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Le journalisme vu par : Jean-Marie Cavada

Fort d’une carrière de plus de 40 ans dans le journalisme, dont une grande partie à des postes de décision, Jean-Marie Cavada est l’une des figures du journalisme Français. Né en 1940, placé jeune à l’Assistance Publique, il débute sa carrière de journaliste à 20 ans au sein de la RTF. Il alternera tout au long de sa carrière entre la radio et la télé, oscillant entre présentateur, rédacteur en chef, directeur de l’information ou encore président de Radio France. C’est sous sa présidence que sera notamment créé le réseau régional France Bleu.


En 2004, il se retire de la vie médiatique et entame une carrière politique enchaînant différents mouvements centristes. Il est élu député européen en 2004, puis réélu à deux reprises en 2009 et 2014. Toutefois, ce n’est pas l’homme politique que nous sommes venus rencontrer, mais bien le journaliste.


Il nous a reçu au début de l’été à la brasserie du Grand Corona, place de l’Alma. Habitué des lieux, une table ronde lui est réservée, avec une plaque à son nom. Loin de l’idée que l’on peut se faire de cette situation, il ne s’agit pas d’un un coin sombre et isolé : elle trône en plein milieu de la salle, et n’importe lequel des clients à proximité peut entendre ce qui s’y dit.


Bonjour Monsieur Cavada, merci de me recevoir. Une question assez large pour commencer, qu’est-ce qui, selon vous, fait un bon journaliste ?


Je dirais qu’un journaliste est avant tout quelqu’un qui a fait l’effort d’avoir une culture. Nous vivons en effet dans un monde complexe, et de plus en plus complexe. En parler en superficie ne peut donc pas suffire. Qui plus est, nous vivons actuellement dans ce que l’on pourrait qualifier d’un « monde de bruit ». Pendant longtemps, les journalistes ont eu le monopole de l’information, de son émission. De nos jours, ils ont perdu ce monopole : nous avons potentiellement 66 millions d’émetteurs. Dans ces circonstances particulières, un journaliste se doit, plus que jamais, de douter. Ce qui fait un bon journaliste, c’est quelqu’un qui cherche à se cultiver et que le doute gouverne.


Dans ce cadre, que pensez-vous de l’évolution du métier ?


L’émergence de nouveaux systèmes de distributions de l’information, qui se veulent informatifs, mais ne sont qu’en réalité des vecteurs d’opinions, d’impressions, voire de propagande, pourraient être qualifiés de nuisances. Par exemple, le premier réflexe aujourd’hui lorsque l’on souhaite se renseigner sur quelqu’un est d’aller sur Wikipedia. Or les pages biographiques de ce site sont remplies d’erreurs, volontaires ou non. C’est là le grand problème de notre civilisation numérique, le manque de substrat culturel.


Prenons un exemple plus concret. Concernant la notion de génocide, il est couramment fait mention du fait qu’elle aurait émergé au procès de Nuremberg. Pourtant, elle apparait dès 1943 dans les travaux de Raphael Lemkin, un juriste polonais ayant émigré aux États-Unis. Lors du procès de Nuremberg, Lemkin va essayer de faire adopter la notion de génocide, qui sera finalement écartée au profit de celle de crimes contre l’Humanité mise en avant par Hersch Lauterpacht, juriste anglais né en Ukraine. Il faudra attendre la fin de l’année 1946, puis 1948, pour que la notion de génocide telle que définie par Lemkin soit officiellement adoptée par l’ONU.


Ne pensez-vous pas que l’émergence de ces nouveaux réseaux de distribution d’information soit, au contraire, une chance pour la démocratie ?


Nous sommes aujourd’hui dans une situation transitoire dangereuse, dans laquelle la vitesse prime sur la nouvelle, ce qui est, à mon sens, un danger absolu. Les plateformes, qui s’érigent en distributeurs de nouvelles, devraient ainsi acquérir le statut de média, et les responsabilités légales et juridiques qui l’accompagnent. L’erreur de la presse dans ces circonstances a été de développer le numérique sous forme gratuite : la vraie information a un coût, le coût de lutter contre la facilité.


Certaines critiques envers la presse sont justifiées, et il y aura toujours des brebis galeuses. Mais le cœur du problème réside dans ce changement de modèle et la transition inachevée de la presse traditionnelle vers le numérique. C’est là que doivent intervenir les régulateurs, pour créer une protection.


L’une des critiques qui revient le plus fréquemment à l’encontre des médias est la concentration de ces derniers au sein de quelques grands groupes, et la crainte de censure qui va avec.


L’excès de concentration dans les mains d’un groupe peut poser des problèmes pour la pluralité démocratique. Mais l’enjeu principal en cette matière réside dans l’auto-censure, qui fait plus de dégâts que la censure effective, restant très peu présente. La multiplication des sources vient toutefois nuancer ces effets, car il est de plus en plus difficile de s’auto-censurer sans que cela se remarque. Il est en effet difficile de ne pas traiter d’un sujet, quand ce dernier sera traité par de nombreuses autres sources, d’autant plus que la comparaison est plus simple que jamais.


Pensez-vous que la régulation soit réellement possible ? Doit-elle passer par le législateur, et par des lois anti- « fake-news » ?


Les lois anti-fake-news sont avant tout circonstancielles, il faut faire la différence entre fausses informations et la cause de ces dernières. La propagande par la propagation de fausses informations a toujours existé, la différence notoire étant qu’aujourd’hui les réseaux qui les diffusent ne sont pas soumis aux même impératifs que les médias traditionnels. Il faut donc pouvoir les bloquer, par sécurité.


N’est-il pas trop complexe de réguler les réseaux sociaux, du fait de leur nature internationale ?


Il le faut et on le peut. De la même façon que l’on réduit certaines libertés au nom de la sécurité. Les réseaux doivent payer le « juste prix » de l’information, que cela passe par les droits d’auteurs ou les droits voisins. Cela doit également s’accompagner d’obligations de sécurité et de responsabilité dans la diffusion des informations. Cela pourrait se faire, notamment, par une obligation pour les plateformes d’engager de vrais journalistes afin, si ce n’est de le créer, d’au moins filtrer le contenu qu’elles diffusent.


L’une des premières mesures à prendre serait également de forcer les plateformes à payer les impôts sur leurs bénéfices réalisés dans chaque pays. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle le montant en question serait difficile à évaluer, il est totalement possible de le quantifier précisément. Ce montant pourrait ainsi être alloué à la régulation.


Pour conclure, auriez-vous un conseil pour les jeunes se destinant au métier de journaliste ?


Le journalisme est l’un des plus beaux métiers du monde. Il fait partie des rares métiers dans l’exercice desquels on est payé pour satisfaire un grand défaut : la curiosité. Toutefois, il faut garder à l’esprit que le journaliste n’est pas uniquement payé pour être curieux à des fins personnelles, mais également pour le savoir collectif. Le conseil que je donnerais, et qui est le plus important à mes yeux, est de ne pas se considérer comme suffisamment cultivé : vous ne le serez jamais assez.


Louis Dubouis

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