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La privatisation de l’hôpital public français : une destinée inéluctable ?

La Covid a mis la lumière sur l’impasse que traverse l’hôpital public français. Plus qu’une impasse, une crise, qui dure depuis plus de 20 ans. Quelles réponses donner à cette crise ?



Manifestation du personnel soignant - 11/01/2022 - Paris ©AFP


Le personnel hospitalier se bat contre l’augmentation des déserts médicaux, les fermetures de lits, la surcharge de travail, la non-adaptation à la transition technologique faute de moyens, le manque de personnel, les rémunérations insuffisantes… Bref, vous l’aurez compris, la liste est encore longue. De quoi nous inquiéter sur l’avenir de notre hôpital public. Soigne et tais-toi Les hôpitaux psychiatriques ne peuvent plus recevoir, n’ont plus de lits alors même que la détresse psychologique augmente. Les Ehpad sont dans un état de délabrement, et sous le signe parfois de la maltraitance (situation dévoilée avant la publication du livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs). Les urgences sont débordées, accueillant tous types de patients : personnes sans domicile fixe, malades souffrant de pathologies psychiatriques... Une population délaissée Les inégalités sociales subsistent et des disparités territoriales demeurent entre campagne, banlieue et centre-ville. La paupérisation de la population s’accentue. Pour cause, les tarifs des mutuelles devraient augmenter de 3.4 % en moyenne en 2022, selon une étude de la Mutualité Française. La population vieillie, le nombre de maladies chroniques augmente : entre 2011 et 2017, le nombre d'admissions en Affections de Longue Durée (ALD) a atteint un rythme annuel moyen de + 5,1 % contre + 4,1 % sur la période 2006-2011. Ces maladies engendrent un coût plus important, car elles sont durables, et techniquement plus difficiles à soigner. La faute au manque d’organisation Après le premier confinement, notre très cher Président de la République déclarait que les difficultés de l’hôpital n’étaient pas liées à un manque de moyens mais à un manque d’organisation. Un trait d’humour ? Surement pas. Ce « manque d’organisation » de l’hôpital amène un tiers des jeunes infirmier.es diplômé.es à abandonner leur métier dans les 5 premières années d’exercice. De cette organisation, parlons-en. Depuis une vingtaine années, la France a connu un tournant néo-libéral, concentrant l’activité sur l‘hôpital public et délaissant la médecine de ville et de proximité. L’arrivée d’Emmanuel Macron en 2017 n’a rien arrangé avec l’idée de start-up-nation, de libéralisme accru, ou encore du développement de la télémédecine. L’argent, le nerf de la crise Le manque de moyens, voilà ce qui ressort principalement des revendications. Des moyens sur le long terme, de réels investissements et non pas des primes de 100 euros octroyées suite à des manifestations. L’un des remèdes trouvé pour répondre aux difficultés de l’hôpital a été de changer son mode de financement. En 2004, nous sommes passés d’un budget global à une tarification à l’activité (T2A). Les patients sont répertoriés dans des groupes en fonction de leur pathologie. A chaque groupe correspond un tarif, fixé par le ministère de la Santé. Éviter les pertes financières, cibler les dotations : le financement devrait correspondre à la réalité du terrain. T2A : l’hôpital-entreprise ? Cependant, la T2A a très vite dévoilé son vrai visage : celui de l’entreprise, de la gestion managériale. Aujourd’hui, les hôpitaux font le choix de soigner des maladies aux tarifs élevés, pour avoir un financement plus important par la suite. Le soin implique donc le choix. Bien souvent, les hôpitaux diminuent la durée des séjours pour accueillir un maximum de patients. Une sélection des malades peut être faite pour éviter les cas les plus lourds (c'est à dire qui ne seraient pas « rentables »). Il n'existe aucun critère de qualité des soins. En théorie, la T2A pourrait apporter un budget plus important et adapté. En pratique, le volume des soins dispensés à l’hôpital a augmenté de 3% annuellement jusqu’en 2010, puis de 2% à partir de 2015 mais le budget des hôpitaux n’a pas augmenté pour autant. Le prix de l’activité diminue quand le volume de soins augmente, pour garder le même budget. La question du financement de l'hôpital reste complexe, car elle engage toute la société. C'est une question de choix politiques, économiques, mais aussi éthiques et philosophiques. La tarification à l’activité n’a pas guéri les maux de l’hôpital public. Dans sa continuité, et notamment durant la crise de la Covid, la question de la privatisation a été soulevée plusieurs fois, pour compenser les difficultés de l’État à soutenir son hôpital. La solution : plus de privé ? L’ouverture aux entreprises privées pourrait-elle soulager l'hôpital public ? Nous vivons dans un système de santé dans lequel les individus n'ont presque pas de coûts à supporter, alors même que les dépenses de santé en France sont 20% plus élevées que dans la plupart des pays de l'UE. La part de dépenses courantes de santé à charge pour les patients est la plus faible de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). L’État pourrait faire le choix d'adopter un modèle plus libéral, tout en assurant un minimum, garder la Couverture Maladie Universelle Complémentaire (CMU-C). Les individus supporteraient eux même les coûts, ou pourraient prendre des assurances privées (à la place du montant des cotisations). Mais nous le savons, un tel modèle favoriserait une catégorie de personnes ; celles qui peuvent payer leurs soins. Dans les Ehpad, le prix des chambres pourrait augmenter, et tous les patients recevraient un niveau de qualité de soins correspondant à leur pouvoir économique. En conséquence, le système serait inégalitaire, creusant encore plus le fossé entre les plus et les moins favorisés. Aussi, les conditions de travail des personnels de santé seraient impactées, surement calquées sur le modèle de l’entreprise et de la rentabilité. L’exemple de Longue-Jumelles Durant le printemps 2019, l'hôpital de Longue-Jumelles, au bord de la faillite, a lancé un appel d'offres. Deux offres ont été retenues : une privée, une publique. Agnès Buzyn, alors Ministre des solidarités et de la Santé, s’était opposée à cette délégation au privé. Une enquête signée Mediapart a révélé que ce groupe privé s’étant positionné sur cette offre s’est vu confier la reprise d’un Ehpad, dépendant de l’hôpital public. Les fonctionnaires sont restés soumis à un contrat de droit public, d’autres, contractuels, ont été transférés aux repreneurs. Un début de privatisation…

L’avenir : les ESPIC ?

Pour beaucoup, la transition vers le privé passerait par un passage au statut d’établissement de santés privés d’interêts collectifs (ESPIC). Ceux-ci sont soumis aux mêmes tarifs et principes d’accès aux soins que les hôpitaux publics. Ils ne sont pas astreints aux règles du marché public et sont libres dans le recrutement de leur personnel. Les défenseurs des ESPIC affirment qu’ils remplissent les mêmes missions que le service public et que le but n’est pas de transformer l’hôpital public en entreprise privée. Si nous commençons à généraliser le modele des ESPIC, le risque est de privatiser toujours plus et d’advenir à un hôpital-entreprise, basé sur des enjeux de rentabilité et non plus de qualité de soins à la personne. A noter que chaque ESPIC adapte son mode d’organisation et de gouvernance en fonction de ses spécificités. L’hôpital public, au lieu de basculer radicalement vers un modele comme celui-ci, devrait peut-être s’en inspirer. Les décisions relatives aux hôpitaux publics ont été regroupées régionalement, ce qui fait que le contact avec le terrain a été amoindri. Les décisions ne sont donc pas toujours adaptées.

Quels dangers ?

Un système de privatisation amènerait peu à peu les citoyens à cotiser pour leurs assurances, sans service minimum fourni par l’État. Sans parler de l’accroissement des inégalités, c’est aussi l’absence de solidarité nationale qui est à souligner. Les élites favorisent plus de privé et plus de technologie, surtout en période de crises économiques (ou sanitaire), pendant laquelle la solution serait dans la technique. La crise pousse à l’innovation. Le problème étant que plus le système est privatisé, plus il est couteux. Et l’innovation coûte cher. Aussi, des recherches sociologiques ont montré que l’innovation entrainait une paresse intellectuelle, ce qui n’est pas forcement à privilégier notamment en cas de crise durant lesquelles les machines n’ont pas la réponse à tout.

Plus d’humain, moins de T2A La privatisation n’est donc peut-être pas la meilleure solution. Mais quelles sont-t-elles, ces meilleures solutions ? La question de l‘hôpital public est complexe, et comme pour les décisions publiques, il n’y a jamais de bonnes solutions, satisfaisant tout le monde. Cependant, les syndicats hospitaliers, au-delà des demandes financières, souhaitent donner un sens et une cohésion aux équipes. Retrouver un lien entre le terrain et les décisions.

Aussi, une cohérence du parcours du patient est souhaitée : un suivi englobant tous les établissements, permettant à n’importe quel professionnel de santé de connaître le profil et les antécédents de son patient.

Évidemment, la T2A est encore très critiquée et beaucoup souhaitent un remplacement, partiel ou total. Appliquer une T2A pour les activités standardisées et programmées (chirurgies, soins palliatifs à la journée) et des dotations pour les maladies chroniques ou complexes, pour la psychiatrie, ou encore pour les maladies rares. La question de rendre les carrières plus attractives est centrale, surtout lorsque l’on sait qu’en 2019, 7,4 millions de Français vivaient dans un désert médical. Recréer une médecine de proximité est primordiale. Pour désengorger les hôpitaux et urgences, d’abord, mais aussi pour faciliter la prise en charge des patients, résignés parfois à patienter plusieurs heures avant une prise en charge.

Aujourd’hui, la gestion de l’hôpital public français s’assimile quelque peu à celle d’une entreprise. Mais l’humain ne doit pas passer après l’économie. Considérons convenablement nos patients, respectons nos soignants (en allant plus loin que des applaudissements). Donnons un pouvoir décisionnel à ceux qui, tous les jours, sont confrontés à cette crise qui ne cesse de durer.


Salomé Genin






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