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Le choix du mode de scrutin, un oublié de la discussion démocratique ?

Aujourd’hui, un consensus se fait ressentir. La Ve République du général De Gaulle s’essouffle, ne parvient plus à convaincre. Le déclin de la participation, le regain de popularité des modes de gouvernance autoritaires, ou encore le recours plus fréquent à la violence, sont autant de preuves du malaise patent traversé par notre modèle politique. Alors, une question se pose à nos dirigeants : comment endiguer cette « crise démocratique » ?


Oraison funèbre de Périclès, Philipp Foltz, 1852.


Nul ne gagne à voir que le modèle démocratique bat de l’aile. Les remèdes proposés par nos politiques inondent les plateaux télé. Certains y vont à reculons et proposent un abaissement de la majorité électorale à 16 ans. D’autres font miroiter un recours régulier au référendum avec l’ambition de « reconnecter » les citoyens à la vie politique de leur État. Si les discussions sont nombreuses, force est de constater que ce qui en ressort ne s’attaque que rarement au fond du problème.


Ainsi, face à l’urgence de la situation et à la nécessité d’une discussion qui déterminera l’avenir de notre histoire politique, nos dirigeants se doivent de porter un diagnostic complet. Pourtant, nous avons été étonnés de constater l’absence, au sein des nombreux débats, d’une remise en cause de notre mode de scrutin. Condition inaliénable de la démocratie, il semblerait que toute critique à son encontre soit immédiatement rejetée. Pourtant la réflexion autour d’un mode de scrutin qui serait « davantage démocratique » existe ! Certains y voyant même une source d’espoir pour combattre le désintérêt de la question politique.


Ici, il s’agira de faire connaître au plus grand nombre les critiques qui lui sont adressées. Non pour dénaturer notre démocratie, mais pour la renforcer en enrichissant le débat, il convient de remettre en cause notre mode de désignation, source insoupçonnée de nombre de nos maux.


Un mode de scrutin imparfait


Pour comprendre la critique de notre mode de scrutin, il faut faire appel à l’histoire.


Nous sommes le 21 avril 2002, il est 20h. Les résultats du premier tour des présidentielles viennent de tomber et les Français se rendent compte d’un double fait inédit :  pour la première fois de son existence, la gauche ne réussit pas à se qualifier pour le second tour des élections présidentielles, et l’extrême droite se hisse au second tour. Son représentant, Jean-Marie Le Pen, affrontera en effet Jacques Chirac pour la présidence de la République.


Au second tour, le taux de participation augmente de 10 % et Chirac gagne avec une très large majorité. Au lendemain des élections, on s’interroge : comment Lionel Jospin, représentant de la gauche, qui était crédité favori dans les sondages, a t-il pu être éliminé dès le premier tour ? Parmi les nombreux responsables désignés, il en est un qui retient notre attention : le scrutin uninominal à deux tours.


En effet, les sympathisants de gauche auraient divisé leurs votes entre plusieurs personnalités, condamnant M. Jospin à ne pas dépasser les 17 % qui lui permettraient de passer au second tour. Or ce désaveu électoral nous interroge : est-il normal que l’ajout, ou la suppression de candidature alternative, puisse influencer le résultat d’une élection ?


Les stratégies électorales


Une seconde critique de notre mode de scrutin consisterait à dire qu’il ouvre la porte à toutes sortes de stratégies. En effet, quiconque suit l’actualité politique de près sait que la prise en compte du « vote utile » et du « vote par défaut » par nos politiques modifie en profondeur leurs comportements durant les campagnes présidentielles.


Lors de la présidentielle de 2022 par exemple, Emmanuel Macron est parvenu à incarner dès le premier tour une « alternative », un « barrage » face à l’extrême droite. Alors, pour de nombreux citoyens qui craignaient un second tour Jean-Luc Mélenchon / Marine Le Pen, le choix stratégique fût M. Macron. Ce qui prédestinait effectivement les candidatures socialiste et républicaine à la défaite.


Une fois encore nous sommes en droit de nous interroger. Les stratégies jouant sur les faiblesses de notre mode de scrutin ont-elles leur place en démocratie ? Une question plus actuelle encore : Quelle est la légitimité d’un président élu grâce au « vote utile » et par « défaut » ?


Penser un autre mode de scrutin débarrassé de ses anciens démons ?


Mis en avant par le collectif Mieux voter, le « jugement majoritaire » apparaît comme une alternative pertinente qui nous permettrait de renforcer notre démocratie en la débarrassant de toutes ingérences stratégiques.


Notre choix dans l’isoloir ne serait pas réduit à sélectionner un unique candidat, mais nous devrions renseigner un avis, sous forme de mentions (très bien, bien, assez bien, passable, insuffisant, à rejeter), cela pour l’ensemble des candidats. Ensuite, on agrège les résultats puis on les classe de sorte à obtenir un « profil de mérite » (16 % mention très bien ; 11 % mention bien…) Le vainqueur sera alors celui avec la meilleure « mention majoritaire » calculée à partir d’une médiane, tracée aux 50 % du profil de mérite. 




Cette méthode de sélection, facile à mettre en œuvre, diminuerait le recours aux stratégies, chaque candidat serait alors élu pour ses qualités plutôt que par « défaut » ou par « vote utile ». Dans le même temps, la scène politique serait plus accessible en ce sens qu’une candidature nouvelle ne remettrait pas en cause le résultat final.


Ce mode de scrutin ne serait cependant pas absolument satisfaisant. Certains lui reprochent son manque d’objectivité en raison d’une sous-représentation des opinions minoritaires condamnés à des mentions soit « très bien » soit « à rejeter » qui ne leurs permettraient pas de s‘imposer, ou du moins plus difficilement. D’autres encore le blâment de demander aux citoyens d’avoir un avis constructif et définitif sur l’ensemble des candidats, cela alors que nombre d’entre eux se désintéressent absolument de la politique.


S’il n’existe pas de processus de choix parfait, sa discussion semble nécessaire


Selon de nombreux experts, l'idée prédominante est que la perfection d'un mode de scrutin est une notion illusoire, une conviction partagée notamment par des économistes éminents tels que Kenneth Arrow et Mark Satterthwaite. Ainsi, si l’existence scientifique d’une méthode de désignation parfaite est jusqu’ici mise en doute, l’amélioration politique de notre mode de scrutin est quant à elle concevable. Pourtant, cette question, certainement essentielle au bien-être de notre démocratie, est absente du débat public.


Combien de temps attendrons nous encore pour nous en saisir ? Cela fait désormais trois ans que notre démocratie est taxée de « démocratie défaillante » par la célèbre revue The Economist. Or notre cher président Macron, interrogé trois longues heures en ce début d’année, n'a évoqué que très brièvement la question d’une « crise démocratique », trahissant une nouvelle fois pour le sujet, un manque d’intérêt évident.


Non seul coupable mais indéniablement responsable du déclin démocratique, notre État gagnerait à s’emparer vivement de cette question. Remettre en cause notre manière de voter, c’est combattre par l’intelligence ce qui fait actuellement défaut dans nos démocraties afin, in fine, de la renforcer.


Volodia Goutmann

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