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Les talibans : le retour aux affaires

Il y a deux mois et demi, les talibans reprenaient le pouvoir en Afghanistan après 20 ans de lutte. Depuis, le pays est en détresse totale. Il connait une triple crise : humanitaire, économique, sociale.

Des membres talibans lors de la prise de pouvoir du pays - Palais présidentiel, le 16 aout 2021 (Al Jazeera)

Kaboul, le 15 aout 2021. Des hommes armés, arborant des drapeaux. Des militaires anglais, inertes, éteints. Des hommes en costume s’accrochant aux ailes des avions. Des images dignes d’un mauvais film. Et puis tout s’accélère. Les ambassades annoncent tour à tour leur retrait, laissant derrière elles des milliers de personnes en danger de mort. La France enclenche des opérations d’évacuation d’urgence jusqu’au 27 aout, déclarant ensuite ne plus être « en mesure d’opérer depuis Kaboul » . Les États-Unis laissent derrière eux l’équipe 1 éducative entière d’une des ses universités. La culture est reconduite à sa place secondaire. Un retour au chacun pour soi, aux antipodes des promesses américaines des années 90, prônant un monde nouveau placé sous le signe de valeurs universelles et d’avancées sociétales. Aujourd’hui, le pays est sans dessus dessous. Plus qu’une crise économique, l’Afghanistan connait une crise humanitaire, où la femme est ramenée à un rôle quasi-inexistant.


Des femmes marginalisées


Le 8 septembre, les talibans annoncent que les femmes n’ont plus le droit de faire du sport. Le code vestimentaire des disciplines sportives exposerait trop le corps des femmes.

Ensuite, elles ont l’obligation de porter le niqab, ce voile intégral couvrant le visage à l’exception des yeux, pour aller à l’université. Elles sont exclues du gouvernement.

Il n’a pas fallu longtemps aux talibans pour bafouer leurs promesses au niveau des droits des femmes. Pendant les négociations avec d’Ashraf Ghani, Président du pays, comme durant ces vingt dernières années, les talibans tentent de redorer leur image. Contrôlant la plupart des régions rurales, ils ont laissé les jeunes filles aller à l’école coranique, au moins jusqu’au niveau primaire, pour rassurer la communauté internationale. Ils affirment que l’éducation profite au futur du pays. La réalité est que le régime taliban laisse peu de chances aux filles d’aller à l’université. Aujourd’hui, près de 80 % des afghanes sont analphabètes.


La virginité ou la mort


Dans l’idéologie talibane, mais aussi dans la plupart traditions rurales afghanes, les femmes sont des moyens d’échange entre les familles. Elles permettent au père de famille d’accroitre sa propriété terrienne. Aussi, les hommes ont le droit de vie ou de mort sur les femmes. Une menace permanente pèse sur elle : la virginité ou la mort.


Les femmes sont instrumentalisées. Elles sont une monnaie d’échange et deviennent, après le mariage, une force de travail. Les talibans sont prêts à faire certains compromis pour ce qui concerne les relations internationales mais ne veulent pas transgresser leurs règles en terme de questions sociales. Quasi absentes dans la gestion des affaires publiques ces dernières années, elles sont souvent intimidées, harcelées et discriminées. Lors des négociations de Doha en 2020 entre les États-Unis, les talibans et le gouvernement afghan, les femmes ont été complètement exclues. Cette exclusion a été justifiée par le fait qu’elle ne représentaient pas les femmes du paysan elles avaient une formation universitaire occidentale.


Une lecture culturelle erronée


L’échec occidental en Afghanistan, et plus particulièrement celui des forces américaines, est dû à une lecture culturelle erronée de la société afghane.

700 millions de dollars ont été consacrés à apprendre les théories du genre aux femmes afghanes. L’émancipation des femmes afghanes ne peut pas se régler par l’inculcation d’une culture occidentale, étrangère à la leur.

Pour permettre cette émancipation, il faudrait bouleverser des centaines d’années de tradition et utiliser ce qu’il y a de plus radical : une révolution. Pour le moment, beaucoup de femmes continuent de se battre : manifestations (la dernière en date étant celle du 26 octobre à Kaboul), écoles clandestines pour filles…


Dans les années 2000, les États-Unis avaient promis aux afghans une aide, prenant comme modèle le plan Marshall. C’est ce même plan qui avait aidé les pays européens à se relever après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il faudrait trois plans Marshall pour sauver le pays. La société afghane est différente des sociétés française et allemande. Les pays bénéficiaires du plan Marshall étaient autonomes administrativement. En Afghanistan, il ne suffit pas d’aider financièrement le pays, il faut aussi reconstruire l’administration locale, brisée par plus de 20 ans de guerre.


La famine s’installe. Les hôpitaux se remplissent, prêts à exploser.


Après une sécheresse historique, l’Afghanistan, n’ayant plus accès à ses fonds monétaires bloqués par les États-Unis et par l’Europe, connait une crise économique sans précédent. Les blocus diplomatique et économique empêchent les organisations internationales aidantes à distribuer les denrées. Plus de trois millions d'enfants afghans souffrent aujourd'hui de malnutrition aiguë, selon le Programme alimentaire mondiale.


Le coronavirus n’a pas arrangé la situation du pays. Les inégalités préexistantes entre les zones rurales et urbaines se sont accentuées. Dans la plupart des zones reculées, le dépistage est quasiment absent. Les aides internationales envoyées au pays sont soupçonnées d’être détournées. A la fin de l’année 2020, le taux de pauvreté était de 55 % et celui-ci ne risque pas de diminuer avec la crise économique que connait le pays.


Une communauté internationale pleine de promesses, une action limitée


Malgré des efforts de compromis édictés par les talibans pour briser leur isolement diplomatique, la communauté internationale reste réticente à leur accorder une véritable place. Pendant que les gouvernements pakistanais et turc veulent placer le gouvernement des talibans dans l’ordre international, les Chinois militent pour convaincre la communauté et les partenaires internationaux d’aider les populations. L’Union Européenne a promis une aide d’urgence d’un milliard d’euros. Une promesse, peu d’actions.


Amnesty International, dans son rapport 2020-2021 sur l’Afghanistan, dénonce la doctrine de la France, gelant en 2020 la délivrance des visas au titre de la réunification familiale. De plus, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides manquait « d’effectifs face au nombre important de dossiers à traiter » selon ce même rapport. Beaucoup de demandes n’ont ainsi pas été traitées.

Les procédures de demandes de visa sont encore très compliquées. Les documents doivent être fournis par voie postale et l’administration est en sous effectif. Pour répondre aux demandes, il faudrait revoir tout le fonctionnement de l’administration. Cette dernière s’est engagée à simplifier les procédures devant le Conseil d’État le 8 septembre dernier. Reste à voir ce que valent ces promesses.


La sécurité avant la liberté


Comment les talibans ont pu franchir, à nouveau, les portes de Kaboul ?


Comme dans tout conflit, le tableau n’est ni noir, ni blanc. Les talibans ne sont pas vus par toute la population comme des personnes à écarter. L’action inefficace des États-Unis et la corruption inhérente au gouvernement afghan à favoriser l’arrivée des talibans au pouvoir.

Avant la prise de tout le pays, les talibans contrôlaient déjà une bonne partie des zones rurales. Souvent, celles-ci ont été privées des aides internationales, corrompues et détournées par les élites. La population est restée marquée par la barbarie des armées afghane et américaine. Les talibans, eux, sont souvent des personnes ayant grandies dans le même village que les populations. Les talibans ont l’avantage d’être à proximité des populations, en leur offrant des solutions plus adaptées. Les talibans rassurent sur le plan sécuritaire. Ce sentiment émane des hommes, les femmes étant une nouvelle fois mises sur la touche.


Une proximité rassurant les populations


Les talibans sont apparus comme solution à l’omniprésence occidentale. Ces groupes ont pallié aux déficiences du gouvernement afghan. La proximité a entrainé l’apparition des « tribunaux de l’ombre », jugeant tout type de litige (scolaires, sanitaires, agricoles…) L’impartialité de ces tribunaux a fait leur popularité. En effet, la justice centrale, jugée corrompue, ne permettait pas aux populations les plus pauvres de gagner leur procès, faute de moyens suffisants. Les talibans apparaissent alors comme une solution juste, équitable et rapide.


Ainsi, les institutions pensées par les talibans sont apparues plus fonctionnelles et justes. Cependant, leurs sanctions demeurent terribles (lapidations, lynchage à coups de fouet…).



Afghanistan - À voir, à lire :


- Vivre en pays taliban par Margaux Benn, Solène Chalvon-Fioriti. Ce documentaire, disponible sur arte.fr, dresse la tableau de l’Afghanistan juste avant la prise de pouvoir des talibans. Il relate la vision des populations rurales, vis à vis de ces groupes religieux.


- Afghanistan, pays meurtri par la guerre. Cette série documentaire en quatre épisodes, disponible également sur arte.fr, retrace l’histoire de l’Afghanistan depuis ces 30 dernières années. Épisodes très complets et permettant une vision d’ensemble sur la situation.


- Le livre Le Cri afghan , dans lequel Michael Barry raconte l’histoire du pays. Il rappelle que le manque de considération des femmes « est un problème majeur ; ce n’est qu’en prenant en compte leur place légitime dans la société que le pays pourra vivre dans la paix et la dignité ».


- Massoud l’Afghan et L’étoile du soldat par Christophe de Ponfilly. Pour comprendre l’Afghanistan des années 80 et concevoir la résistance contre l’occupation soviétique à travers la figure célèbre du commandant Massoud.


Salomé Genin

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