Lors des élections européennes de 2019, le Parti animaliste a obtenu 490 074 voix, soit 2,16% des suffrages. Sur la photo ci-dessus, Hélène Thouy, l’une des co-présidentes du parti, a annoncé le 1er juillet 2021 sa candidature à l’élection présidentielle de 2022. À sa gauche, Mira Douchka Markovic, cofondatrice du Parti animaliste et élue conseillère de Paris dans le 18e arrondissement. (Christophe Archambault/AFP)
« Tous les maux de notre vie sont dus à l’Homme, notre tyran. Débarrassons-nous de l’Homme, et nôtre sera le produit de notre travail. C’est presque du jour au lendemain que nous pourrions devenir libres et riches». À travers sa fable animalière (La Ferme des animaux, 1945), George Orwell a mis en scène la révolte des bêtes contre les hommes qui les exploitaient. Si aucune force politique n’a aujourd’hui en France le dessein de renverser le pouvoir au profit d’une « zoocratie », l’animalisme comme courant éthique défendant les droits des animaux a émergé dans la sphère politique à travers la création d’un Parti animaliste, récoltant par exemple en 2019 quasiment autant de voix que le Parti communiste français (2,16% contre 2,49% pour ce dernier). La pénétration des courants animalistes dans le champ politique s’est opérée de manière plus précoce dans d’autres pays que la France. Par exemple, le Parti du bien-être animal (Partij voor de Dieren ) aux Pays-Bas a été fondé en 2002 et a obtenu pour la première fois en 2006 une représentation au Parlement. Comme le développe Eddy Fougier dans sa note pour la Fondation pour l’innovation politique intitulée La contestation animaliste radicale (2019), des organisations à l’instar de L214 sont parvenues à faire de la question animale un « problème public » qui a pénétré les débats politiques. À l’aune de l’élection présidentielle de 2022, puis des élections législatives, le Parti animaliste français a annoncé le 1er juillet 2021 la constitution d’une candidature autour de la figure d’Hélène Thouy. S’il parvient à surmonter l’épreuve des 500 signatures, la question de la capacité électorale de ce parti monothématique se pose dans un scrutin où la crise sanitaire et les sujets liés à la sécurité seront certainement omniprésents. C’est sur la trajectoire politique du Parti animaliste et sa place dans les prochains scrutins électoraux que Mira Douchka Markovic, l’une des co-fondatrices et co-présidentes du parti animaliste, également conseillère de Paris dans le 18e arrondissement, a apporté certaines précisions.
Propos recueillis par Melchior Delavaquerie
Comment la candidature du parti animaliste pour l’élection présidentielle de 2022 autour d’Hélène Thouy s’est constituée ?
Mira Douchka Markovic : « Il y a eu un vote en interne et Hélène Thouy a été plébiscitée. Pour une élection de cette envergure il y avait très peu de candidats, puisqu’elle était la seule. Il n’y a pas eu de débats, nous avons fait un vote parce qu’il était important de faire un vote mais tout le monde était d’accord pour que ce soit elle. Elle nous a déjà porté aux élections européennes, cela s’est bien passé. C’est une figure emblématique du parti, cela a été une évidence pour tout le monde. Il n’y a pas eu de guerre intestine mais un consensus très sain autour de la candidature d’Hélène Thouy. Elle est extrêmement talentueuse. »
Quel est l'intérêt de passer par la formation d'un parti politique pour défendre la cause animale ?
MDM : « Moi j’étais militante depuis longue date à l’Association végétarienne de France, à L214, à Sea Shepherd. En 2011, le décret relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire a imposé dans toute la France un repas carné pour tous avec des fréquences, des dosages ect. Cela rendait la possibilité pour une école de faire du 100% végétarien illégale. À ce moment là je passais des week-ends entiers à faire des salons, aller dans ma rue, pour rendre les gens plus conscients sur l’impact de la consommation de viande. Mais quand ce décret a été mis en vigueur, je me suis dit que j’y consacrais des heures et des heures, j’essayais de convaincre une personne par une personne. Et là par un décret, en passant par l’Assemblée Nationale, on arrivait à imposer quelque chose à tous le pays. J’ai eu un déclic. Je me suis dit qu’il y avait trois niveaux d’engagement : individuel, associatif et politique. C’est à ce moment que que dans mon esprit il fallait que je change d’échelle et que je me lance en politique. J’ai commencé par Europe Écologie Les Verts (EELV) parce qu’à l’époque c’est ce qui me semblait le plus proche de mes idées, parce que je suis aussi écologiste au-delà d’être animaliste. J’ai décidé de me lancer pour les municipales de 2014 dans le 18e arrondissement avec les écologistes, dans l’esprit de porter des postions en lien avec les animaux, le végétarisme etc. Je suis resté pendant un certains temps et rapidement je me suis rendu compte que chez les écologistes nous arrivions à une limite; c’est-à-dire que la considération des animaux, le droit des animaux, arrivait à une limite car le positionnement intellectuel était totalement différent. »
Quelles sont les différences entre le positionnement intellectuel des écologistes et celui des animalistes ?
MDM : « Les écologistes voient les animaux du point de vue de l’espèce, de la biodiversité, alors que les animalistes voient les animaux du point de vue de l’individu.
En d’autres termes, ils considèrent les animaux comme faisant partie de l’environnement et de là vont les traiter comme des membres de la nature à part entière alors que les animalistes vont traiter chaque animal dans leurs différences; à travers par exemple la question des dissections, des zoos, les delphinariums, le statut juridique de l’animal. De mon point de vue, c’est une approche qui est totalement différente mais complémentaire. »
Dès lors, comment êtes-vous passée de votre engagement au sein des écologistes à la fondation d’un parti animaliste ?
MDM : « Dans un premier temps, je me suis dit qu’il fallait essayer de rassembler les animalistes à l’intérieur d’EELV pour pouvoir faire avancer la question animale au sein du parti. C’est là que j’ai pris l’initiative de créer une commission de la condition animale chez EELV avec Fabienne Roumet et nous avons réussi à former cette commission en 2015. Elle a été une réussite car c’était l’une des commissions où il y’a avait le plus de monde, après celle sur l’agriculture. Cette commission a permis de créer un rapport de force qu’il n’y avait pas avant. Elle a réellement permis d’influer sur les programmes etc. Cependant, même avec la commission, je me suis dit qu’il y aurait toujours une différence idéologique, d’approche et c’est à ce moment là que j’ai souhaité créer un parti animaliste comme en Hollande [Le parti des animaux, ndlr.].
Je suis donc allé voir dans un second temps Melvin Josse, qui à l’époque avait écrit un livre et je lui ai dit qu’il fallait créer un parti politique. Mais il était nécessaire de trouver d’autres personnes. À titre personnel, cela faisait depuis 2012 que j’essayais de créer un parti politique avec d’autres personnes; j’avais déjà fait deux groupes pour tenter de créer un parti mais à chaque fois il n’y avait pas l’alchimie suffisante. La troisième fois a fonctionné et a abouti à la création du parti animaliste. Nous avons commencé à rencontrer des personnes à l’occasion d’événements et une équipe dirigeante s’est constituée. […] Il y avait cette nécessité de porter un message politique car pendant longtemps le mouvement n’a pas voulu se politiser; il y avait une « obédience » un peu anarchiste, libertaire et donc nous avions du retard en politique; c’était un mouvement politisé mais politisé différemment. Personnellement, la première fois où j’ai compris que la question animale était un sujet politique, c’était avec des conférences que j’ai pu suivre et qui m’ont permis de me rendre compte que notre choix alimentaire n’était pas un choix individuel mais un choix qui avait une incidence sur le monde. Dès lors, à partir de là, c’est un acte politique : l’assiette est un acte politique, manger est un acte politique, notre alimentation est un acte politique, les choix de consommation sont des actes politiques. »
Hélène Thouy vous a rejoint dès les débuts du Parti animaliste ?
MDM : « Hélène Thouy est arrivée très vite. Un jour Isabelle Dudouet-Bercegeay est venue me voir en me disant qu’elle connaissait une avocate pour L214 [Hélène Thouy, ndlr.], vraiment compétente. »
Le Parti animaliste avait-il initialement toutes les ressources nécessaires pour pouvoir participer dès sa création à des élections ?
MDM : « Au début cela a été compliqué dans le sens où nous partions de rien. Nous étions des militants; j’étais la seule à avoir une expérience politique via les écologistes. J’étais « la plus politisée » dans le sens de l’expérience puisque j’étais devenue élue en 2014. Les fondements du parti remontent à 2014 et il nous a fallu ensuite deux ans de construction, le temps de trouver les personnes, établir une stratégie etc. Nous sommes sortis de ce processus en 2016. Le lancement officiel a été précisément le 14 novembre 2016 et six mois plus tard nous avons effectué nos premiers élections, à savoir les législatives de 2017. Nous nous sommes préparés en trois mois pour les élections et cela a été une réussite puisque nous avons obtenu un score supérieur à 1% dans plus de 50 circonscriptions et donc nous avons pu obtenir les subventions. Les seuls moyens dont nous disposions au départ étaient nos fonds propres. Les candidats ont cru en nous, ont participé financièrement, c’est grâce à ces 147 personnes si nous en sommes là. Sans cet élan, leur croyance en note projet politique, nous n’aurions pas réussi. »
Quels sont vos objectifs politiques et électoraux pour l'élection présidentielle de 2022 et les élections législatives qui suivront ?
MDM : « Le parti animaliste est un parti monothématique donc nous avons beaucoup réfléchi à cette question là. Notre premier objectif est de démontrer qu’il y a un électorat. Une élection c’est différent; cela renvoie à un droit de vote, les personnes se déplacent. Cette stratégie consiste à se reposer sur le vote pour montrer qu’il y a une attente sur ce thème là. Cette stratégie a fonctionné notamment lors des précédentes élections législatives; nous avons prouvé qu’un électorat animaliste existe.
Pour l’anecdote, je me souviens que lors des élections législatives, j’étais en mairie. Les résultats s’affichaient et puis arrive le parti animaliste qui obtient 1,18%. Les gens à coté de moi ont parlé, c’est ce score qu’ils ont remarqué. Nous voyons bien que cette idée du poids électoral fonctionne.
Le deuxième objectif est de faire parler de la question animale, expliquer nos attentes, notre programme, quelles sont les injustices envers les animaux. Le troisième objectif est aussi d’avoir des élus.
Par ailleurs, l’élection présidentielle est l’élection phare en France. C’est l’incontournable qui permet d’avoir un accès plus direct aux citoyens, citoyennes. C’est l’occasion d’avoir une tribune, toucher les gens et proposer un programme totalement différent, avec une autre vision, des propositions qui concernent les animaux mais vont au-delà aussi. Nous essayons de prendre les yeux des animaux et de regarder à travers eux les souffrances, les difficultés qu’ils ont et voir comment une transformation va être positive pour tous, les animaux et les humains. Dès que l’on transforme quelque chose en positif pour les animaux, ça l’est aussi pour les humains en terme de résultats. »
Hélène Thouy à déclaré sa candidature à l'élection présidentielle le 1er juillet 2021 pour porter les couleurs du Parti animaliste. Est-ce que vous pouvez déjà évoquer quelques propositions de son programme ?
MDM : « S’agissant de l’agriculture, nous souhaitons aller vers une transformation progressive de celle-ci. À l’heure actuelle, nous avons 70% des terres arables qui sont utilisées pour l’alimentation des animaux qualifiés de bétail. Donc actuellement on utilise la majorité des terres de France pour produire des céréales pour nourrir des animaux. En cela, c’est une difficulté car derrière cette production céréalière il y a une occupation des terres, de l’eau, de l’énergie; tout cela à des fins de faire de la viande alors que si nous transformons ces mêmes terres pour la production de l’alimentation humaine (maraîchage, céréales), nous aboutirons à une production plus raisonnée, avec moins de pesticides, insecticides. Donc cette transformation est bénéfique autant pour les humains que pour les animaux. Nous n’évoquons jamais le fait que les modes de production actuels de l’agriculture ont des effets collatéraux négatifs comme en Bretagne avec certaines déjections qui provoquent la pullulation des algues vertes sur certaines plages. Finalement, nous ne produisons même pas pour nous et nous polluons les plages en l’occurence, mais aussi les nappes phréatiques de France. Les effets négatifs ce sont les français et les animaux qui les subissent pour le profit de quelques personnes.
Notre objectif est d’atteindre in fine 50% de production alimentaire pour les humains à travers une transition progressive et aussi la reforestation de certains territoires. »
Si vous ne parvenez pas à obtenir les 500 signatures, avez-vous réfléchi à la manière dont le Parti animaliste pourrait peser sur la vie politique française ces prochains mois ?
MDM : « Notre objectif est quand même d’avoir les 500 signatures. Si nous n’y parvenons pas, nous nous concentrerons sur les législatives avec une influence que nous essayons d’avoir au quotidien. Mais nous ne sommes pas des lobbyistes. Notre objectif est de participer aux prochaines élections. »
Avez-vous déjà pris contact avec des élus pour obtenir des promesses de signature ?
MDM : « Nous avons commencé, c’est un travail très fastidieux et cela questionne la situation des petits candidats qui ont moins de moyens, pas forcément d’élus. Là nous sommes sur une avancée qui nous satisfait mais nous avons encore du temps. »
Est-ce que le parti animaliste a déjà envisagé ou pourrait envisager de faire des alliances avec d'autres formations politiques ?
MDM : « Nous avons déjà fait des alliances pour les élections régionales et les élections municipales. À chaque élection nous nous posons des questions pour savoir quelle est la meilleure stratégie, le meilleur équilibre. Donc nous avons accepté des alliances avec la gauche et avec la droite; notre parti est monothématique et transpartisan. »
Le Front national puis le Rassemblement National insiste beaucoup depuis quelques années sur le volet animal de son programme avec des propositions à ce sujet. Est-ce que le parti animaliste est transpartisan au point d’envisager des alliances avec le Rassemblement National ?
MDM : « Nous sommes un parti transpartisan dans le respect de la République et du cadre républicain. Si des propos dépassent ce cadre il n’est pas possible de faire des alliances. Depuis les élections européennes, nos 2,2%, les partis commencent à parler de la question animale; même La République en Marche se met à faire des propositions de loi alors qu’avant notre score aux européennes il n’y avait pas de propositions, rien. Avec nos un demi-million de voix, ils ont commencé à se dire que cela pouvait être intéressant dans un contexte où la gauche et la droite sont éclatées; donc 2% peut changer une élection. La stratégie du pourcentage fonctionne.
Ce que j’ai appris et que je n’avais pas anticipé comme réaction est qu’une personne, collaboratrice au Parlement, m’a rapporté que notre score aux européennes avait permis à des parlementaires d’assumer. Elle me disait qu’il y avait des parlementaires qui considéraient les animaux mais n’osaient pas faire des propositions par peur d’être raillé donc ils ne portaient rien mais avec nos 2% aux européennes, cela les a décomplexé. De la même manière un journaliste m’a dit que nous nous rendions pas compte de l’impact que nous avons eu en politique. C’est vrai que sans s’en rendre compte, nous avons eu des retours de personnes impressionnées par notre score. »
Actuellement le débat public est essentiellement concentré sur la crise sanitaire, la sécurité, l’immigration. Est-ce que vous craignez de ne pas réussir à imposer la question animale comme un débat incontournable de la prochaine élection présidentielle ?
MDM : « Nous avons confiance en notre candidate. Elle est pugnace, elle est avocate. Elle a l’habitude de se retrouver dans des situations difficiles, complexes. Elle a des talents oratoires. Heureusement il n’y a pas que les plateaux de télévision, il y aura aussi des interviews individuelles. Pour nous, le sujet des animaux est transversal. Les animaux sont partout; ils sont présents à des niveaux auxquels nous ne pensons pas : la santé, la sécurité, l’agriculture, les changements climatiques. Si nous regardons bien, sur chaque axe, quand nous creusons ou sans en avoir besoin, il y a un lien avec les animaux. Les animaux sont à l’heure actuelle des biens de consommation, ils sont économiquement présents donc ils sont presque partout. Simplement nous n’en avons jamais parlé. Notre travail est donc de mettre la lumière sur ces parties là. »
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