Fin novembre, peu avant l’ouverture de la COP 25 à Madrid, le Parlement Européen a voté l’« état d’urgence climatique et environnementale » rappelant la nécessité de limiter le réchauffement de la planète pour protéger la biodiversité (dont nous faisons partie soit-dit-en-passant). Cependant cette mesure n’a qu’une portée symbolique, et les accords internationaux concernant le climat ont souvent des échéances assez lointaines. Or la volonté des citoyens à s’engager pour le climat est croissante et des résultats plus rapides sont exigés. Un exemple de ces demandes réside dans le documentaire Watt the fish (récemment projeté dans les salles obscures d’Assas) qui retrace le combat de militants citoyens contre les lobbys de la pêche. Après de longues joutes ces militants ont obtenu gain de cause. Dès-lors des moyens légaux de faire entendre nos revendications existent, mais quels sont-ils ?
I/ Marches et grèves scolaires pour le climat
Depuis l’année dernière, les marches et grèves notamment scolaires, pour le climat se multiplient démontrant l’engagement des citoyens et particulièrement des plus jeunes.
La première grève a été lancée le 20 août 2018 en Suède par Greta Thunberg qui s’est assise seule devant le parlement de Stockholm présentant sa pancarte « grève scolaire pour le climat » pour demander au Premier ministre de respecter les Accords de Paris, au lieu d’être en cours. Greta Thunberg a continué son action pendant trois semaines et ensuite tous les vendredis. Elle a su mettre à profit les réseaux sociaux en lançant le hashtag #fridaysforfuture.
C’est ainsi que le mouvement Fridays for Future est né.
Le site internet du mouvement[1] a permis d’organiser les grèves et les marches en proposant aux adhérents de rejoindre des groupes près de chez eux, et même de créer des groupes locaux là où il n’en existait pas. D’autres mouvements ont aussi participé à l’organisation des grèves pour le climat : « Youth for Climate » et « Student for Climate » par exemple.
Ainsi quatre mois après la première grève scolaire, en décembre 2018, 20 000 élèves du monde entier ont fait grève dans au moins 270 villes.
Ensuite les scientifiques des États-Unis et du Royaume-Uni se sont joints aux élèves pour dénoncer l’urgence climatique en publiant des lettres ouvertes en février 2019.
À ce jour, la mobilisation internationale la plus importante a eu lieu le 15 mars 2019. Des lettres ouvertes des organisateurs et des scientifiques avaient été publiées dans les journaux de nombreux pays pour encourager la manifestation. En France, ont été recensés 168 000 participants[2].
Et parmi ceux qui ont demandé une grande mobilisation se trouvaient les organisateurs et porte-paroles de l’Affaire du siècle, un autre moyen pour les militants environnementaux de faire entendre leurs revendications.
II/ L’affaire du siècle, un moyen juridique
Dans le monde de plusieurs pays ont été attaqués en justice pour leur inaction climatique : de nombreuses class actions ont eu lieu aux États-Unis, etc etc.
L’exemple le plus marquant est celui des Pays-Bas : l’ONG Urgenda et près de 900 co-requérants avaient assigné l’État pour qu’il soit contraint de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici à 2020 par rapport à 1990. Le jugement de première instance avait donné droit, en 2015, à la demande de l’organisation. Puis la confirmation de cette décision a été apportée par la Cour d’appel de La Haye en 2018 et la Cour Suprême le 21 décembre 2019. C’est une jurisprudence très importante puisque pour la première fois dans le monde la justice a condamné un État pour inaction climatique.
Ces initiatives ont inspiré un groupe de juristes français qui, en 2015, ont monté l’association « Notre Affaire à tous » pour exercer un recours contre l’État français.
Le processus juridique de l’Affaire du siècle
Dans cette affaire, les requérants fondent leur recours sur plusieurs textes juridiques : la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, l’Accord de Paris, le Paquet Climat-Énergie, la directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation des énergies renouvelables, la CEDH, la Constitution, la loi relative à la transition énergétique, Programmation Pluriannuelle de l’Énergie.
• Demande préalable indemnitaire : (https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2018/12/2018-12-17-Demande-préalable.pdf)
« Notre affaire à tous » accompagnée de trois autres associations : la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France, a déposé le 17 décembre 2018 une demande préalable indemnitaire qui se sert du rapport du GIEC pour exposer la nécessité pour les États de mettre en oeuvre toute mesure qui permettra de limiter l’augmentation de la température, et démontre l’inaction de l’État français en la matière. C’est une étape obligatoire avant toute procédure au tribunal. L’État y a répondu négativement le 15 février 2019.
• Le recours :
Après le rejet de la demande préalable préliminaire les 4 associations ont déposé leur recours devant le Tribunal Administratif de Paris. L’instruction a commencé le 20 mai 2019 et devrait durer entre 1 et 2 ans.
Engouement des citoyens
Cette Affaire du siècle a reçu un grand soutien auprès des citoyens, en effet plus de 2,2 millions de signatures sur la pétition en ligne ont été récoltées. Nous pouvons expliquer cette mobilisation exceptionnelle par la préoccupation actuelle à l’égard de l’écologie, mais il faut aussi remarquer que les réseaux sociaux et les marches pour le climat ont aidé à faire connaître cette affaire.
Nous pouvons alors citer l’initiative de l’humoriste Max Bird qui a posté sur Youtube, le 18 décembre 2018, une vidéo dans laquelle des personnalités (telles que Marion Cotillard, McFly et Carlito, Juliette Binoche, Elie Semoun, Simon Puech et d’autres encore) annonçaient le début de la procédure engagée par les associations. Cette vidéo a recensé plus de 600 000 vues. Ensuite Juliette Tresanini a posté une deuxième vidéo annonçant le dépôt du recours et invitant à soutenir l’Affaire du siècle pendant la marche pour le climat du 16 mars. Marche qui a rassemblé 350 000 participants.
Il faut savoir que nous pouvons toujours soutenir cette affaire en signant la pétition sur le site laffairedusiecle.net et en allant témoigner[1] du changement climatique que nous percevons à notre échelle. Une carte de France interactive permet de lire les autres témoignages, à Paris par exemple les témoins dénoncent l’augmentation des pics de pollution dans la capitale, l’arrivée de moustiques, l’absence de gel en hiver, la multiplication des canicules etc.
Résultats à espérer
L’attente est importante de la part des militants mais peut-on vraiment espérer des résultats ? La récente décision de la Cour suprême du Pays-Bas et le fait que la France s’attache à faire respecter les Accords de Paris par les autres pays donnent de l’espoir. Néanmoins l’avocat Arnaud Gosset spécialiste en droit de l’environnement questionne l’Affaire du siècle sur la personne qui fait l’objet du recours. Selon lui l’ « État » est une dénomination trop vaste qui ne vise personne en particulier. En effet le gouvernement actuel ne se sent pas vraiment visé et peut accuser son prédécesseur, comme le fera sûrement le gouvernement en place lorsque le processus judiciaire sera terminé. Et puisque les règles du droit de l’environnement sont majoritairement fixées par les institutions européennes il serait, d’après Arnaud Gosset, plus efficace d’agir d’abord à l’échelle européenne en votant pour des euro-députés compétents en matière d’environnement.
Pour finir cet article nous pouvons ajouter qu’en plus des moyens plus médiatisés que nous avons cités, le fait de changer son mode de consommation pour se tourner vers des alternatives plus écologiques est bien entendu le premier moyen légal du militantisme environnemental.
Sacha Boutboul
[2] https://www.lefigaro.fr/sciences/2019/03/15/01008-20190315ARTFIG00206-mobilisation-mondiale-pour-le-climat.php
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