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Saint-Omer d’Alice Diop : un infanticide pour rappeler la complexité du lien maternel

Dernière mise à jour : 5 déc. 2022

On se serait plutôt attendu à un documentaire, de la part d’Alice Diop. Après avoir visionné la bande annonce, on se serait préparé à voir un film de procès. On aurait dit, en marchant vers le cinéma, ah eh bien, il doit sûrement y avoir une explication à cette horreur ! Et à la sortie de la salle, on aurait très bien pu se rassurer, ah mais, si cette femme se retrouve là, c’est parce qu’elle croit à la sorcellerie, c’est l’impact de sa culture !

Mais il n’en est rien. Vous cherchez des réponses ? Passez votre chemin : le nouveau long-métrage de la réalisatrice française, certes habituée aux documentaires et souvent associée à la cause afro-féministe, détourne des préjugés, des idées préconçues, et même de nos valeurs les plus profondes. Remettre en question la condamnation stricte que nous ferions toutes et tous d’un infanticide, voilà le pari réussi d’Alice Diop. Retour sur Saint-Omer, son dernier long-métrage primé à la Mostra de Venise.

Image du film Saint-Omer

Le calme des débats, pour des faits criant d’horreur


Le résumé du film est simple : une femme tue son bébé de quinze mois en l’abandonnant sur une plage du nord de la France à marée montante. Et voilà son procès. Mais elle n’est pas le personnage central de l’histoire. Dire qu’Alice Diop abandonne ici la forme documentaire est en réalité faux. Ici on retrouve Rama, jeune professeure de littérature à l’université, qui assiste au procès Laurence Coly. Or Alice Diop s’est elle-même rendue au procès de Fabienne Kabou en 2013. Tout est donc joué ici mais tout, ou presque, est vrai.


Le procès aussi, d’ailleurs, pourrait s’apparenter à un documentaire. Il ressort ainsi de la réalisation, qui se contente d’assister aux débats dans l’ensemble, un réalisme calme. On se tait en écoutant l’accusée raconter son histoire, on en comprend le respect du public ou bien son choc, on ne sait. Surement les deux.


Il faut ainsi évoquer la Présidente de cette cour d’assises, jouée par Valérie Dréville, qui arrive d’ailleurs avec justesse à questionner le crime. Mais le réalisme du film vient plus des regards des personnages que de leurs discours. Guslagie Malanda, l’accusée répond aux questions en donnant l’air de réciter un poème, ce qui était probablement voulu. Le personnage est très cultivé et sa qualité de langage est même soulignée dans le film, mais cela devient, à la longue, lassant. Non, le réel vient de leurs regards : une mère impassible, une présidente qui alterne entre choc et émotion, une accusée dont on voit tout et rien, du regret, de la tristesse, de la manipulation. Bref, dans un procès où rien n'est vraiment expliqué, on cherche les réponses dans les regards, que ce soient les personnages ou le spectateur.


Et quid de la protagoniste ? Eh bien, Rama, jouée par Kayije Kagame, suffoque dans la salle d’audience. Tout cela semble donc très vrai, on y croit et on croit surtout au malaise d’une femme, venue en spectatrice, qui ne peut que s’associer à l’accusée et la renvoyer à son histoire. Car Rama est née à Saint-Omer, où se tient le procès. Et le vrai sujet du film est là : les profondeurs du lien maternel.


Les subtilités d’une relation maternelle


Par des scènes furtives mais très efficaces, il nous est vite parvenu que la jeune auteure a une relation tue avec sa mère, comme une incompréhension, un lien dont elle n'arrive pas à se défaire. De la même manière, l’accusée révèle des relations distantes avec la sienne, tout en l’appelant chaque semaine. Et finalement, par quelques rencontres entre la mère de l’accusée et Rama, rien n’est vraiment dit en plus si ce n’est des banalités. Rien n’est vraiment appris. La grand-mère de cet enfant mort noyé ne semble pas en vouloir à sa fille, elle est distante, parfaitement froide. Mais elle assiste à tous les débats. En laissant finalement se révéler une majorité de personnages féminins, toutes liées par cette possibilité de devenir mère, qui ne peuvent que s’émouvoir face à de tels faits, le long-métrage s’avère également d’un féminisme discret.

Et c’est un pari risqué que d’évoquer des silences qui sont plus que des non-dits ici : Alice Diop parvient ainsi à montrer un aspect rarement traité du lien maternel, celui où l’un des deux êtres, qui aura beau dire détester l’autre, ne pas le comprendre, va malgré tout rester lié à lui indéfectiblement. Comment une mère et son enfant, en étant parfaitement différentes, peuvent et croient parfois se confondre. La réalisatrice s’attaque à un sujet psychologique complexe mais elle en réussit une illustration fine, et surtout sans jugement, qui fait de Saint-Omer un film original et pertinent.


Charlotte Dhubert


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