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L’économie de l’attention, qui traite de l’attention et de son contrôle comme d’une ressource rare, ne devrait pas intéresser uniquement les experts en sciences économiques et les stratégistes d’entreprises. En réalité, elle concerne chacun d’entre nous puisqu’elle contrôle progressivement la plupart de nos habitudes tout en s’appropriant nos données personnelles.
Je dois écrire un article sur un sujet libre. J’aimerais trouver un sujet percutant. Le poing levé d’indignation pour une lutte novatrice. Seulement, ma main est chétive ce soir et ne parvient qu’à bouger frénétiquement un pouce avide de contenus stériles. Aujourd’hui encore, je « scrolle » sur Instagram. Je demeure passive, l’œil concentré et l’esprit égaré face à cette lumière bleue qui m’empêchera de m’endormir dans quelques heures.
Je m’en veux (à juste titre) mais ce n’est pas le fruit du hasard. Dans l’illusion d’un libre arbitre, les algorithmes me rient au nez en dévorant mes richesses les plus précieuses : mon temps et mon attention. Economistes et ingénieurs étudient la question depuis longtemps déjà. Il y a plus d’un siècle, en 1902, le sociologue Gabriel Tarde esquisse les contours de la notion de l’économie de l’attention. Il s’intéresse aux nouvelles formes de publicités, adaptées à la surproduction industrielle, qui visent à « arrêter l’attention, la fixer sur la chose offerte ». En 1971, Herbert Simon, futur prix Nobel d’économie, est plus précis : « une abondance d'informations crée une rareté de l'attention et le besoin de répartir efficacement cette attention parmi la surabondance des sources d'informations qui peuvent la consommer ».
Tout s’accélère
A l’Université de Standford, le Persuasive Technology Lab (Laboratoire des technologies de la persuasion) voit le jour en 1998 et crée une nouvelle discipline : la captologie, qui consiste à « étudier, concevoir et analyser des produits informatiques destinés à modifier les attitudes ou les comportements des individus ».
De son côté, dans les années 2010, Célia Hodent est stratégiste pour des entreprises de jeux vidéo et utilise l’UX Design, qui consiste à influencer des variables contrôlables pour provoquer une réaction émotionnelle positive chez l’utilisateur d’un produit. Elle parvient ainsi à améliorer l’expérience utilisateur grâce à son doctorat en psychologie cognitive. Toutefois, comme l’explique le journaliste Bruno Patino, l’UX Design est devenu une « arme économique d’autant plus efficace qu’il transforme une habitude en addiction ». La preuve en est avec le jeu Fortnite qui occupe bon nombre de conversations dans les cours de récréation.
Le secteur artistique s’adapte aussi à cette chasse de l’attention. Netflix crée de nouveaux codes au risque de sacrifier la qualité des scénarios. Les musiques sont plus courtes et proposent tout ce qu’elles ont à offrir lors des premières secondes pour capter l’attention du public. The Doors et Pink Floyd n’ont qu’à aller se rhabiller...
Le serpent qui se mord la queue
Ce modèle économique trouve ses limites à plusieurs égards.
D’une part, l’attention des générations X et Y s’amoindrit un peu plus chaque jour, sous le poids de technologies qui nous connaissent toujours davantage. Ainsi, les grandes firmes usent de stratégies pour se démarquer et parvenir à capter les miettes d’attention qu’ils ne nous ont pas encore prises. Google Adsense, qui utilise les sites web et vidéos YouTube comme support pour ses annonces, fête déjà ses 18 ans tandis qu’Instragram ou Konbini développent des dark patterns pour cacher aux utilisateurs la nature publicitaire de certains contenus.
D’autre part, les robots et « usines à clics » fragilisent l’économie de l’attention, qui se base sur le nombre de visites et vues sur les sites et se trouve menacée à terme : selon les études, l’activité humaine s’élèverait à moins de 60% de l’activité totale sur Internet.
La planète en pâtit (comme toujours)
En plus de porter atteinte à notre vie privée et notre libre arbitre, le stockage de données qui permet d’adapter l’offre à nos besoins constitue un drame environnemental. Par exemple, chaque jour, YouTube collecte 80 milliards de bribes d’informations. Les Data Centers, représentent désormais environ 1,5% de la consommation électrique et plus de 2% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Sans parler des mails et notifications envoyés à tout va.
Il ne faut pas oublier que si c’est gratuit, c’est que nous sommes le produit. Au lieu de fixer notre attention sur ce que les écrans nous offrent, peut-être devrions-nous songer à ce qu’ils nous prennent.
Emma Gaillard
Sources :
Bruno Patino – La civilisation du poisson rouge
Podcast – SPAM #3 : L’économie de l’attention
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