Quand on parle de Haute couture, on pourrait penser au monde de la mode, à son luxe et parfois aussi à ses dérives. Pourtant, il semble aussi nécessaire de s’interroger sur la création artistique de l’univers de la couture, à ses détails sans fin, aux vêtements surprenants, à un travail de conception minutieux, mais également à l’imaginaire des grands créateurs. Les pièces conçues, portant elles-même un sens, peuvent interpeller, mais aussi jouer sur la sensibilité. Elles invitent à s’interroger sur le rapport de la Haute couture à la notion de l’art.
La « Haute couture », un simple label ?
Le titre « Haute couture » est en réalité juridiquement contrôlé depuis le 23 janvier 1945. Seules certaines maisons de couture peuvent s’en prévaloir et des conditions spécifiques doivent être remplies pour pouvoir bénéficier de cette dénomination, synonyme de savoir-faire d’excellence. Les collections de Haute couture sont présentées deux fois par an, en janvier et en juillet lors de « la semaine de la mode » ou « Fashion week ». Charles Frederick Worth est considéré comme le père de la Haute couture, il ouvre sa boutique à Paris en 1858. En 1868, est fondée une association des maisons de couture qui vise à protéger les créations de ces couturiers. De nos jours, il y a une distinction entre les maisons qui sont des membres permanents, celles qui sont des membres correspondants et enfin les membres invités, cette dernière catégorie ayant pour but de mettre en avant et de lancer de nouveaux noms de la mode. Cette appellation « Haute couture » ressemble donc à une sorte de label, mais pourtant elle enveloppe tout un univers particulier qui soulève la question des influences artistiques s’y rencontrant, mais aussi le fait de le considérer comme un domaine de l’art à part entière.
Une inspiration des couturiers dans les différents domaines artistiques
Les différents arts peuvent se mêler, s’entrecroiser et entretenir des liens étroits. Les arts visuels comme la peinture et le dessin restent une source majeure d’inspiration pour les grands couturiers. Yves Saint Laurent, par exemple, en 1965, dans sa collection automne hiver, a présenté une série de robes en hommage à Piet Mondrian qui deviendront des pièces emblématiques de la maison. Les vêtements confectionnés, puis portés vont pouvoir donner une certaine forme de vie à ces tableaux et permettent de les percevoir dans une autre dimension. Yves Saint Laurent a aussi rendu hommage, dans différentes collections, à Matisse, Van Gogh ou encore Picasso. Dans le musée dédié à Yves Saint-Laurent à Paris, avenue Marceau dans le 16ème arrondissement, l’atelier du couturier, que nous pouvons visiter, abonde de nombreux livres d’art.
Christian Dior, avant de créer sa maison de couture était galeriste et côtoyait des peintres, des poètes et écrivains notamment du mouvement surréaliste. L’art contemporain gardera un rôle prépondérant dans les créations de Dior. Dans sa toute première collection, il va notamment présenter des robes nommées Matisse et Braque. Dans l’exposition qui vient de se clôturer au Musée des Arts Décoratifs à Paris dédiée à Elsa Schiaparelli et à son «Monde surréaliste », on pouvait y voir la retranscription d’une puissante collaboration de la couturière italienne avec le peintre et sculpteur Salvador Dalì. Ce dernier a notamment travaillé avec Schiaparelli en 1937 pour créer « Le chapeau-chaussure », un chapeau reprenant la forme d’un escarpin à talon haut. La rencontre de ces deux artistes a permis la réalisation de quelques œuvres emblématiques de la maison.
Yves Saint Laurent, dans sa fascination pour le théâtre, a aussi imaginé des costumes pour la scène, il conçoit, en 1959, les costumes de la pièce de théâtre de Cyrano de Bergerac pour le chorégraphe Roland Petit. Les défilés de Haute couture de chaque saison sont eux-mêmes de véritables spectacles.
Du croquis au défilé
Chaque défilé de Haute couture est comme un billet d’entrée vers un monde à part, tant unique que pluriel. On retrouve, en effet, l’esprit du couturier dans les œuvres présentées. Les saisons peuvent passer, les tendances changer, mais chaque maison garde ses traits bien à elle. Une musique accompagne souvent la présentation, plongeant dans une atmosphère imaginée pour la saison et la collection, mais qui est parfois l’œuvre de véritables metteurs en scène. Les décors ou bien même quelquefois des effets spéciaux racontent par eux-mêmes une histoire ou bien en sont les supports. Dans la collection printemps été 2019, la maison Dior s’inspirait de l’univers du cirque pour son défilé, qui s’est donc déroulé sous un chapiteau éphémère. Les yeux sont rivés vers ces pièces scrutant un travail d’une centaine d’heures. Différentes étapes se succèdent, du croquis au travail minutieux « des petites mains » dans les ateliers, qui vont donner vie à la pensée par leur savoir-faire. Ces moments du défilé semblent suspendus, pourtant long d’une vingtaine de minutes, mais fruit d’une imagination qui semble infinie.
De la mode à l’intemporel par l’art
L’idée éphémère de la mode semble quant à elle devenir paradoxale dans les créations de Haute couture. Certes chaque saison il faut innover, transformer et suivre la cadence. Cependant, ce sont des héritages de plusieurs siècles qui sont encore aujourd’hui à l’œuvre dans le processus artistique de création de ces pièces. À côté de méthodes nouvelles, on retrouve la broderie ou la plumasserie, mais aussi des traditions anciennes et puis les inspirations d’un monde passé. Les œuvres de Haute couture du défilé seront conservées dans des archives, quelques-unes se retrouveront lors d’évènements de mode, dans des musées ou lors d’expositions temporaires. Néanmoins, elles pourront parfois être recréées sur mesure pour une certaine clientèle de la maison. La galerie Dior à Paris, le musée Yves Saint Laurent, le palais Galliera ou encore les expositions temporaires du Musée des Arts Décoratifs laissent aux visiteurs la possibilité de s’approcher de ces créations artistiques qui l’étaient hier, mais le restent aussi aujourd’hui.
Les maisons de couture ne peuvent pourtant rester totalement insouciantes du monde et de ces préoccupations actuelles. La créatrice Iris van Herpen déclarait « il faut faire rêver les gens, mais aussi faire en sorte que la mode ait une substance ». Cet univers à l’impact important est parfois aussi l’objet de controverses et polémiques.
Cependant, l’art dans la Haute couture amène à une autre question et la conception essentielle de l’œuvre d’art en elle-même, ne devrait pas s’oublier dans tout l’espace qui l’entoure.
Une pièce de Haute couture laisse rarement indifférent, on l’aime, on la déteste, elle choque, elle émerveille, mais les œuvres d’art ne sont-elles pas destinées à toucher les sens et à faire naître des émotions en celui qui les contemple?
Eugénia Dimitrova
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