Alison Bechdel - The Beat
« Aux hommes la création, aux femmes la procréation » c’est de cette manière que le monde s’est longtemps structuré.
Le domaine de l’art n’échappe pas à cette misogynie. De Voltaire à Oscar Wilde, de grands noms de la littérature ont laissé des écrits sexistes indélébiles. Mais la palme d’or en matière de sexisme pourrait être décernée au septième art. C’est du moins ce que laisse à penser la sous-représentation des personnages féminins dans les films.
Ce constat édifiant n’a pas laissé indifférente la dessinatrice féministe Bechdel. Elle a en effe développé en 1985 dans la BD Lesbiennes à suivre, une méthode qui porte son nom. Cette dernière permet de mettre en lumière le déséquilibre hommes-femmes sur nos écrans.
Le test Bechdel en 3 mots
L’outil est simple et repose sur trois conditions. Pour qu’un film réussisse le test de Bechdel, il doit mettre en scène : Au moins deux femmes nommées par leur nom ou prénom (1), qui parlent ensemble (2), d’un sujet qui n’a aucun rapport avec un homme (3).
Sont donc exclues les discussions entre un premier rôle féminin et une fleuriste (non nommée) par exemple. Il existe cependant de nombreuses interprétations du test, certains considérant qu’il suffit d’une phrase entre deux femmes nommées alors que d’autres argumentent en faveur d’un plus long discours.
Le but ? Rendre non seulement compte du peu de femmes présentes au cinéma mais aussi du caractère limité de leur fonction : elles ne sont souvent là que pour mettre en avant les rôles masculins.
Et qu’est-ce que ça dit ?
Face à ce test, le résultat est sans appel : environ 57 % des films seulement passent le test (en réunissant les trois critères). Parmi eux, de nombreux films culte tels que les Star Wars, des Marvel ou des Disney. Coté cinéma français, ce n’est pas tellement mieux : les célèbres Bienvenue chez les Chtis et Intouchables par exemple échouent également. Si ces données peuvent nous faire déchanter, il est important de garder en tête que ce n’est pas la qualité des films qui est ici remise en cause mais bien les stéréotypes de genre qu’ils perpétuent.
Comment expliquer ces disparités ? Une étude réalisée par la New York Films Academy
montre que lorsqu’il y a des femmes parmi les scénaristes, le nombre de films qui passent le test est plus important ; il serait de 100 % lorsque la totalité des scénaristes sont des femmes.
Un indicateur implacable ?
S’il a été développé dans les années 80, c’est aujourd’hui que le test est sur le devant de la scène. Les réseaux sociaux y sont pour quelque chose. De plus en plus d’utilisateurs de Twitter, Instagram et TikTok en parlent en réalisant des vidéos sur le sujet. C’est d’ailleurs le troisième résultat qu’on obtient sur google quand on tape « le test de… ». S’il ne fait aucun doute de l’importance d’une telle démocratisation, certains contenus se dressent en véritables réquisitoires contre le sexisme.
Or il est important de garder à l’œil certaines limites du test : tous les films qui échouent au test ne sont pas sexistes et tous les films qui le passent ne sont pas féministes. Prenons un exemple. Le film d’horreur « Revenge » de la réalisatrice féministe Coralie Fargeat porte les questions de genre sur le devant de la scène. L’héroïne est une femme qui traque ses agresseurs. Le renversement des rôles - la femme qui chasse – fait de ce film un outil éminemment politique et ouvertement féministe. Cependant il ne respecte aucune des conditions du test de Bechdel : l’héroïne est le seul personnage féminin.
Est-ce pour autant qu’il faut remettre en cause sa portée féministe ? Bien sûr que non. Loin de là l’intention d’Alison Bechdel qui n’a jamais affirmé que ce test devait être pris comme le seul indicateur du sexisme d’un film. S’attacher à l’impact des rôles féminin, à la façon de les représenter à l’écran et à leur diversité est tout aussi primordial.
Une chose est sûre, après cette découverte, la tentation de passer en revue tous nos films préférés est grande. Il nous permet alors d’adopter un autre regard sur le cinéma : hors de question d’être des spectateurs passifs, c’est en tant que véritables enquêteurs qu’on analyse les films.
Des perspectives d’évolution ?
Si le test de Bechdel nous permet (un peu) de nous consoler en mettant en lumière l’évolution de la présence des rôles féminins au fil du temps, de gros progrès restent à faire. On pourrait par exemple s’inspirer des outils mis en place dans certaines universités : une auto évaluation est proposée aux enseignants pour juger de leur cours sous le prisme du genre. C’est par exemple ce qu’a développé l’université de Fribourg en Suisse afin non seulement d’inciter les enseignants à prendre en compte ces questions mais également de leur proposer des ressources pour développer leurs compétences en matière de genre.
Cet outil de rétrospection et d’information entièrement gratuit, pourrait inspirer les productions cinématographiques à donner aux femmes la place qu’elles méritent.
Myriam Boukhalfa
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