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Nina Seron : « Me réapproprier ma vie, c'était me réapproprier le politique »

Dernière mise à jour : 15 déc. 2020

Après des élections municipales mouvementées en pleine crise sanitaire, L’OEil d’Assas a voulu recueillir des témoignages d’étudiants nouvellement élus conseillers municipaux. Un dossier a été constitué et son contenu sera régulièrement publié : les entretiens eux-mêmes dans un premier temps, puis un article synthétique essayant de dresser des « profils types » d’étudiants élus dans un second.


N.B. : Le présent article retrace fidèlement l’entretien effectué le 24 octobre 2020. L’OEil d’Assas ne saurait être considéré comme soutien des propos suivants, qui n’engagent que la personne interrogée.


Nina Yasmine SERON, 22 ans, est étudiante à Assas en Master 2 Politiques publiques. Impliquée dans la vie associative étudiante (Assas LGBT+ et l'an dernier Assas Monde Arabe), elle est également salariée et syndiquée CGT.

Nouvelle conseillère municipale à Vitry-sur-Seine, elle a adhéré au Parti de Gauche alors que la France Insoumise venait d'être fondée. Elle a commencé à militer plus activement après sa khûbe. Le groupe d'action local de la France Insoumise a souhaité sa candidature aux municipales : une manière de « passer le flambeau » de l’animateur du groupe local, qui fut adjoint au maire et qu’elle considère comme son mentor.





Quelles ont été les raisons de ce nouvel engagement politique ?


Les injustices découlant nécessairement de l'économie de marché étaient pour moi source d'une souffrance troublante, matérielle et psychologique. C'est naïf à dire, mais je me suis engagée car révoltée par l'injustice, et je poursuis mon engagement car révoltée par l'injustice (sociale, fiscale et écologique), en essayant à ma petite échelle de la rendre plus supportable à défaut.

Pour moi la chose politique relevait de la nécessité et s'est traduite en une pratique ; de la nécessité car les dynamiques sociales régies par le politique influent sur toutes les sphères de ma vie : je suis une femme, je suis étudiante boursière, je suis binationale française et marocaine, je milite dans une association LGBTQ+, etc. Ma vie est un parfait exemple de l'imbrication des rapports sociaux, et rien à propos de mon histoire n’échappait au politique ; donc me réapproprier ma vie, c'était me réapproprier le politique d'une certaine manière.


Vous sentez-vous une affiliation partisane, une tendance politique ?


Je considère mon appartenance au Parti de Gauche préalable à mon engagement à la France Insoumise ; c'est le rôle du parti, là où parfois le mouvement est un outil stratégique électoralement. Le parti a contribué à ma formation politique et théorique depuis 2017, autour de la triade « Ecologie/Socialisme/République ». J'ai donc des tendances républicaines écologistes anticapitalistes. Ma culture politique va du jacobinisme à Jaurès, en passant par Marx et l'éco-socialisme de Gorz ou Lowy.

Je suis très attachée au concept de gauche, ses valeurs, ses méthodes, même si ce n'est plus vraiment à la mode, le clivage gauche/droite. Mais je suis très marquée politiquement, même si je suis avant tout une citoyenne, une étudiante, une salariée ; je n'ai pas vocation à faire carrière dans la politique professionnelle, j'aime mieux être militante qu'élue. Je suis influencée par un marxisme mis à jour par les différentes mutations du capitalisme, et qui prend en considération la complexification des rapports sociaux (de classe, de genre, d'ethnie...) et les enjeux écologistes, et qui abandonne donc le productivisme qui implique nécessairement une croissance infinie dans un monde qu'on sait aux ressources finies. Je soutiens donc le programme « L’avenir en commun » : une démarche d’analyse et de propositions, qui s’inscrit dans une approche écologique, sociale et citoyenne globale, pleinement en réponse aux aspirations populaires et aux mouvements sociaux.


Quels sont vos objectifs en tant que jeune conseillère municipale primo-élue ?


N'étant pas dans la majorité, mes objectifs sont d'abord d'être une élue de proximité, de relayer des problèmes locaux de la population, de me tenir informée et de penser des manières d'agir sur ces problèmes (tranquillité publique, logements sociaux…). Je peux être sollicitée pour de très nombreuses choses.

Dans l'opposition constructive de gauche à une majorité de gauche, j'aimerais pouvoir être une lanceuse d'alerte et veiller à ce que la majorité s'engage pleinement dans ses promesses électorales ambitieuses écologiquement, démocratiquement (c'est un gros problème dans la ville championne de France de l’'abstention) et socialement.

Je suis sur plusieurs terrains de lutte à la fois ; je co-anime un groupe de travail sur le passage en régie publique dans le territoire Grand Orly Seine Bièvres ; pour la gratuité des transports en commun dans les banlieues et pas uniquement pour les jeunes Parisiens. (C'est vraiment le minimum syndical écologiquement.)

Récemment, j'alertais le conseil municipal sur l'extension de l'incinérateur de Créteil par Suez, projet purement spéculatif et « greenwashé » dont les impacts négatifs (notamment relatifs à la pollution de l'air) sont importants et alors même que les communes du 94 [le département du Val-de-Marne] voient leurs besoins comblés par les fours actuels… J'ai fait voter avec mon groupe un vœu pour une consultation citoyenne sur l'implantation de la 5G dans notre ville… Je continue seulement le travail que je faisais comme militante locale, mais avec des espaces d'expression consacrés, et des relations simplifiées avec ceux qui ont le pouvoir décisionnaire.


Comment conjuguer vie politique et études/travail ?


Ce sont de grosses journées, il y a des semaines entières où je fais 7h-22h tous les jours. Je travaille beaucoup sur mon temps libre pour rester à niveau par rapport aux cours et ne pas être trop absorbée par ma vie de militante et salariée.


Quel bilan tirez-vous de ces élections municipales si spéciales (difficultés à battre campagne, second tour très tardif, abstention record…) ? Ceci tant au niveau de votre commune qu’au niveau national.


Avec 1958, quand Charles de Gaulle s’est taillé un beau costard sur mesure, que l’on a appelé « CinquièmeRépublique », puis avec ceux qui l’ont suivi, ceux que nous avons connu, Sarkozy, Hollande, Macron, qui ont tous trouvé la monarchie présidentielle très à leur goût et ont enfilé le costume avec enthousiasme, on se retrouve aujourd’hui avec une République qui a le goût âpre du stade de non-retour. Un peu plus de 9 électeurs sur 10 ne se sont pas déplacés à Vitry-sur-Seine pour la législative partielle en septembre. On ne s’attend pas à une participation fulgurante pour des partielles, mais cela devient symptomatique quant aux municipales, on n’a pas fait beaucoup mieux.

Pourtant, plus que jamais, le contexte est politique, voire violent. Chômage, gestion à géométrie variable de la crise sanitaire, services publics abandonnés, inégalités sociales croissantes et précarité, et de l’autre côté cadeaux de plusieurs milliards (cf plans de relance) au patronat sans contrepartie écologique ou sans l'interdiction de verser des dividendes en cas de plan de licenciements ; sans compter l’urgence de bifurcation écologique qui pend au-dessus de la tête des jeunes comme l’épée de Damoclès. Il y a urgence; alors pourquoi 90% n’ont même plus le cœur de participer au jeu électoral ? Car vraisemblablement, à quoi bon, si les gouvernants ne sont pas responsables de leurs actes devant le peuple, à quoi bon si après 200 actes des Gilets jaunes, des mains en moins, des yeux éborgnés, des mois de grève contre la retraite à points, et un 49.3 plus tard, nous continuons à être dépouillés de nos acquis sociaux, dépossédés de nos suffrages, de nos conditions matérielles d’existence…

Pendant que l’on pointe du doigt notre voisin et concitoyen qui serait à la source de la violence et de la division, rappelons-nous que les criminels, les voyous, ce sont ceux qui nous gouvernent et leur clique, ceux qui se frottent les mains de voir comme leur violence nous est devenue banale. La démocratie est en crise : ils ont tout fait pour confisquer le pouvoir aux classes populaires et les en dégoûter. A Vitry, l'abstention est de plus en plus massive : seulement 2 électeurs sur 10 se sont déplacés aux municipales. Cette « grève des urnes » exprime une certaine colère contre le pouvoir, contre les institutions.

La Ve République souffre d'une crise démocratique, on ne peut pas détourner le regard. Une hausse de l'abstention aux élections, l’ « irresponsabilité » des élus et le manque de représentation des classes populaires. Je suis donc favorable à la convocation par référendum d'une assemblée constituante dont le seul mandat sera d'élaborer la Constitution de la future VIe République. Il n'y a pas de raison que la Ve finisse par durer plus longtemps que la IIIe alors qu'elle démontre depuis longtemps des inefficacités malgré sa stabilité. Elle est née d'un contexte particulier, historiquement daté, exceptionnel. Je veux que les Français refondent par eux-même la République de manière plus démocratique, et je ne vois que ça pour pallier. Si on connaît son Histoire de France, on sait que quand on est face à une impasse, c'est que c'est l'heure de changer de régime.


Au niveau de la commune maintenant, il me semble impératif de démocratiser et revitaliser le fonctionnement des conseils de quartiers. La démocratie se bâtit tous les jours et doit passer par la démocratisation de toutes les instances, et ne pas se cantonner à demander tous les cinq ans son avis aux électeurs sans prendre en considération leurs critiques et réserves durant le mandat. Pour cette raison je suis pour la révocabilité des élus, et l'instauration d'un RIC [référendum d’initiative citoyenne] communal.


Que ressent-on lorsqu'on est élu ?


Un curieux mélange encombrant de responsabilité, de devoir, et de capital symbolique ; mais j'essaie de ne pas trop me prendre au sérieux, tout en étant à la hauteur du mandat que m'ont confié les Vitriots.



propos recueillis par Pierre Pelini



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