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Le détournement du personnage de Lolita : la victime devenue “séductrice”

Le personnage de Lolita, tiré de l'œuvre de Nabokov, s’est vu détourné par l’imagerie de la pop culture. La fillette de 12 ans, victime de pédophilie et d’inceste, est devenue une jeune fille tentatrice, jouant de “ses charmes” pour séduire les hommes. 



© Affiche du film Lolita (1997) par Adrian Lyne


Lolita naît de la plume de Vladimir Nabokov. Publié avec difficulté en 1955, en raison de son caractère controversé, le texte nous plonge dans le récit introspectif d’Humbert Humbert, un homme mûr de 36-37 ans. Celui-ci est animé par des pulsions pédophiles qu’il assouvit en abusant de celle qu’il surnomme “Lolita”. Alors âgée de 12 ans, Dolores Haze n'est qu’une fillette. Tout au long de l'œuvre, ces pulsions sont mises en avant : “pourquoi donc sa façon de marcher - ce n’est qu’une enfant, notez bien, une simple enfant ! - m’excite-t-elle si abominablement ?”.

De cette obsession sordide émane un mythe de la “Lolita”. Ce surnom utilisé par le narrateur est accolé à celui de “nymphette”. Il s’agit d’un néologisme de Nabokov, qui désigne de manière “affective” Dolores. Par la suite, il est repris dans le langage courant pour désigner, selon le dictionnaire, “une très jeune fille à l'air faussement candide, qui, par ses manières, aguiche les hommes”


© Lolita, édition Folio 2005 


Une représentation hypersexualisée


Un glissement est opéré de la Lolita victime à la Lolita “tentatrice”, causé en grande partie par le cinéma. La première adaptation de l'œuvre, en 1962, par Stanley Kubrick, offre au spectateur une vision romancée de l'œuvre de Nabokov. Le réalisateur prend des libertés en montrant des scènes érotiques, totalement absentes dans le livre. Il choisit aussi une actrice plus âgée pour jouer le rôle de Lolita. De nombreuses adaptations suivent celles de Kubrick. Le réalisateur Adrian Lyne propose la sienne en 1997 : jugée par les spectateurs comme plus fidèle au texte, ses affiches de promotion témoignent à nouveau  de l'hypersexualisation de Lolita. Elle est mise en scène allongée sur la pelouse, vêtue d’une robe blanche mouillée, et donc transparente, bien loin du simple bikini noir qu’elle portait dans le livre. 

Son statut d’enfant arraché, Lolita est transformée en objet de convoitise. Toutes les représentations de Lolita évoluent selon les codes du cinéma. Dans le milieu de l’édition, Lolita est constamment présentée dans des positions équivoques, quitte à montrer une image faussée du personnage. Pour la couverture de l’édition Folio 2005, Lolita passe de brune à blonde au rouge à lèvres rouge. A défaut d’être fidèle au texte, cette apparence répond aux diktats de beauté de la période.


“Lolita n’est pas une petite fille perverse” 


Ce détournement s’éloigne de la volonté de Nabokov. Il se plaint lors d’une interview, donnée à Bernard Pivot sur le plateau d’Apostrophes en 1975, de la mauvaise interprétation que le grand public fait de Lolita. Il commence l’interview en corrigeant le journaliste: “Lolita n’est pas une petite fille perverse, c’est une pauvre enfant.” Pour l’auteur, le problème réside dans la modification totale que subit son personnage. Son âge et son aspect physique ont été remodelés par le cinéma, peignant le portrait d’une Lolita plus âgée et plus “perverse”. 

L’auteur en profite pour rappeler que “Lolita, la nymphette, n’existe qu’à travers la hantise qui détruit Humbert”. En sexualisant à l’extrême le personnage de la jeune fille, le grand public adopte le regard du pédophile. Ce transfert est dénoncé par de nombreuses associations féministes et anti-violences sexuelles qui critiquent : l’apologie faite à la pédophilie et à l’inceste à travers le personnage de Lolita. 


Andreia Domingues


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