Jeudi 19 novembre 2020, l’association pour la protection animale L214 a publié une nouvelle enquête sur les conditions désastreuses dans lesquelles les poulets d’un élevage sous contrat de la marque DUC étaient élevés et abattus. Par ailleurs, le bien-être animal est depuis quelques années, en France, un débat récurrent que ce soit sur les conditions d’élevage, la présence d’animaux dans des cirques ou la question de la maltraitance des animaux de compagnie.
Pour consulter l’enquête publiée par l’association L214 : https://www.l214.com/stop-cruaute/duc/
En droit, l’écrivain Dalibor Frioux rappelle que de la loi Grammont en 1850 (interdiction de la cruauté animale en public) à la reconnaissance de l’animal comme
« être vivant doué de sensibilité » en 2015, un changement de mentalités s’est effectué au sein de la société française. D’un point de vue politique, la percée du parti animaliste aux dernières élections législatives et européennes a renforcé la visibilité de ce sujet.
C’est dans ce contexte favorable à l’émergence d’un « droit des animaux » que Hugo Clément a annoncé le 2 juillet 2020 le projet d’un référendum sur les animaux. Imaginé par les hommes d’affaires Jacques-Antoine Granjon et Xavier Niel, une pré-pétition a été lancé. Avec 868 320 inscrits samedi 21 novembre 2020, leur objectif est d’obtenir un maximum de signatures pour être en mesure de lancer le processus de référendum d’initiative partagée. Mais a-t-il de réelles chances d’aboutir ?
Certaines mesures réalisables
Si ce référendum venait à se concrétiser, les françaises et les français devraient se positionner autour de six propositions : l’interdiction de l’élevage en cage, l’interdiction des élevages à fourrures, la fin de l’élevage intensif, l’interdiction de la chasse à courre, du déterrage et des chasses dites traditionnelles, l’interdiction des spectacles avec animaux sauvages et la fin de l’expérimentation animale lorsque d’autres alternatives sont effectives.
De prime abord, ces mesures paraissent loin de certains clichés qui peuvent être véhiculés sur les militants en faveur de la protection animale ou du discours de certains antispécistes médiatisés. Par exemple, le 26 septembre 2018, sur le plateau de BFMTV, les propos de Solveig Alloin, porte-parole de « Boucherie abolition », avaient créé la polémique. Cette dernière avait déclaré qu’il fallait « absolument sortir de ce génocide systémique qu’est l’élevage ».
L’interdiction de la chasse à courre semble être la proposition qui serait une des plus facile à mettre en oeuvre si les citoyens français étaient appelés aux urnes et se prononçaient en faveur de cette mesure. Malgré des lobbies de chasse très actifs et des arguments liés à la préservation des traditions françaises par la vénerie, celle-ci auraient moins de conséquences économiques que les autres actes. Depuis 2005, quatre propositions de loi ont été déposées par des parlementaires en vue de l’interdiction de la chasse à courre, dont la dernière par la Sénatrice Laurence Rossignol (Parti socialiste) en 2017, sans grand succès. Parmi ces initiatives parlementaires, l’une a été portée en 2013 par l’actuelle ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. Par ailleurs, 82 % des français seraient contre la pratique de la chasse à courre selon un sondage réalisé par IFOP pour la Fondation Brigitte Bardot, 2020).
Il en est de même pour l’interdiction des élevages à fourrures. En réalité, comme le rapporte un article du Figaro, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompilli a annoncé mardi 29 septembre 2020 la fin des élevages de visons pour leur fourrure. Les quatre fermes d’élevage présentes en France devront fermer d’ici 2025. En revanche, l’interdiction de l’importation de fourrures étrangères est toujours autorisée dans l’Hexagone.
En ce qui concerne l’interdiction des spectacles avec animaux sauvages et la fin de l’expérimentation animale lorsque des alternatives existent, ces mesures ne semblent pas non plus utopistes.
Selon le vétérinaire André Ménache, 2 000 000 d’animaux par an sont utilisés dans le cadre d’expérimentations scientifiques. Toutefois, depuis 2013, l’expérimentation animale est de plus en plus réglementée au niveau européen. Une directive 2010/63, transposée en France par un décret en 2013, interdit la commercialisation de produits cosmétiques et ménagers testés sur des animaux dans l’espace européen. La Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques de 1986 mentionne que la finalité des réglementations qui seront prises est le remplacement de « cette utilisation partout où cela est possible ». En effet, il y a des domaines scientifiques, encore aujourd’hui, où l’expérimentation est difficile à substituer notamment sur les tests de médicaments destinés aux humains. En tout cas, le cadre juridique français et européen ne sont pas un frein à une interdiction plus étendue de l’expérimentation animale.
S’agissant de la présence des animaux sauvages dans des cirques, 29 pays l’auraient déjà interdit totalement, comme l’Italie, les Pays-Bas ou encore le Pérou. Plus de 400 communes françaises ont pris des arrêtés visant à interdire la représentation de spectacles incluant des animaux sauvages comme Ajaccio ou Mennecy. L’opinion publique française se prononce également en faveur de l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques. Selon un sondage IFOP de 2020 (commandé par 30 millions d’amis), 72% des français y sont favorables, 5 points de plus qu’en 2018. En revanche, si le gouvernement français venait à mettre en oeuvre cette proposition sur le fondement de la tenue du référendum, il devra prendre en compte la contestation des travailleurs du cirque, dont certains signalent qu’une telle mesure plongerait ce secteur du travail dans une grande précarité. D’ailleurs, Barbara Pompilli est restée prudente à ce sujet dans ses annonces du 29 septembre 2020; si le but du gouvernement est à terme l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, aucune date n’a été précisée. Ce référendum permettrait peut-être de rendre plus concret une mesure déjà envisagée.
La fin de l’élevage intensif et l’interdiction de l’élevage en cage paraissent être les mesures les moins faisables à court terme, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord ces deux propositions auraient pour conséquence de revoir structurellement le fonctionnement des élevages en France. Ces deux pratiques concernent une majorité des élevages français. Une transition vers un mode d’élevage éthique et respectueux des animaux impliquerait sûrement une baisse de la production et donc une baisse des revenus économiques. Par ailleurs, à quoi renvoie exactement le terme d’ « élevage intensif » ? Est-ce de façon plus générale le mode production industriel qui est visé ?
Si là aussi une majorité de français sont largement favorables à ces mesures, c’est aussi le mode d’alimentation et de consommation qu’il faudrait transformer afin d’instaurer un mode d’élevage en adéquation avec le bien-être animal.
Le référendum d’initiative partagé, un outil institutionnel limité dans le système politique français
Au-delà des propositions faites à l’occasion de cette initiative pour le bien-être animal, c’est la pertinence même du référendum d’initiative partagée qu’il faut questionner.
Pour rappel, cet outil institutionnel est entré vigueur le 1er janvier 2015, à la suite de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Cela s’inscrit dans un contexte de « démocratisation » de la Ve république, ou plus exactement afin de répondre à une demande croissante au sein de la société française d’une démocratie plus participative, délibérative, où le processus de décision serait plus directement entre les mains des citoyennes et des citoyens.
Selon l’article 11 de la Constitution, une proposition de loi en faveur d’un référendum d’initiative partagée doit d’abord être signée par un cinquième des parlementaires (députés ou sénateurs) soit au moins 185 sur 925. Si le nombre est atteint, le Conseil constitutionnel vérifie ensuite la conformité de la proposition de R.I.P. Une fois cette seconde étape passée, la proposition de loi doit obtenir la signature de 10% du corps électoral français, c’est à dire 4,7 millions d’individus. Puis, le Conseil constitution procède de nouveau à une vérification, cette fois-ci de la conformité des signatures obtenues. Enfin, si le Parlement n’examine pas la proposition de loi dans un délai de six mois, le président de la République soumet celle-ci au référendum.
En d’autres termes, il est en réalité extrêmement compliqué de parvenir au bout du processus d’un référendum d’initiative partagée. De surcroît, si plusieurs mesures au sein de la proposition de loi ne conviennent pas au Président de la République, le fait majoritaire (existence d’une majorité forte au sein de l’Assemblée nationale, souvent à l’avantage de l’exécutif) fait qu’il paraît improbable que la proposition de loi ne soit pas examinée par le Parlement pour modifier, atténuer voire rejeter une partie de son contenu.
À ce titre, aucun référendum d’initiative partagée n’a aboutit jusqu’ici en France. La dernière proposition formulée, concernant les aéroports de Paris, est allée jusqu’à l’étape des signatures. Mais avec « seulement » 1,09 million de voix, la procédure est un échec. Dans sa décision n°2019-1-9 RIP du 18 juin 2020 (Communiqué de presse), le Conseil constitutionnel a d’ailleurs souligné « certaines insuffisances » liées à la procédure du R.I.P, et « un usage complexe, peu intuitif et insuffisamment adapté à une consultation destinée à un large public ».
À l’heure actuelle, aucune proposition de loi n’a été lancée pour un référendum d’initiative partagée pour les animaux. Concrètement, le but est de mobiliser les parlementaires, qui sont à l’initiative de la procédure. C’est sûrement là un des but d’une pré-pétition, qui, avec des sondages très favorables au bien-être animal, exercent une pression sur les parlementaires pour prendre position. Selon le site de l’initiative, 143 parlementaires soutiennent le R.I.P, du député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan au groupe France Insoumise.
Certes la thématique du bien-être animal est plus fédératrice que celle relative aux aéroports de Paris, mais le seuil des 4,7 millions de signatures est très élevé. 868 320 personnes ont déjà signé la pré-pétition, nombre conséquent mais insuffisant.
Par ailleurs, les sondages extrêmement favorables aux propositions de ce projet de référendum n’impliquent pas automatiquement un engagement de ces personnes à signer par la suite le R.I.P, procédure encore très méconnue.
À l’aune de ces obstacles institutionnels, pourquoi choisir de mobiliser la voie du référendum d’initiative partagée ?
L’utilisation du R.I.P, un moyen de mobiliser une opinion publique favorable
Bien évidemment, plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi le référendum d’initiative partagée a été choisi comme moyen de mettre au coeur du débat politique la question animale. À ce titre, l’un des raisons qui semble prépondérante est que le référendum d’initiative partagée, bien que peu efficace d’un point de vue institutionnel, permet de donner de la visibilité médiatique à un sujet. Il favorise aussi la mobilisation des individus, qui vont relayer sur les réseaux sociaux les pétitions, les visuels et les actions des militants en faveur de ce référendum.
Laurence Morel et Marion Paoletti soulignent dans « Introduction. Référendum, délibération et démocratie » (2018) qu’en « faisant émerger de nouveaux thèmes sur l’agenda politique et de nouveaux acteurs dans la sphère publique, que ce soit pour engager des initiatives ou pour faire campagne, ils [les référendums ndlr.] irriguent la société politique et enrichissent la société civile ». Que l’on soit en faveur ou contre les mesures proposées par ce référendum, qu’il ait peu de chances effectives d’aboutir, cette initiative a au moins le mérite de favoriser le débat sur les réseaux sociaux comme dans la vie réelle, et de mettre en lumière des problématiques liées à la question du bien-être animal. Elle nous questionne également sur notre mode de consommation et de production, qui, parfois, peuvent s’avérer à l’encontre de nos convictions.
Melchior Delavaquerie
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