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La Turquie : un « cheval de Troie » dans l’OTAN ?

Dernière mise à jour : 10 déc. 2022

Autrefois considéré au XIXe siècle comme « l’homme malade de l’Europe » pour désigner l’Empire ottoman déclinant, la jeune république de Turquie, qui a succédé à l’empire, n’entend plus l’être. Longtemps décrit ces dernières années comme le membre « perturbateur » de l’OTAN, la Turquie s’est souvent retrouvée isolée au sein de l’Alliance pour ses prises de positions.



Point contextuel


Il y a soixante-dix ans, dans un contexte de guerre froide, la Turquie devenait membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Le pays était alors un pilier stratégique face au bloc de l’Est et continue encore aujourd’hui à être un acteur essentiel de l’Alliance. En effet, la Turquie constitue un pivot entre l’Orient et l’Occident, faisant d’elle un membre indispensable. Néanmoins, ces dernières années ont marquées la dégradation sans précédent de ses relations avec plusieurs alliés, au point que la place de la Turquie a été fortement discutée au sein de l’Alliance.

Dès lors, il sera question d’étudier l’évolution des relations entre l’Alliance et la Turquie à partir de 2016, date représentant un tournant politique, mais aussi d’analyser les causes de cette relation conflictuelle aux multiples enjeux.


Un revirement politique et stratégique


Le tournant politique de la Turquie a été constaté au lendemain de la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 à l’encontre du président turc Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier accuse sans détour certains membres, notamment les États-Unis, d’avoir soutenu les putschistes pour le renverser. Depuis, le président turc a profondément changé de paradigme dans ses relations avec l’Alliance.

Ce tournant politique s’est traduit par un remarquable revirement stratégique de la Turquie. En effet, le pays a commencé à se tourner vers la Russie, adversaire historique de l’Alliance. Les relations russo-turques sont d’ailleurs soigneusement entretenues entre les deux présidents respectifs. Pourtant, les relations entre les deux pays n’ont pas toujours été apaisées. En 2015, la Turquie avait abattu un avion de chasse russe survolant sa frontière avec la Syrie, provoquant une vive réaction des autorités russes qui avaient aussitôt décrété un embargo partiel sur certaines marchandises en provenance de Turquie.


Depuis ce grave incident, les relations entre la Russie de Vladimir Poutine et la Turquie de Recep Tayyip Erdogan n’ont cessé de s’améliorer, jusqu’à devenir relativement bonnes aujourd’hui, malgré la guerre en Ukraine. Le président turc est, à cet égard, l’un des seuls membres de l’Alliance à conserver un lien privilégié avec le président russe, au point que certains analystes voient en la Turquie un « cheval de Troie » au sein de l’Alliance.



L’axe Ankara Moscou : une relation sur la base de compromis


Les deux pays entretiennent une relation pragmatique sur la base de compromis, du principe « gagnant-gagnant ». Cela a été observé de façon récurrente durant la guerre en Syrie, en Libye et au Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Au cours de ces conflits, Ankara et Moscou se sont retrouvés systématiquement opposés dans les parties qu’ils s'efforcent de défendre. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont toujours parvenues à trouver des accords. Une relation qui repose essentiellement sur des situations dont ils estiment pouvoir tirer profit. Pour avoir cette confiance mutuelle dans la recherche constante du compromis, il a fallu nécessairement qu’un rapprochement soit opéré entre la Turquie et la Russie.


Autrefois considérée comme une menace, la Russie fait aujourd’hui figure de partenaire. Après la tentative de coup d'État raté en Turquie, cette dernière a entrepris un rapprochement inédit avec Moscou. Ce rapprochement s’est notamment traduit par l’achat du système de défense russe S-400 par la Turquie à la Russie en septembre 2017. Un système de défense qui, selon Washington, serait « incompatible » avec le système de défense de l’OTAN. Un achat qui, de ce fait, a mis en avant les divergences entre membres de l’Alliance.


Une Alliance fragmentée de l’intérieur


En 2019, le président français Emmanuel Macron déclarait à l'hebdomadaire The Economist que « l’OTAN est en état de mort cérébrale ». Une déclaration qui intervient dans un contexte de relation tendue entre Paris et Ankara, lorsque ce dernier est intervenu en Libye et a conclu un accord de délimitation maritime avec le gouvernement d’union nationale basé à Tripoli, entraînant la colère de la Grèce et de la France, pourtant tous membres de l’Alliance.


Il s’agit d’un accord s’inscrivant dans un litige maritime persistant entre la Grèce et la Turquie en Méditerranée orientale. Un litige qui est notamment source de conflit au sein de l’Alliance. Cette dernière prend soin de ne pas froisser les deux pays, se contentant d’appeler à des négociations, tandis que certains membres comme la France ont pris position en faveur de la Grèce contre la Turquie. Des prises de positions qui ont exacerbé les relations entre l’Alliance et Ankara. D’où la question qui revient souvent : peut-on sortir de l’OTAN ou en être expulsé ?


La question d’une sortie de l’OTAN : une option inenvisageable


Pour la Turquie, il n’est certainement pas question d’une sortie de l’OTAN. Premièrement, pour une raison assez simple. Les textes ne prévoient aucune procédure de sortie de l’Alliance, même volontaire. Deuxièmement, la Turquie n’a aucun intérêt à la quitter. En effet, les analystes le savent bien qu’une sortie de l’OTAN n’est pas dans l’intérêt de la Turquie. Le gouvernement turc comme l’opposition ne remet d’ailleurs pas en cause leur présence dans l’OTAN. Celle-ci assure à la Turquie des garanties sécuritaires leur permettant de bénéficier du soutien de l’Alliance en cas d’attaque contre le territoire d’un membre. Une sortie de l'OTAN est donc inenvisageable, aussi bien juridiquement que politiquement.


Par ailleurs, la Turquie reste fortement liée et attachée à l’Alliance. Elle contribue grandement aux dépenses militaires de l’Alliance, en consacrant près de 2% de son PIB pour la défense des États membres. De plus, l’Armée turque représente la deuxième armée de l’OTAN en termes d’effectif et de personnel mobilisable. Cette dernière est donc un membre indispensable pour l’Alliance et cela a été particulièrement visible depuis le déclenchement de la guerre par la Russie à l’Ukraine.


La guerre en Ukraine : un événement inespéré pour les relations entre la Turquie et l’Alliance


Dès le déclenchement par la Russie de son offensive contre le territoire ukrainien, le dirigeant turc a été sans ambiguïté, déclarant que : « L’attaque de la Russie est inacceptable. La Turquie continuera à soutenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». Celle-ci a permis à Ankara de réaffirmer son appartenance à l’Alliance, mais toujours à sa manière.


En effet, Ankara a adopté une ligne dite du « grand écart » entre la Russie et l’Ukraine. Tout en soutenant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la Turquie refuse de participer aux sanctions occidentales contre la Russie. Dans le même temps, la Turquie fournit à l’Ukraine les fameux drones Bayraktar qui ont été extrêmement précieux pour repousser l’offensive russe sur Kiev dans le début du conflit. Ankara est parvenu à tenir un rôle que « personne d’autre ne peut tenir » selon Didier Billion, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient. Dès le début du conflit, Ankara a proposé sa médiation. Cette option soulève néanmoins une question : Comment garder une position de médiateur entre la Russie et l’Ukraine, tout en étant membre de l’OTAN ?


Le succès de la médiation turque


Les tentatives de médiation ont été nombreuses. La France, Israël, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et la Turquie ont tous proposé leur médiation pour tenter d’amener la Russie et l’Ukraine à des pourparlers. Mais c’est sous l’impulsion de la Turquie que les deux protagonistes ont accepté de tenir des négociations. Ankara est parvenu à piloter l’échange des prisonniers de guerre entre Kiev et Moscou, mais aussi à trouver un accord sur les céréales, essentiel pour la sécurité alimentaire mondiale. Le 22 juillet 2022 à Istanbul, un accord a été trouvé en Turquie entre la Russie et l’Ukraine pour la création d’un corridor céréalier en Mer Noire. Un accord obtenu par le président turc Erdogan et le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Cet accord céréalier a permis d’évacuer et d’acheminer des millions de tonnes de céréales bloqués. Et même quand Moscou a décidé de suspendre sa participation suite aux attaques ukrainiennes contre ses navires, c’est Erdogan qui est parvenu à convaincre Vladimir Poutine de revenir dans l’accord. Un succès qui a été largement salué par la communauté internationale.


La guerre en Ukraine a ouvert un nouveau cycle positif quant aux relations entre l’Alliance et la Turquie qui entend bien conserver sa position dite du « grand écart » entre l’Ukraine et la Russie. Il est d’ailleurs très étonnant de voir que les deux pays, en particulier la Russie, soient d’accord sur le rôle de la Turquie en tant que « médiateur » dans le conflit. Cette dernière, membre de l’OTAN, s’était positionnée contre l’invasion russe en Ukraine. La Russie pouvait légitimement s’opposer à la médiation turque du fait de son appartenance à l’OTAN et du soutien majeur de l’Alliance en faveur de l’Ukraine. Il en résulte en définitive une véritable prouesse diplomatique réalisée par le président turc qui a su s’imposer en tant qu’intermédiaire privilégié du conflit, mais surtout à redorer son image au sein de l’OTAN, détériorée par des années de tensions.


SOLAK Semih




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