Il y a 50 ans, l’affaire Bobigny faisait grand bruit. Comment aurait-on pu imaginer qu’ un tel procès aurait eu un impact sur l’avenir des droits de la femme ? Dans les années 1940, l’acte d’avortement était sanctionné comme un crime d’Etat. Cette situation perdurera jusqu’au début des années 70, période où une affaire défraya la chronique.
La jurisprudence du procès de Bobigny.
En automne 1971, une jeune femme, Marie-Claire Chevalier est victime d’un viol à l’âge de 16 ans. Elle avorte de son agresseur, dans des conditions douteuses, en faisant appel à une “faiseuse d’anges”, contre la somme de 1200 francs. Le 11 octobre, suite à la dénonciation de son agresseur, une audience s’ouvre au tribunal pour enfants de Bobigny, afin d'incriminer l’avortement illégal de Marie-Claire, ainsi que sa mère et la “faiseuse d’ange”.
À la recherche d’une avocate compétente pour la défense de sa fille, Michèle Chevalier contacte Gisèle Halimi, jeune avocate à cette époque. Forte d'une certaine renommée grâce à l'affaire Djamila Boupacha, elle se hisse au statut d’avocate militante. Or, Gisèle Halimi n'est pas uniquement une militante anticolonialiste, elle est aussi une féministe affirmée, déclarant avoir déjà avorté, défendant le libre accès aux moyens de contraceptions d’une part, et l’avortement libre, d’autre part. C’est notamment la seule avocate qui signe le “Manifeste des 343” en avril 1971.
Avec cette affaire, Gisèle Halimi signe son neuvième procès sur la question de l’avortement. Elle décide alors de transformer celui-ci en un procès politique, dans l’optique de susciter des débats. À cela s'ajoutent, dans les années 70, des manifestations de femmes qui se regroupent à Paris pour militer pour le droit à l’avortement. C’est une période propice à l’élaboration de nouveaux droits.
Ainsi, le 22 octobre 1972, Gisèle Halimi, plaidant pour la défense des femmes victimes, prononce quelques mots qui marqueront les mentalités et susciteront l’émotion : “Elles sont mon combat”.
« Je ressens avec une plénitude jamais connue à ce jour un parfait accord entre mon métier qui est de plaider, qui est de défendre, et ma condition de femme. […] Ce que j’essaie d’exprimer ici, c’est que je m’identifie précisément et totalement avec Mme Chevalier et avec ces trois femmes présentes à l’audience, avec ces femmes qui manifestent dans la rue, avec ces millions de femmes françaises et autres. Elles sont ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique quotidienne. »
Le 8 novembre 1971, le procès prend fin. Marie-Claire Chevalier se voit relaxée le jour même, au motif qu'elle aurait souffert de « contraintes d'ordre moral, social, familial, auxquelles elle n'avait pas pu résister ». Ce verdict, bien que symbolique, n’est que le premier pas vers une future liberté.
« Ce n'est qu'un début, continuons le combat », clament les manifestantes devant le tribunal, à l'énoncé du verdict.
Le procès Bobigny s’érige donc au statut d’”étape essentielle” dans la lutte des femmes pour le droit à l'avortement.
Ce procès va attirer l’attention du gouvernement et plus précisément du ministère de la santé, tenu à l’époque par Simone Veil (entre 1974 et 1979) sous le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing. Simone Veil oeuvrera pour la légalisation du droit à l’avortement en partie grâce au procès Bobigny, qui sonne l’alarme sur les conditions désastreuses des avortements clandestins. Ainsi, le 17 janvier 1975, la célèbre loi Veil, relative à l’interruption volontaire de grossesse, est promulguée, s’inscrivant dans le code de la santé publique.
Le droit à l’avortement reste tanguant.
Le procès Bobigny a participé à un processus lent, tumultueux et en constante évolution. Cependant, un droit admis n’est pas nécessairement acquis. Malgré l’évolution des droits de la femmes dans les pays démocratiques, tous ne sont pas garantis.
Les Etats-Unis en sont un exemple concret. En juin dernier, la Cour Suprême a annoncé le retrait de l'arrêt Roe v. Wade, relatif au droit à l’avortement, de la Constitution américaine. Ce droit n'étant plus protégé, certains Etats fédérés ont vu l’opportunité d’abroger celui-ci. Ainsi, malgré le long et tumultueux chemin pour les reconnaître, certaines libertés fondamentales des femmes sont aujourd'hui remises en cause et reculent.
Aujourd’hui, sur le territoire français, de nombreux débats émergent face au renversement de la situation aux Etats Unis. Faut-il rendre la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse constitutionnelle ? Car nombreuses sont celles qui craignent à leur tour un recul de leur liberté. En effet, introduire cette loi dans la Constitution permettrait de lui attribuer une valeur constitutionnelle et fondamentale, lui garantissant une protection.
Une proposition de loi a été annoncée cet automne, mais elle a été rejetée. En ce mois de novembre, deux nouvelles propositions seront déposées. De quoi permettre un possible changement dans la stabilité du droit à l’avortement en France.
Jade Teboul
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