Lors de l’émission L’Évènement diffusée jeudi dernier sur France 2, Jean-Luc Mélenchon a laissé entrevoir la possibilité d’une nouvelle tête d’affiche Insoumise pour la prochaine présidentielle. Une conquête de l’Élysée réellement terminée ?
Face à la présentatrice Caroline Roux, Jean-Luc Mélenchon a ménagé la chèvre et le chou concernant son avenir en tant que candidat à l’élection présidentielle. Ayant premièrement répondu « je ne suis pas candidat à ma propre succession », l’ancien député des Bouches-du-Rhône a ajouté quelques secondes plus tard : « En 2027, ce sont les circonstances qui vont permettre de désigner quelqu’un (…) Quel besoin d’aller encombrer la discussion avec ma personne ». Une porte laissée donc entre-ouverte, qui peut s’expliquer autant par le par le manque d’un leader charismatique et médiatique que par le risque d’obtenir un moins bon résultat que les trois scores obtenus par l’homme de 71 ans.
Un nombre d’électeurs en progression en l’espace de dix ans
Retour sur ses trois candidatures à la fonction suprême.
2012. Ayant quitté le Parti Socialiste quatre ans auparavant pour fonder son propre Parti de Gauche, puis une coalition de partis dénommée le Front de Gauche, c’est un Jean-Luc Mélenchon tout juste émancipé de la direction du PS qui se présente aux électeurs lors de la présidentielle. Régulièrement invité par les médias pour son positionnement très à gauche, il n’est pas inconnu du grand public mais manque encore de reconnaissance nationale. Sa candidature annoncée en janvier 2011, il mènera une campagne notamment axée sur la hausse des salaires, la défense de la classe ouvrière et des travailleurs immigrés. Une campagne très « matérialiste », visant à augmenter le pouvoir d’achat et relancer la production et la croissance. Ce positionnement va progressivement évoluer au cours des campagnes suivantes.
Son affiche de l’époque témoigne de son positionnement : la couleur rouge, majoritairement présente, vise à être identifiée par les électeurs du Parti Communiste qui ne présente pas de candidat pour la première fois de leur histoire sous la Ve République, ainsi qu’aux ouvriers syndicalisés, avec le slogan « Prenez le pouvoir ». Arrivé en quatrième position avec un score remarquable de 11,4%, il réalise néanmoins un résultat décevant chez la classe ouvrière à qui il s’était grandement consacré durant la campagne avec 16% chez cette catégorie, derrière M. Le Pen, F. Hollande et N. Sarkozy.
2017. Conscient que l’électorat ouvrier est acquis à la candidate du Front National, Jean-Luc Mélenchon a pu aiguiser sa stratégie durant le quinquennat de François Hollande. Le pays va retrouver un Jean-Luc Mélenchon à l’idéologie nouvelle : auparavant vu comme sectaire et comme incapable de parler à tous les français, il apparaît désormais comme un défenseur de la laïcité et du pouvoir d’achat des classes moyennes et intermédiaires. Il prône également un « dégagisme » du personnel politique en place souhaité selon lui par une grande partie de français, une volonté que l’on retrouve à travers son slogan de campagne « La force du peuple ». Enfin, fait novateur, il axe une partie de sa campagne sur l’écologie et la décroissance, thèmes absents de sa campagne de 2012.
En fondant un mouvement, et non pas un parti, La France Insoumise, il souhaite dépasser les clivages politiques. L’univers du personnage Mélenchon s’est également métamorphosé : son affiche de campagne voit disparaître la couleur rouge pour ainsi s’adresser à toutes les catégories sociales, et l’on note également l’apparition de lunettes pour se distancier de son image de 2012 vue comme celle d’un personnage trop « impulsif » et « manquant de sang-froid ». Cette nouvelle posture sera policée lors des deux débats d’avant premier tour, exercice inédit sous la Ve République. Il terminera une nouvelle fois en quatrième position avec 19,6%, talonnant le troisième, François Fillon, au cours d’une campagne où il débutait pourtant largement distancé par Benoît Hamon. Il augmente de 14 points son score chez les jeunes (30%), pierre angulaire de sa campagne. Il réalise également un bon score chez les chômeurs (31%). Il pèche néanmoins auprès des classes rurales et des catégories issues des banlieues, pour qui le discours paraît trop intellectuel et pas assez « populaire » (17% chez les électeurs n’ayant pas le baccalauréat).
2022. Fin 2021 est lancée une plateforme dénommée « L’Union Populaire » ayant pour objet principal « l’investiture numérique » du candidat Mélenchon, espérant lui donner ainsi légitimité et dynamique. En comparaison de sa première campagne dix ans plus tôt, elle est radicalement différente, adoptant désormais une connotation « altermondialiste » et « post-matérialiste » pour reprendre le terme de l’universitaire étasunien Ronald Inglehart, en témoigne son slogan de campagne « Un autre monde est possible ». Il se basera une nouvelle fois sur les 18-24 ans qui lui assurent une communication relativement efficace sur internet. Il adoptera également une stratégie importante pour attirer les classes populaires issues des quartiers, celles-ci lui ayant cruellement fait défaut cinq ans plus tôt. Comme en 2017, il était situé dans les enquêtes de début février aux alentours de 10%, pour finalement gagner 10 points jusqu’au jour du vote, le conflit russo-ukrainien ne semblant pas avoir mis un coup d’arrêt à son ascension contrairement à certains de ses adversaires. Avec 21,95% des suffrages, il réalise son résultat le plus élevé et termine donc en troisième position.
Voulant préserver cette dynamique, il fonde ensuite une nouvelle coalition de partis, la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES), dans l’objectif de contenir la vague présidentielle le plus longtemps possible. Durant les législatives, Jean-Luc Mélenchon demande aux français de « l’élire Premier ministre » tandis que la France insoumise occupe pour la première fois la place centrale à gauche. Le nouvel inter-groupe a pu obtenir le nombre conséquent de 151 députés et fait désormais figure de premier groupe d’opposition au Président de la République réélu.
Quelle tête d’affiche pour la candidature en 2027 ?
Avec des scores sans cesse croissants et une structuration législative importante, la NUPES et La France Insoumise s’inscrivent désormais comme une force gouvernementale crédible et légitime, ce qui leur donne du crédit pour une nouvelle candidature pour 2027 avec un objectif compris par tous : une qualification pour le second tour. Mais qui pour être en tête d’affiche ? Bien entendu, les députés élus il y a sept mois essaient en premier lieu de s’ancrer localement avant de prétendre à une légitimité nationale et médiatique. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, seule une poignée de personnalités peuvent commencer à se projeter pour la prochaine présidentielle :
Alexis Corbière : le vice-président du groupe insoumis à l’Assemblée nationale a toujours été proche de Jean-Luc Mélenchon. Âgé de 54 ans, il semble être une valeur sûre, capable de rassembler les différentes tendances au sein du mouvement LFI. Cependant, un certain nombre d’attitudes controversées entachent toujours son image, notamment des déclarations à propos de certaines caricatures de Charlie Hebdo ou bien du comportement adopté en coulisses après un débat face au président des jeunes du parti Reconquête, jugé inapproprié.
Clémentine Autain : la députée de Seine-Saint-Denis est le visage écoféministe du mouvement de la France Insoumise. Âgée de 49 ans, elle est en première ligne concernant les inégalités homme-femme et les violences conjugales. En phase avec les mouvements progressistes universitaires et engagés en faveur des banlieues, elle doit encore améliorer son discours vis-à-vis des classes ouvrières et s’ouvrir aux personnalités moins radicales.
François Ruffin : le député Samarien de 47 ans a une particularité abandonnée par Jean-Luc Mélenchon après sa campagne de 2012, celle de s’adresser prioritairement à ce qu’il appelle « la France des bourgs », actuellement acquis au Rassemblement National, ainsi qu’aux Gilets Jaunes qu’il a soutenu dès le début du mouvement. Avec un discours beaucoup moins intellectuel, cette stratégie semble fonctionner dans sa circonscription, où la candidate RN fut sèchement battue avec 39% lors des dernières législatives. Un doute subsiste cependant concernant sa capacité à émerger comme une personnalité à la fois charismatique et politique, nécessaire pour briguer la fonction suprême.
Éric Coquerel : le député Séquano-Dionysien peut être un prétendant crédible. Âgé de 64 ans, il a longtemps occupé l’espace médiatique en tant que coordinateur du Parti de Gauche. Actuel président de la commission des finances, il occupe aujourd’hui un poste très « comptable » et forcément moins médiatique, mais son poids politique reste important. Cependant, les accusations de harcèlement sexuel portées contre lui par une militante du PG Sophie Tessier ayant conduit à une enquête par le Parquet de Paris doivent d’abord être examinées, avant d’éventuellement prétendre à de plus grandes ambitions.
Adrien Quatennens : le jeune député Nordiste a été qualifié sur France 2 comme « un ami très cher » par Mélenchon, une marque d’estime qui rappelle « le meilleur d’entre nous » prononcé par Jacques Chirac au sujet d’Alain Juppé. Seulement, son comportement vis-à-vis de sa femme Céline Quatennens, ayant conduit à une condamnation pour violences conjugales et à son exclusion du groupe parlementaire NUPES jusqu’au mois d’avril va très fortement entacher ses possibilités d’ascension médiatique et politique au sein du mouvement.
Une candidature NUPES avec une personnalité externe à LFI : avant 2027, les européennes de 2024 et les municipales de 2026 feront figure de test pour la coalition de gauche. Rétrospectivement, les élections locales n’ont jamais vraiment fait l’objet d’un investissement massif de la part du mouvement insoumis, à contrario d’Europe Écologie Les Verts par exemple. Cela pourrait mettre au premier plan des membres de l’instance dirigeante d’EELV issus du tissu local, comme Éric Piolle (Lyon), Jeanne Barseghian (Strasbourg), Pierre Hurmic (Bordeaux) ou encore la nouvelle secrétaire nationale Marine Tondelier. Le Parti Socialiste peut également tirer son épingle du jeu, notamment dans un scénario de dissolution de l’Assemblée, avec des députés implantés depuis plusieurs mandats.
Jean-Luc Mélenchon : il semble évident que son âge (71 ans) est pour certains le seul et unique frein à une quatrième candidature. Les protagonistes précédemment cités ne semblent pas en mesure de prendre naturellement la relève, d’autant plus que l’actuel leader LFI a d’ores et déjà annoncé ne pas vouloir désigner de successeur, pour ne pas commettre la même erreur que François Mitterrand avec Laurent Fabius, qui fut de ce fait, attaqué de toutes parts à l’intérieur de son camp. Alors que certains à gauche craignent une possible victoire de Marine Le Pen dans quatre ans, la possibilité de voir certains électeurs fidèles de Jean-Luc Mélenchon glisser vers l’ancienne présidente du Rassemblement National en cas d’une candidature « novice » doit être également pris en compte.
Des militants et sympathisants encore loin de 2027
Certains téléspectateurs fidèles du leader insoumis n’ont pas esquivé l’évènement politique du jeudi soir. Mais la plupart ne semble pour l’instant pas préoccupés par ces débats : « Je l’attendais surtout à propos de la réforme des retraites (…) je compte manifester jeudi » annonce Hervé, 58 ans, sympathisant LFI. « Le débat sur 2027 est juste mis en avant par des médias déconnectés qui ne pensent qu’au spectaculaire et au suspens. Ils ont dû être déçus, il n’y en a pas beaucoup eu avec la dernière présidentielle à cause de la guerre en Ukraine ». Christine retraitée et ancienne communiste ajoute : « J’y pense pas du tout. Gardons la NUPES unie, pour commencer. On sait jamais, il peut y avoir de nouvelles élections surprises s’il y a une grande grève ».
En effet, la coalition de gauche compte être au premier rang lors des mobilisations contre la réforme des retraites, avec notamment un rassemblement le mardi 17 janvier, en complément de la grève du jeudi et de la marche des organisations de jeunesse le 21. Avec encore une fois Jean-Luc Mélenchon en tête de cortège, un échec des mobilisations pourrait mettre à mal celui qui a maintes fois défié dans les urnes et dans la rue l’actuel Président de la République et sa majorité, dans un contexte où 59% des Français sont hostiles au projet de loi selon un sondage de l’institut Elabe. « Il joue gros, mais je pense qu’il s’en sortira une fois de plus. C’est le boss. » résume Martin, un jeune insoumis et militant de la première heure.
La manifestation du 19 semble avoir tenu ses promesses, en réunissant entre 1,12 millions de manifestants selon le ministère de l’Intérieur et 2 millions selon la CGT. Une année 2023 qui pourrait en définitive faire office d’année bascule pour la gauche radicale.
Josselin Lucké-Baron
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