“Rebel girl you are the queen of my world […] When she talks, I hear the revolution” (« Fille rebelle tu es la reine de mon monde […] Quand elle parle, j’entends la révolution ») – Rebel Girl, Bikini Kill
Voilà des paroles qui pourraient parfaitement résumer le mouvement « Riot Grrrl ». Dans les années 1990, la musique punk avait déjà fait ses preuves aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, par exemple avec les Sex Pistols ou avec The Clash. Mais le milieu demeurait particulièrement fermé et hostile aux femmes. C’est donc pour rendre « le punk plus féministe et le féminisme plus punk » qu’un mouvement révolutionnaire féministe et musical s’est crée dans les années 1990 aux Etats-Unis.
Les Riot Grrrl voulaient se détacher du patriarcat et du capitalisme par la création de musiques politiques et par l’utilisation de la punk pour faire passer leurs messages. Le mouvement visait à dénoncer les standards de beauté imposés aux filles, la culture du viol, le sexisme, la LGBTphobie dans le milieu de la musique, les agressions sexuelles, leur sexualisation dans les médias et par la société patriarcale. Il avait pour but de développer des réunions en non-mixité, de promouvoir le « female gaze » et de se réapproprier tous les secteurs de la société dominés par les hommes. Dans la musique, les filles de ce mouvement ne veulent plus être assignées seulement à des groupies mais affirmer leur place en tant que musiciennes punk.
Parmi les groupes initiaux de punk-rock les plus connus, on peut citer Bikini Kill, Bratmobile ou encore Huggy Bear. Une des initiatrices du mouvement a été Kathleen Hanna, fondatrice du groupe mythique Bikini Kill, avec son amie Tobi Vail. Elles
organisaient des concerts où elles distribuaient des fanzines, des petites revues de musique. Nombre de groupes ont même distribué le « Riot Grrrl Manifesto » pendant leurs concerts. On pouvait lire dans ce manifeste révolutionnaire :
"PARCE QUE nous les filles sommes avides de musique, de livres et de fanzines qui NOUS parlent, qui nous ressemblent et que nous pouvons comprendre.
PARCE QUE nous voulons qu’il soit plus facile pour les filles de voir/entendre le travail d’autres filles afin d’élaborer des stratégies communes et de se critiquer / de s’applaudir les unes les autres.
PARCE QUE nous devons nous emparer des moyens de production pour créer nos propres râles de jouissance.
PARCE QUE nous considérons qu’encourager et soutenir la scène musicale féminine et les artistes filles de tout poil fait partie intégrante de ce processus.
PARCE QUE nous sommes en colère contre une société qui nous dit Fille = Stupide, Fille = Mauvaise, Fille = Faible.
PARCE QUE je crois de tout mon cœur-esprit-corps que les filles constituent une force spirituelle révolutionnaire qui peut et va changer le monde pour de bon."
Pour faire réagir, elles ont utilisé leur corps déjà sexualisé en permanence par la société patriarcale pour confronter les hommes à leur propre regard sur le corps des femmes et ainsi les déstabiliser : elles écrivaient « slut » ou « bitch » sur leurs poitrines nues.
Pourtant, les membres du mouvement n’ont pas toujours été solidaires et ne se sont pas toujours « applaudies les unes les autres ». En effet, le but originel du mouvement était de toucher le plus de monde mais certaines membres jugeaient celles qui acceptaient de participer à des interviews, qui collaboraient avec les médias. De plus, la plupart des membres étaient issues de la classe moyenne blanche américaine et ont été accusé de ne pas être assez inclusives, de ne pas assez mêler les autres luttes à la leur. La théoricienne Bell Hooks a expliqué que certains groupes de paroles de Riot Grrrl étaient l’illustration des tensions au sein du mouvement : c’était « les jeux olympiques de l’oppression », en somme, la personne qui avait vécu le pire était la personne qui
avait le plus droit à la parole. Le mouvement ne s’inscrivait plus dans une volonté d’échange et de soutien entre les filles, il y avait presque un oubli de l’identité du réel oppresseur et ennemi : le patriarcat.
Le sujet a été très peu documenté mais la journaliste Mathilde Carton y a consacré un ouvrage intitulé « Riot Grrrl : Revolution Girl Style Now ». Elle explique le mouvement n’a pas eu l’impact espéré dans les années 1990 mais qu’il a eu beaucoup d’influence sur le long terme que l’on peut retrouver aujourd’hui.
Un exemple sans doute des plus parlants dans le contexte actuel est celui du groupe Pussy Riot. Ce groupe de punk russe se revendiquent héritier du mouvement Riot Grrrl encore aujourd’hui. Veronika Nikulshina, une des membres, a été forcée de s’exiler en Géorgie pour échapper à la répression du Kremlin du fait de ses positions anti-Poutine. Elle avait participé à des actions militantes visant à montrer l’homophobie, le sexisme, le racisme au sein de l’Etat russe. Leurs chansons portent toutes sur des problèmes de société qu’elles attaquent sans gène et sur des mélodies aussi électro que punk.
Riot Grrrl continue de se manifester dans le milieu de la punk-rock aujourd’hui pour faire entendre la voix des femmes. Les débats, la plupart des sujets sont encore dominés par les hommes et parfois, la seule manière de se faire entendre est de chanter sa rage.
Margot Zuliani
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