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La « suppression » de l’ENA : une réforme pertinente ?

Dernière mise à jour : 13 août 2021

Jeudi matin, le 8 avril 2021, M. le Président Emmanuel Macron a annoncé, lors d’une réunion en visioconférence devant une centaine de hauts fonctionnaires, la suppression de la symbolique et prestigieuse École nationale d'administration (ENA), qui forme depuis plus d’un demi-siècle les hauts fonctionnaires de la France. Elle a été créée en 1945 par le Président De Gaulle afin de pallier les recrutements ministère par ministère et éviter le corporatisme. L’ENA permettra un recrutement démocratique et assurera la qualité de la formation des hauts fonctionnaires. Mais aujourd’hui l’idée novatrice de l’époque est controversée et à tel point que l’actuel Président de la République souhaite y mettre fin.


Cette volonté de réforme du chef de l’État est due à la crise des Gilets jaunes. En effet, Emmanuel Macron après les manifestations provoquées par les « gens de la France d’en-bas »a fait la promesse de transformer l’ENA, laquelle forme une partie des élites de la nation, afin d’éviter l’entre-soi de ces dernières et ainsi de reconnecter ces élites avec le peuple. Pourtant à la fin de la crise des Gilets jaunes en avril 2019, seulement 39 % des Français étaient favorables à la suppression de cette école selon un sondage de l’Ifop (Institut français d’opinion publique).



Crédit photo : Wikipédia


La réforme avancée par le Président de la République apparaît démagogique dans la mesure où à un an des élections présidentielles, il est possible de penser qu’il prend une telle mesure (et pas des plus importantes à tous points de vue) pour satisfaire cette classe sociale et par conséquent gagner son électorat en avril 2022.


Elle consiste à créer une nouvelle structure qui ne se nommera plus l’École nationale d’administration mais l’Institut du service public (ISP). Cet institut restera implanté à Strasbourg et comprendra toujours un concours d’entrée et un classement de sortie. En revanche, Emmanuel Macron envisage d’y intégrer un tronc commun à treize écoles de service public telles que l’École nationale de la magistrature (ENM), l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et l’École nationale supérieure de la police (ENSP). Le contenu de cet enseignement commun n’a pas encore été communiqué explicitement par le gouvernement mais selon Europe 1 il portera sur des "problématiques actuelles" comme les valeurs républicaines, la laïcité, les inégalités, ou encore les discours scientifiques suite à la crise sanitaire. Le but est de démocratiser l’accès à cette nouvelle école et d’y attirer des jeunes issus des milieux modestes « pour que aucun gamin dans notre République puisse se dire ce n’est pas pour moi » affirme le chef de l’État dans un reportage diffusé par l’émission de télévision C dans l’air. En outre, les « meilleurs » énarques c’est-à-dire se situant en haut du classement de sortie, ne seront plus affectés directement dans les grands corps de l’État telles que la Cour des comptes, le Conseil d’État mais le seront dans un corps unique des « administrateurs d’État ». Ces administrateurs, à l’issue d’une expérience de plusieurs années, pourront rejoindre ces grands corps après une sélection méritocratique.


Une grande partie de la réforme sera comprise dans une ordonnance qui doit être adoptée avant le 7 juin 2021.


Ce changement n’apparaît pas pertinent et ce pour plusieurs raisons.


La volonté d’une France sans « élites » ?



Il est nécessaire et indispensable de créer des écoles de prestige qui préparent au mieux les futurs serviteurs de la République. De ce fait, la compétence a toujours été recherchée. Dans tous les domaines la société exige des personnes « compétentes » et pour cela des « grandes écoles » ont été conçues. En effet, un pays a besoin de personnes qualifiées voire sur-qualifiées pour apporter leur savoir-faire et une plus-value à la nation, ce qui explique la sélection qui est opérée au travers de la grande école qu’est l’ENA. Alors oui, cette École nationale d’administration si critiquée, celle qui forme les plus hauts fonctionnaires de l’État avec une formation d’excellence, créé des « élites » mais en quoi cela pose-t-il problème ?

Certains diront que les énarques se reproduisent entre eux, que les fonctions politiques leur seraient presque destinées et que les derniers présidents de la République française depuis Jacques Chirac (excepté Nicolas Sarkozy) sortant du même « moule » auraient les mêmes méthodes pour gouverner ce qui susciterait de la part des Français un mécontentement politique de longue date. Comme Bruno (Le Maire), ils veulent du renouveau.


Faudrait-il aussi supprimer les autres écoles prestigieuses qui préparent à de grandes carrières professionnelles et qui favorisent la reproduction des élites telles que l’ENS, HEC, ou Polytechnique ? Fort heureusement ce n’est pas dans les projets du Président de la République et pourtant elles présentent les mêmes caractéristiques que l’ENA : des écoles élitistes avec un concours d’entrée exigeant, qui accueillent une part prépondérante d’élèves issus de la classe sociale dominante, qui préparent aux carrières les plus prestigieuses et qui favorisent la reproduction et l’entre-soi des élites.


La transformation de l’ENA par l’ISP ne réglera pas le problème majeur dénoncé : la reproduction et l’entre-soi des élites


La volonté du Président de réformer l’ENA présente un aspect positif en ce sens qu’elle a pour but de mettre un terme à l’omniprésence des énarques, formatés et sortant d’un même moule, aux postes importants de l’Administration. En effet, ces brillants élèves n’ont pas assez d’expérience professionnelle (malgré des stages) pour venir « du haut de leur trentaine asséner des sentences et distribuer des bons et mauvais points » a laissé entendre un conseiller d’Emmanuel Macron.


Cependant, cette réforme ne sera pas pertinente s’il s’agit uniquement de substituer à l’ENA une autre école dénommée ISP, qui continuera à former d’excellents élèves qui se côtoieront entre eux et qui resteront issus en majorité des mêmes classes sociales. Il faut que la réforme aboutisse à une véritable démocratisation de l’accès à la haute fonction publique. Actuellement, seulement 1 % des enfants d’ouvriers et catégories socio-professionnelles similaires sont représentés parmi les énarques. En effet, sur les 82 élèves de la promotion 2019‑2020, un seul a un père ouvrier. Ce taux de représentation a toujours été faible puisque depuis 1947 il n’a jamais excédé les 5,5 %. Et il n’est pas certain que la suppression de l’ENA permette d’atteindre une plus forte représentation au sein de cette école des élèves issus des milieux modestes et défavorisés.


Le problématique se situe bien en amont des modalités d’accès à l’Enseignement supérieur. En effet, une plus grande démocratisation nécessite d’intervenir dès l’Enseignement primaire et secondaire pour supprimer les inégalités qui ne cessent de se creuser. La solution pour avoir une mixité dans les écoles de prestige n’est pas de réformer les concours d’entrée car il faut nécessairement une sélection pour déterminer qui aura les capacités d’accéder à de hauts postes à responsabilités, mais de réformer en profondeur le système éducatif français qui laisse perdurer les inégalités sociales. Notre école primaire rendue laïque, gratuite et obligatoire par Jules Ferry (même si le projet date de la Convention, 1792), par des lois du 16 juin 1881 (gratuité absolue) et du 28 mars 1882 (sur l’enseignement primaire obligatoire et laïque), présente des lacunes, voire est un échec dans la mesure où l’égalité des chances n’est qu’un leurre. A partir de l’instant où l’école républicaine favorise la reproduction des inégalités sociales, les enfants issus des milieux les plus modestes seront toujours sous représentés dans les filières d’excellence.


En conclusion, cette réforme ne risque-t-elle pas d’être une coquille vide, « de la poudre de perlimpinpin » ?



Axelle Gilleron


Sources :








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