Source : Lyon Capitale
Aujourd’hui, nous nous intéressons à la Trilogie de l’Emprise, trois romans de politique-fiction « à la française » écrits par Marc Dugain entre 2014 et 2016 et publiés aux éditions Gallimard : L’Emprise, Quinquennat et Ultime partie. L’Oeil d’Assas vous emmène dans cet univers sombre qu’est la vie politique de notre pays, entre trahisons éhontées, mensonges feutrés et conflits d’intérêts dissimulés.
Un casting de qualité pour une République irréprochable
Les romans suivent avant tout l’histoire de quelques protagonistes seulement, triés sur le volet pour donner une force singulière à chacun et créer des liens d’emprise entre eux : un candidat à la présidentielle, son plus féroce adversaire, un patron d’entreprise publique et une agent de la DGSI.
Launay, le présidentiable dépressif
La jeunesse de Philippe Launay n’était pas joyeuse, contrairement au storytelling monté de toutes pièces par ses spin doctors. Délaissé par sa mère qui ne voulait pas d’enfant et considéré par son père comme un simple successeur à la tête de la TPE familiale, grandissant à l’écart des autres qu’il ne comprend pas, Launay cultive une ambition au moins aussi forte que sa dépression, qui deviendra chronique. Car oui, quitte à être seul, autant être seul au-dessus des autres. Après avoir fait l’ENA, siégé à l’Assemblée nationale, été ministre puis dirigé sa famille politique, il est naturellement candidat à l’élection présidentielle à venir. Il redoute pourtant une victoire qui signera en même temps l’apothéose de sa carrière politique et le triomphe final de sa dépression, seul le spectre effrayant de la défaite électorale lui donnant occasionnellement une raison d’exister. N’aimant pas l’argent et n’appréciant la compagnie de personne (surtout pas celle de sa femme), toute sa vie se résume à la politique. Quoi qu’il en coûte pour sa santé mentale, il sera président de la République.
Volone, le patron profiteur
Charles Volone est issu d’une famille arménienne, les Volonian, et il aime le rappeler lors de ses déjeuners d’affaires réguliers au Fouquet’s. Parti de rien, sorti miraculeusement d’une grande école, il a fait franciser son nom mais cache soigneusement ses revenus bien loin de son pays d’accueil. Riche patron de plusieurs entreprises publiques à son actif grâce à son réseau politique, Volone prend soin de financer à chaque élection présidentielle le candidat qu’il juge susceptible de loger à l’Élysée pendant les cinq prochaines années, pour lui rappeler ses engagements vis-à-vis de lui une fois élu. Stratège hors-pair, c’est donc une évidence s’il se lie « d’amitié » (les guillemets sont importants en politique) avec Launay, d’autant qu’un projet de création d’une méga-entreprise publique de l’énergie atomique est sur les rails. Il n’aura alors aucun mal à s’y faire nommer PDG par le nouveau président de la République, si bien sûr c’est lui qui aide ce dernier à le faire gagner.
Lubiak, le véreux aux dents longues
Lubiak (aucune mention de son prénom) est un homme politique à l’allure tout à fait ordinaire, énarque mais loin de figurer dans la « botte » du classement de sortie de sa promotion, sans trop de convictions mais juste assez pour avoir été élu député. C’est l’ennemi intime de Launay car tous deux convoitent la magistrature suprême, mais pas pour les mêmes raisons. Alors que Launay s’échine presque maladivement à conquérir des Français qu’il méprise, Lubiak espère gagner beaucoup d’argent une fois installé dans le fauteuil du Général, en passant des contrats d’armement juteux et opaques avec les pays du Moyen-Orient. Certes, ses finances personnelles ne sont pas alarmantes en ce moment, mais il lui en faut davantage, il lui en faut toujours davantage. Cet homme à la personnalité aussi fausse que les vérités qu’il assène sur les plateaux de télévision, qui n’hésite pas à prendre sans demander, compte bien écraser tous ceux qui lui barrent la route : Launay, les journalistes, les fantômes de son passé.
Lorraine, l’espionne égarée
Lorraine est agent des services secrets français, plus précisément de la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI pour les intimes), chargée de diverses missions de surveillance. Elle rend compte directement au patron, le Directeur général de la Sécurité intérieure, Ange Corti. Natif de Corse, ce dernier garantit la continuité de l’État en employant les méthodes insulaires et n’hésite pas à faire chanter les présidents depuis des décennies avec les informations compromettantes qu’il détient sur eux, pour le bien de la France évidemment. Sous l’autorité de l’« indéboulonnable de la République » tant aucun chef de l’État n’arrive étrangement à le dévisser de son siège, Lorraine remplit ses missions sans réfléchir, surtout lorsque les ordres viennent directement « d’en haut ». Perdue sentimentalement, elle élève seule son fils atteint d’autisme et vit mécaniquement son quotidien fait de planques, de paperasse administrative et de coups d’un soir.
Je te tiens, tu me tiens au sommet de l’État
La trame liant ces quatre personnages tourmentés est scindée en trois temporalités politiques fortes. L’OEil d’Assas vous présente celle du premier tome, L’Emprise.
Le quinquennat s’achève bientôt, la course à l’Élysée peut donc commencer. Le président sortant est si bas dans les sondages qu’il est donné perdant dès le premier tour. Le chef de parti Launay est en tête dans les sondages, incarnation d’un gaullo-mitterrandisme au-dessus des turpitudes et des clivages politiques. Il a un boulevard devant lui pour réaliser son ambition ultime. Dommage qu’à quelques mois du scrutin qui le placera enfin à la tête de notre belle France (et qui décuplera sa dépression car il n’aura plus aucun combat électoral à mener), un scandale menace de l’éclabousser pour une affaire remontant à ses années au ministère de la Santé. Sans doute un coup fourré de Lubiak, l’autre ténor du parti à la vision moins modérée, un jeune loup arrogant qui ne veut pas patienter. Eh bien soit, la guerre est déclarée, la neurasthénie attendra. Son ami patriote Corti, qui n’aime pas non plus Lubiak car ce dernier veut vendre les fleurons industriels bleu-blanc-rouge à ses amis orientaux argent-pétrole-argent, va l’aider à étouffer l’affaire via la DGSI qu’il dirige d’une main de fer.
Autre petit problème : un syndicaliste du nom de Sternfall est tombé sur les montages financiers de Futur Environnement, entreprise publique dirigée par Volone, destinés à arroser la campagne de Launay. Il aurait déjà pu tout balancer à la presse s’il n’avait pas subitement disparu, enlevé par des espions étrangers. On dirait que les services secrets américains veulent faire chanter Launay par le biais de ce témoin gênant, qui pourrait révéler le financement occulte si le nouveau président ne se plie pas aux injonctions de l’Oncle Sam… Sauf que le favori de la présidentielle compte bien redonner son indépendance à la France, pourquoi pas lui octroyer une Constitution flambant neuve et ainsi graver son nom dans le marbre de l’Histoire nationale. La raison d’État lui sera alors utile pour mener à bien ces deux projets. Il demande donc à Corti d’enquêter sur cette disparition le temps de la campagne présidentielle. Lorraine sera envoyée en première ligne sur une affaire qui la dépasse complètement : une affaire d’État.
Voilà le début d’une intrigue en trois actes, s’inspirant de nombreuses enquêtes réalisées par un journaliste d’investigation spécialisé dans les financements politiques occultes (dont « l’affaire Karachi ») pour mettre en lumière les jeux de marionnettistes entre la vie publique, les grands groupes économiques et les services de renseignement. Aucune idéologie n’est exprimée dans ces ouvrages, d’ailleurs on ne connaît pas l’orientation politique des partis évoqués. Cette trilogie se borne à dévoiler les conflits d’intérêts permanents gangrenant la République ainsi que les guerres de l’ombre entre services secrets du monde. Et au milieu de ce joyeux bazar, où les liens d’emprise se font et se défont loin des peuples, avancent en terrain miné des journalistes consciencieux se faisant plus d’ennemis que d’amis, ainsi que les petites mains du renseignement qui jouent parfois leur vie pour leur pays sur ordre du président.
Pas si facile de monter sur l’estrade et crier « Vive la République, vive la France ! » finalement…
Pierre Pelini
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