A l’occasion de la troisième édition du Paris Podcast Festival, qui vient d’avoir lieu (du 14 au 17 octobre à la Gaîté Lyrique), l’œil d’Assas a décidé de s’interroger sur la place qu’est en train de prendre le podcast dans le paysage médiatique français.
Un média qui donne davantage la parole à ceux qui ne l’ont pas.
Alors que ces dernières années, de nombreuses critiques fleurissent sur l’absence de minorités dans les médias, les auteurs de podcasts s’attellent à faire bouger le système de représentation médiatique. Des initiatives comme le podcast « Popol » créé par Léa Chamboncel, donnent la parole exclusivement aux femmes politiques. Tandis qu’Arte Radio de son côté, décide de faire confiance à Oxmo Puccino pour la création d’un podcast nommé « Les histoires de quartier ». On y suit pendant dix épisodes les anecdotes d’habitants de quartiers populaires, qui ont carte blanche et peuvent raconter une histoire qui leur tient à cœur.
Cette « nouvelle tribune » se remarque aussi dans la place que peut prendre la société civile dans le débat politique. Ainsi, Violette Voldoire, créatrice du podcast « Radio Parleur », a par exemple décidé avec son équipe d’organiser un « Tour de France » en vue de la présidentielle de 2022. Le but : tendre le micro aux citoyens « lambdas » qui veulent de plus en plus se faire entendre ces dernières années. En faisant cela, il y a une réelle volonté que l’on entende le peuple exprimer son ressenti, et surtout qu’il se sente parfaitement légitime de le faire. Forcément, ce genre d’initiative tend à favoriser l’intégration des citoyens dans la politique et peut sans doute avoir un impact réducteur sur l’abstention, qui ne cesse de grimper en France.
Des sujets plus larges que dans les médias traditionnels.
En voyant grandir l’offre de podcasts disponibles sur le marché, on voit aussi augmenter la diversité des sujets traités. Une chance pour permettre aux gens de trouver chaussure à leur pied. Dimanche 17 octobre, jour de clôture du Paris Podcast Festival, on pouvait assister à la fois à la présentation du nouveau podcast historique de Philippe Collin sur la vie et la mort de Molière : « Molière, le chien et le loup ». Mais on pouvait aussi se rendre à l’enregistrement du podcast « Salut ça va ? » crée par l’influenceuse Jenesuispasjolie et la psychologue Mathilde Besset. Une tribune où l’on parle de santé mentale et où l’on entend les témoignages de personnes racontant leurs problèmes, et les conseils donnés par la psychologue pour les atténuer. Enfin, dans un autre registre, il était possible d’écouter Grégory Philipps, auteur du podcast « 11 Septembre : l’enquête ». Le correspondant de Radio France aux États-Unis racontait son processus de travail pour la création du podcast avec des anecdotes plus croustillantes les unes que les autres.
Le format de ce média a tendance à aider à cette « diversification des sujets ». En effet, la facilité technique à s’enregistrer et poster son podcast aujourd’hui, engendre forcément la venue de plus en plus de personnes sur le marché. Par conséquent, on voit arriver de plus en plus de nouvelles idées et des sujets divers. Un pluralisme de thèmes et d’idées que l’on a du mal a retrouver dans les médias traditionnels aujourd’hui.
L’intérêt croissant d’institutions privées.
D’abord conçu comme un média indépendant et intimiste, le podcast est très vite suivi par les grands médias car on sent une potentielle « mine d’or » derrière ce format. En France, Radio France rentre dans la cour du podcast en 2010 avec la rediffusion de ses émissions de radio (podcasts replay), puis crée petit à petit du contenu (podcasts natifs), suivi par les grandes radios françaises : RTL, Europe 1... Aujourd’hui, d’après les données collectées par Radio France, chaque mois, les podcasts de la plateforme sont téléchargés plus de 80 millions de fois.
Très vite, les entreprises de streaming audio vont elles aussi sentir le potentiel du format et s’immiscer dans l’hébergement de ces contenus. C’est le cas d’Apple, qui lance dès 2005 l’application Podcasts sur ordinateur puis sur téléphone en 2012. Spotify rejoint la danse en 2019 avec l’acquisition de la société américaine spécialisée dans le podcast Gimlet Media. Aujourd’hui, le géant du streaming audio suédois représente plus de 10 % des écoutes mondiales de podcast d’après une étude de Février 2019, menée par l’entreprise Libsyn, une entreprise d’hébergement de podcasts.
Un besoin de professionnalisation du milieu.
L’arrivée sur le marché des grands médias traditionnels et de grands industriels ne doit pas être seulement vue comme une entrave à l’indépendance du format. On se rend bien compte en écoutant les différents podcasteurs indépendants, que pour que le média passe un cap et amène de plus en plus d’auditeurs, il faut que le milieu se professionnalise. Cette professionnalisation passe par des moyens financiers, souvent amenés par des entreprises privées qui approchent les petits podcasteurs à succès. Néanmoins, cette posture est compliquée pour certains auteurs de contenus. Léa Chamboncel par exemple, a déclaré qu’elle a « refusé plusieurs fois cette aide » car elle venait d’entreprises avec qui elle n’était pas d’accord de collaborer pour « des raisons éthiques ».
Dans les prochaines années, le podcast devra faire face à de nombreux enjeux économiques et idéologiques. Le « podcast » doit rester ce qu’il représente aujourd’hui. C’est à dire un vent de fraîcheur dans ce milieu médiatique très souvent considéré comme ultra-conventionnel et conservateur.
Le succès croissant du format ne doit pas provoquer un effet « podcast = victime de son succès ». Le risque est que les petits créateurs soient de plus en plus tentés par des institutions privées qui elles, vont vouloir avoir le contrôle du contenu proposé. A titre d’exemple, il suffit de voir la « razzia » de Vincent Bolloré sur des médias comme Canal + et Europe 1. Cet exemple d’actualité est une façon de mettre en garde les podcasteurs indépendants à succès pour qu’ils ne se fassent pas happer par cette machine infernale.
Thomas Dagnas
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