qui ont peaufiné cette méthode de vote en 2002.
En pratique, dans le cadre d’un vote par jugement majoritaire, chaque électeur peut attribuer une mention à chaque candidature (très bien, bien, passable, à rejeter etc.). Le candidat vainqueur est celui qui a récolté la meilleure moyenne.
Noa, bénévole au sein du pôle mobilisation, est convaincue par ce mode désignation : « L’avantage majeur du vote au jugement majoritaire est qu’il évite le vote utile […] Ce sera la première fois au monde que ce mode de scrutin sera testé à l’échelle nationale. C’est inédit.»
En revanche, le vote par jugement majoritaire ne fait pas forcément l’unanimité au sein de l’électorat de gauche. Si Clément, étudiant et sympathisant de gauche, reconnaît que « le vote par jugement majoritaire a des avantages, comme faire émerger une candidature de consensus », il souligne cependant qu’il va être « compliqué de lancer une dynamique autour d’une candidature plaisant à une majorité mais qui ne crée pas de passion ».
Omri, membre du Parti socialiste, comprend que « la gauche ait envie de changer de système de vote », mais estime que « le problème n’est pas en soi le système de vote mais le vote des électeurs. Pour cela, il faut les convaincre. Il est bien plus intéressant de discuter du projet ».
Christiane Taubira, favorite de la primaire selon les signatures
Les dix candidats sélectionnés à l’issue du processus des parrainages n’ont pas tous candidaté à la primaire populaire. C’est le cas par exemple de Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot. Ayant tous les deux refusés de participer à une quelconque compétition électorale pour être désigné candidat à la présidentielle, leurs candidatures seront quand même soumises au jugement des électeurs en janvier prochain.
Il s’agit toutefois de Christiane Taubira qui aurait réuni le plus de parrainages. Alors que l’ancienne Garde des sceaux, incarnation du mariage pour tous entre autres, a déclaré à travers une vidéo « envisager » une candidature à l’élection présidentielle, elle soutient également l’initiative d’une primaire populaire.
L’annonce de Christiane Taubira suscite autant l’engouement que certaines craintes chez les sympathisants de gauche. Arnaud, étudiant en sciences politiques de 19 ans, est « très content de l’annonce de Christiane Taubira. C’est une personne que j’apprécie. Il faudrait qu’elle fasse une percée dans les sondages à l’issue de la primaire ».
Cependant, d’autres redoutent que la candidature de cette ancienne figure du Parti radical de gauche vienne accentuer les divisions. Omri, qui soutient la candidate du PS Anne Hidalgo, trouve qu’ « une candidature de plus n’est pas ce dont la gauche a besoin maintenant ». Il concède qu’elle possède « l'expérience, la stature et les idées nécessaires pour gouverner la France, mais qu’il faut vouloir le faire. La France mérite mieux qu’une candidate hésitante ».
Alors qu’un sondage Elabe « Opinion 2022 » pour BFMTV/L’Express indique que 85% des sympathisants de gauche sont favorables à une candidature commune, le principal défi sera de trouver une figure d’incarnation. Toujours selon ce sondage, Christiane Taubira est choisie par 21% des sympathisants de gauche, derrière Jean-Luc Mélenchon et ses 33%. La primaire populaire semble alors la dernière chance pour le peuple de gauche de voir l’union se former, sans être garanti d’une embellie sondagière à moins de 4 mois de l’élection présidentielle.
Melchior Delavaquerie
Comments